Son élection est une victoire du FMI

Pourquoi Yushchenko est-il si populaire ?

Le candidat de l’opposition lors des élections présidentielles ukrainiennes, Viktor Yushchenko, est fermement soutenu par le FMI et la communauté financière internationale. Il bénéficie aussi de l’appui de la National Endowment for Democracy (NED), la Carnegie Endowment for International Peace, Freedom House et l’Institut pour la Société ouverte de George Soros, qui a joué un rôle en sous-main dans le renversement du président géorgien Eduard Chevardnadze l’an dernier.

La NED regroupe quatre instituts, dont le International Republican Institute (IRI), qui se prétendent « exceptionnellement qualifiés pour fournir de l’assistance technique aux aspirants à la démocratie à travers le monde ».

En Ukraine, la NED et ses organisations affiliées ont financé le parti de Yushchenko, Nash Ukraina (Notre Ukraine), et le Press Club de Kiev. Le International Republican Institute (IRI) et Freedom House étaient impliqués dans la surveillance des élections et de leurs résultats. Le Guardian du 26 novembre 2004 révèle que ce personnel a aussi organisé des sondages à la sortie des urnes, qui ont donné une avance de 11 points à Yushchenko le soir de la première élection, préparant ainsi la suite des événements.

Les activités de toutes ces fondations ne consistent pas seulement à organiser des sondages et acheminer de la désinformation dans les médias occidentaux. Elles sont aussi impliqués dans la création et le financement de groupes étudiants « pro-occident », « pro-réformes », capables d’organiser des manifestations de masse de désobéissance civile. En Ukraine, le Mouvement des jeunes Pora, financé par l’Institut pour la Société Ouverte de George Soros, participe à ce processus avec plus de 10 000 activistes. Appuyé par la coalition « Liberté de choix », un regroupement d’ONG ukrainiennes, Pora est modelé sur Otpor et Kmara, deux organisations similaires en Serbie et en Georgie.

La coalition « Liberté de choix » agit comme une organisation parapluie. Elle est soutenue directement par les ambassades américaines et britanniques à Kiev, ainsi que par l’Allemagne, à travers la fondation Friedrich Ebert Stiftung. Parmi ses principaux « partenaires » (ou commanditaires), on trouve l’Agence canadienne de développement international (ACDI), Freedom House, la Banque mondiale et la fondation Charles Stewart Mott.

Parmi les nombreuses fondations occidentales, la National Endowment for Democracy (NED), bien qu’elle ne fasse pas officiellement partie de la CIA, remplit une fonction de renseignement importante en intervenant dans le processus politique en ex-URSS et à travers le monde. La NED a été créée en 1983, alors que la CIA était accusée de soudoyer des politiciens et de mettre sur pied de fausses organisations de société civile. En entrevue avec le Washington Post, le créateur de la NED, Allen Weinstein, a admis qu’une grande partie du travail de son organisation « était fait secrètement par la CIA il y a 25 ans ».

Dans l’ex-URSS, incluant l’Ukraine, la NED constitue en quelque sorte le « bras civil » de la CIA. Au Venezuela, la NED était derrière le coup d’État raté contre Hugo Chavez. En Haïti, elle a subventionné les partis d’opposition et certaines ONG, dans le cadre du coup d’État appuyé par les Américains qui a mené à la déportation du président Aristide, en février 2004.

Dans l’ancienne Yougoslavie, la CIA soutenait l’Armée de libération du Kosovo, un groupe paramilitaire responsable d’attaques terroristes. Pendant ce temps, la NED, à travers son « Center for International Private Enterprise » (CIPE), finançait le G-17, un groupe d’économistes qui formulaient (en liaison avec le FMI) la plate-forme de « libre-marché » de l’opposition, qui a mené à la chute de Milosevic.

Le CIPE a un mandat similaire en Ukraine, où il finance directement des recherches sur des « réformes de libre-marché » dans plusieurs « think tanks » indépendants et instituts de recherche.

La candidature Viktor Yushchenko était soutenue par le FMI. En 1993, il fut nommé à la tête de la toute nouvelle Banque nationale d’Ukraine. Après sa nomination, l’Ukraine arriva à un accord historique avec le FMI. Yushchenko a joué un rôle clé dans les négociations de l’accord de 1994 ainsi que dans la création de la nouvelle monnaie nationale ukrainienne, qui a entraîné une chute dramatique des salaires réels.

Yushchenko, à titre de dirigeant de la Banque centrale, fut responsable de la dévaluation de la monnaie nationale, dans le cadre du « traitement de choc » d’octobre 1994. Du jour au lendemain, le prix du pain a augmenté de 300 %, le coût de l’électricité de 600 % et celui des transports publics de 900 %. Le niveau de vie s’est effondré.

En novembre 1994, des représentants de la Banque mondiale furent envoyés en Ukraine pour étudier la refonte de l’agriculture nationale. Avec la libéralisation des échanges, les surplus céréaliers américains et « l’aide alimentaire » furent déversés sur le marché intérieur, contribuant à déstabiliser l’un des plus grands producteurs de blé au monde.

En 1998, la dérégulation du marché des céréales avait conduit à un déclin dans la production de 45 % par rapport aux niveaux de 1986-1990. L’effondrement dans la production de bétail, de volaille et de produits laitiers fut encore plus dramatique.

Dans de telles circonstances, pourquoi Yushchenko, qui fut associé de près au processus de destruction et d’appauvrissement de son pays, serait-il si populaire ? Pourquoi l’image et la réputation d’un protégé du FMI demeurent-elles sans taches ?

Le discours néolibéral construit un consensus autour des « réformes de libre-marché » présentées comme la seule solution, comme l’inquisition espagnole était le consensus sous-jacent à l’ordre social féodal.

À travers une logique tordue, la pauvreté est présentée comme une condition préalable à la construction d’une société prospère, un monde de paysans sans terres, d’usines fermées, de travailleurs au chômage et de programmes sociaux dévastés comme un moyen d’atteindre le progrès économique et social.

Pourquoi Yushchenko est-il si populaire ? Pour les mêmes raisons qui font que George W. Bush, malgré son passé de crimes de guerre, demeure populaire. Et parce que son adversaire, le premier ministre sortant Yanukovich, ne représente pas une authentique alternative politique pour l’Ukraine. L’élection ukrainienne de 2004 fut construite autour d’une intense campagne de propagande et de relations publiques, appuyées par les États-Unis, avec de l’argent accordé aux partis et organisations dévoués aux intérêts stratégiques et économiques de l’Occident. L’objectif n’est pas la démocratie, mais le fractionnement et la colonisation de l’ex-Union Soviétique.

En 1999, sous la pression de Washington, Yushchenko fut nommé premier ministre. Après sa nomination, il a immédiatement lancé un programme majeur de faillites commandité par le FMI et dirigé contre l’industrie ukrainienne, qui consistait en la fermeture de la base manufacturière du pays. Il a aussi essayé de saboter le commerce bilatéral du pétrole et du gaz naturel entre l’Ukraine et la Russie.

Yushchenko fut accusé d’avoir placé les intérêts du FMI au-dessus de ceux de son pays. En 2001, à la suite d’un vote de non-confiance du parlement, il fut démis de son poste de premier ministre. La communauté internationale a immédiatement pris des mesures. L’Ukraine fut de nouveau placée sur la liste noire des créanciers. Interviewé par le Financial Times, en avril 2001, le directeur du FMI, Horst Kohler, déclarait que « Yushchenko a acquis beaucoup de crédibilité hors de l’Ukraine, et je crois qu’il mérite un soutien à l’intérieur de l’Ukraine. »

Quelques mois après son renvoi, en 2001, Yushchenko était à Washington pour s’entretenir avec des membres importants de l’administration Bush. Il était de retour à Washington au début de l’année 2003, invité par le International Republican Institute (IRI). Au cours de cette visite, il a rencontré le vice-président Dick Cheney et le sous-secrétaire d’État Richard Armitage.

La guerre et la globalisation vont main dans la main. Yushchenko est un protégé de la communauté financière internationale, alors que son collègue et compagnon politique, l’ancien ministre de la Défense Yevyen Marchuk, est un supporter inconditionnel de la présence de l’OTAN et des États-Unis dans la région. La décision d’envoyer des troupes ukrainiennes en Irak fut en grande partie l’initiative de Yevyen Marchuk, alors que la majorité de la population s’y opposait.

En août dernier, Marchuk a rencontré le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld dans la ville de Yalta. À l’ordre du jour de leurs discussions: la participation ukrainienne à la guerre, mais aussi les élections à venir. Marchuk a annoncé après cette rencontre que Kiev continuerait à faire partie de la « coalition » et maintiendrait ses troupes en Irak. Il fut démis de son poste en septembre, un mois avant le premier tour des élections. Mais le 25 novembre, dans un message télévisé, Marchuk a envoyé un message à l’armée, à la police et aux forces de sécurité, les enjoignant de désobéir aux autorités civiles, soit au gouvernement de Léonid Kuchma.

L’Ukraine est déjà membre du GUUAM, une alliance militaire entre cinq anciennes républiques soviétiques (Georgie, Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan et Moldavie), établie en 1997 en coordination avec Washington. Son objectif était de nuire à l’alliance entre la Russie et la Biélorussie, signée en 1996.

Derrière cette élection présidentielle, se cache une lutte de pouvoir entre les factions pro-OTAN-USA et les factions pro-russes au sein de l’establishment politique et militaire. L’enjeu n’est pas seulement le maintien des politiques macroéconomiques du FMI, mais aussi les intérêts stratégiques militaires de l’OTAN et des États-Unis. L’objectif de l’administration Bush est d’installer un gouvernement ukrainien clairement aligné sur Washington, avec l’objectif ultime d’évincer l’armée russe de la mer Noire.