À votre santé, Monsieur Foglia !

La Presse est-elle devenue un « très bon journal » sans que nous nous en soyons rendu compte ?

Dans sa chronique du 2 décembre, Pierre Foglia se disait « tanné » de la « gauche nationaliste de l’aut’journal ». « Je suis tanné, écrivait-il, de votre discours sur mon journal, sur mes collègues. Je suis tanné de vos énormités, de vos phrases toutes faites sur Power, sur La Presse. » « Vous êtes aveugles, ajoutait-il. Depuis trois ou quatre ans, La Presse est devenue un très bon journal d’information. »

Foglia a-t-il raison ? La Presse est-elle devenue un « très bon journal », sans que nous nous en soyons rendu compte ? Un journal qui mord, qui critique les pouvoirs en place, qui joue son rôle de quatrième pouvoir.

Nous n’avons malheureusement pas les moyens de faire une étude exhaustive des trois ou quatre dernières années mais, pour en avoir le cœur net, nous avons passé en revue les prises de position des éditorialistes de La Presse, et plus particulièrement de l’éditorialiste en chef André Pratte sur les principaux sujets d’actualité du mois de décembre.

Commençons par les tarifs d’électricité. Dans un éditorial intitulé « L’excellente idée de M. Caillé » (13 décembre), André Pratte apportait son appui à l’idée que « les tarifs d’électricité payés par les Québécois grimpent graduellement pour rejoindre les prix du marché », c’est-à-dire qu’ils doublent !

Quelques jours plus tôt, à la Une, La Presse titrait : « Hydro-Québec. Une facture plus élevée pour financer la santé et l’éducation. Caillé souhaite la fin de l’électricité à rabais. » Pure démagogie quand on sait fort bien que le gouvernement Charest coupe en santé et dans l’éducation – les prêts-bourses, entre autres – pour remplir sa promesse de réduire les impôts des mieux nantis de un milliard $ par année.

Deux jours après la publication de l’éditorial, gros titre dans le cahier Affaires : « Les experts sont unanimes : L.électricité doit augmenter ». Pour composer sa brochette d’experts, La Presse a dû faire appel, entre autres, à un professeur de géologie (!) de l’Université Laval, un chargé de cours de l’UQAM (!!), un professeur à l’université de l’Alberta (!!!) et à un promoteur de petits barrages privés !

Tous étaient évidemment d’accord pour hausser le prix de l’électricité au prix du marché… du gaz naturel. De quoi réjouir André Caillé et ses petits copains, autrefois de Gaz Métropolitain, qui gravitent aujourd’hui dans l’entourage du premier ministre Charest. Conscient que la facture serait difficile à faire avaler aux lecteurs de La Presse, le super-éditorialiste Alain Dubuc est venu en renfort.

Quand La Presse titre que les hausses des tarifs d’électricité financeraient la santé, elle a sans doute en tête le projet d’aménagement du CHUM dans la cour de triage d’Outremont du recteur Lacroix. De l’argent, il en faudra, car le projet est déjà évalué à plus de 2 milliards, soit le double du budget initial prévu pour l’aménagement du CHUM au 1000 Saint-Denis.

Mais on ne regarde pas à la dépense quand il s’agit d’un projet soutenu par le patron, Paul Desmarais. André Pratte qualifie le projet de « Baie-James de la santé » (titre de l’éditorial du 27 novembre) et qualifie de « Ragots » (titre de l’éditorial du 30 novembre), les propos de ceux qui ne savent pas apprécier l’aide désintéressée du mécène Paul Desmarais. Pour l’appuyer, Lysiane Gagnon y est allée de deux chroniques sur le même sujet pour vilipender ces « journalistes qui ont inventé un sombre complot de l’Establishment libéral ».

Malgré tout, le gouvernement hésite. Aussi Pratte a signé deux autres éditoriaux, « L’enjeu » (9 décembre) et « Brouillard sur le CHUM » dans lequel il demande un report de la décision. Craignant que l’avis de Pratte ne fasse pas le poids, on a fait appel à Lucien Bouchard (« Réfléchissons encore » - 16 décembre). Rien de mieux qu’un ex-conservateur pour parler à un ex-conservateur !

En doublant les tarifs d’électricité, on pourrait également « Prendre soin des médecins » (titre de l’éditorial du 1er décembre), nous dit André Pratte dont l’écart brut entre leur rémunération et celles des spécialistes des autres provinces « varie entre 26 % et 56 % ». « Combler un tel écart coûtera cher, nous dit Pratte. Cela devra se faire de façon graduelle. Mais cela devra être fait. » Comme pour les tarifs d’électricité. Là encore, il a reçu l’appui de son collègue Alain Dubuc (« Le temps de corriger le tir » - 10 décembre).

Par contre, les conditions de salaires et de travail des cols bleus et des employés de la SAQ devront être revues à la baisse. Que voulez-vous, c’est la loi du marché. Dans le cas des cols bleus, l’éditorialiste en chef a cédé sa place à un nouveau venu dans les pages éditoriales, François Cardinal, qui a su rapidement démontrer que cette promotion était bien méritée. Il a titré son éditorial « Laissez-les hurler ! » (21 octobre). Les cols bleus y sont rabaissés au rang de « chiens enragés » que l’administration municipale devrait laisser aboyer, tout en leur imposant l’inique sentence arbitrale de Gilles Lavoie.

Le 11 décembre, François Cardinal récidivait contre les cols bleus (Montréal n’est pas le Far-West) avec l’appui du chroniqueur Yves Boisvert (« Les alliés objectifs des PPP »). N’allez surtout pas croire que Boisvert prend position contre les PPP. Son journal s’est déjà prononcé en faveur du projet de privatisation de la ministre Monique Jérôme-Forget, sous la plume d’André Pratte (« Lucifer privatisé » - 29 octobre) et Alain Dubuc (« PPP : peurs et passion » - 29 octobre).

Tous ceux qui s’opposent à cette vente à rabais du Québec sont qualifiés par Alain Dubuc de « puissantes forces de conservatisme et de statu quo » qui défendent le « modèle québécois ». Soulignons que La Presse mène un combat tous azimuts pour la remise en question de ce modèle. Il y a eu sur le sujet un dossier de plusieurs pages (« Quel modèle pour le Québec ? » - 27 novembre), suivi d’éditoriaux d’André Pratte (« L’occasion ratée » - 3 décembre) - « L’occasion ratée » est le refus du premier ministre Charest d’endosser la demande d’André Caillé de doubler les tarifs d’électricité – et d’Alain Dubuc (« Québec va rater le bateau » - 4 décembre).

Mais Pratte et Dubuc ont quand même eu un prix de consolation avec la révision de la loi de la Caisse de Dépôt et Placement qui donne priorité au rendement des déposants plutôt qu’à son rôle historique d’agent de développement économique. « L’économie québécoise ne peut qu’en profiter », écrit André Pratte dans son éditorial (« Une Caisse plus solide » - 16 décembre).

L’éditorial le plus percutant d’André Pratte au cours du mois de décembre est sans doute celui consacré à la grève de la Société des Alcools dans lequel il invite la population québécoise à franchir les lignes de piquetage parce qu’il « n’y a pas ici d’enjeu moral », écrit-il dans « Acheter à la SAQ ». Par contre, « les syndiqués poseraient des gestes immoraux et illégaux s’ils tentaient d’intimider ou de bloquer la route aux acheteurs ». « Ce conflit, nous dit-il, est un banal rapport de forces entre un employeur et un syndicat ». Alors, faisons pencher la balance en faveur de la SAQ ! Publions la liste des succursales ouvertes ! Demandons à nos chroniqueurs de vin de nous proposer une sélection des meilleurs vins de dépanneurs ! Une approche qui va réjouir Alain Dubuc qui intitulait, le 10 novembre, sa chronique « Et si la SAQ était privée ».

Voilà, Monsieur Foglia, nous avons pratiquement fait le tour des prises de position de votre « meilleur journal » au cours du mois de décembre. Reste quelques vétilles comme « Le bouclier anti-débat » (8 décembre), un éditorial dans lequel André Pratte réaffirme son appui au bouclier anti-missiles de George W. Bush (« Dire Oui à Bush » - 4 octobre). Ou encore cet appui au projet de réforme du mode de scrutin du ministre Dupuis qui, de l’avis de tous les experts, ne va profiter qu’aux Libéraux et à l’ADQ (« Une réforme bien engagée » - 17 décembre).

Nos excuses, Monsieur Foglia, pour notre « discours » sur votre journal, sur vos collègues, pour nos « énormités », nos « phrases toutes faites sur Power, sur La Presse » et félicitations pour votre « très bon journal d’information. »