C’est la faute au Bonhomme Michelin

Sacré Bibendum ! Sacré Villeneuve !

Lorsqu’on s’abonne à Super Écran, on s’abonne aussi automatiquement à RDS, le réseau des Sports, au canal Vie et à quelques autres chaînes de télédiffusion comme Vrack et Télétoon. Un méchant package deal que celui-là, mélange hétéroclite de dessins et de bandes dessinées américaines, d’une violence souvent extrême, à vous consoler de ne plus avoir d’enfants à rendre dans leurs grosseurs. Une demi-heure face à votre petit écran, et les bras vous en tombent. Adieu l’émerveillement de l’enfance, quand la poésie était au rendez-vous et qu’on prenait plaisir à l’entendre !

J’aurai sans doute l’occasion d’y revenir, puisque l’espace que notre télévision en général accorde aux enfants s’est ratatinée comme peau de chagrin depuis dix ans. À part la niaiserie, on a plus grand-chose à leur offrir, surtout pas à Radio-Canada qui fut longtemps le maître-d’œuvre en ce domaine. Il y a bien sûr le JUNIOR que produit RDI, mais on le diffuse à l’heure du souper, quand la famille enfin rapaillée se met enfin à table pour le seul repas de la journée pris en commun. À moins de se nourrir au Kraft Dinner, assis au salon devant son téléviseur, les chances sont minces pour ne pas rater le JUNIOR, par ailleurs plutôt bien fait, graphiques, dessins, photos et films étant généralement de belle venue. Le JUNIOR devrait passer plus tôt, quand les enfants, revenus de l’école, prennent collations et détente.

N’ayant donc pas grand-chose à se mettre sous la dent, peut-être vos enfants regardent-ils le réseau des Sports, comme vous-même vous le faites entre la poire et le fromage. Ce qu’on y voit et ce qu’on y entend est souvent ahurissant au propre comme au figuré, la politique éditoriale de la maison étant plutôt simplette : tout ce qui roule, glisse sur la neige, dévale des pentes, surfe sur les vagues, combat dans une arène ou patine, a droit de cité à RDS. Et tout y est présenté sans qu’un ordre quelconque paraisse en avoir déterminé la priorité. Car sinon, comment comprendre qu’on puisse s’installer à minuit devant son téléviseur pour voir et entendre de pétaradants béciques à gaz traverser collines et fondrières, ou de toutes aussi puissantes motoneiges faisant slaloms en forêt ? Ou bien, au beau mitan de février, de vous retrouver avec deux vieux restants de pêcheurs en train de placoter sur le nombre de mouches qu’on peut mettre au bout d’un hameçon. Plus désaisonné que ça, tu meurs !

Et tout cela entrecoupé d’annonces publicitaires, souvent les mêmes, et qu’on ne renouvelle pas souvent, certaines étant télédiffusées depuis au moins un an. Ou le public de RDS a la vue basse et l’oreille dure, ou les agences de publicité, gavées au pablum des commandites fédérales, n’ont plus besoin de contrats.

Mais connaissez-vous le dénommé Paul Buisson qui sévit depuis quelques années déjà à RDS ? Il emplit l’écran, ne l’embellit guère, plutôt du genre épais comme une casserole Creuset, se prend pour un humoriste mais dont la qualité première, pour ne pas dire la seule, est d’être grossièrement téteux. Ses auto-publicités sont QUÉQUE CHOSE à zieuter et à ouïr : on dirait du Peter McLeod revu et corrigé par Guy A. Lepage quand celui-ci joue à la star grippette et suffisante. Dieu que le gros garçon de RDS s’aime ! Et Dieu qu’il aime le sport, mais de préférence celui qui paie bien son homme, qui se joue sur patins, et qu’on appelle hockey.

Comme Buisson jouit à visiter les énormes maisons des vedettes de la Ligue Nationale, comme il bave de contentement à s’asseoir dans l’une ou l’autre des Porsche, des Ferrari et des Vipe qu’elles possèdent ! Pose-t-il une seule question pertinente sur le métier que pratiquent ces joueurs payés jusqu’à dix millions de dollars par an tout en étant incapables de scorer ne serait-ce que trente buts par saison ? Voyons donc ! À quoi pensez-vous ? Ça ne serait pas très américain de le faire et en ce sens-là, Buisson est un as en son genre. D’une entrevue à l’autre, il reste donc fidèle à lui-même, insignifiant et satisfait de l’être.

Il faut dire que Buisson, qui a appris son métier en écoutant parler Jacques Demers et Michel Bergeron, a de qui tenir, les deux utilisant une langue qu’on ne sait plus si c’en est une ou non tant le code syntaxique français y est malmené. Il n’y a que Paul Martin, le premier ministre du Canada, pour parler aussi mal dans une incohérence de pensée à proprement parler ahurissante.

On aurait pu croire qu’avec le lock-out des propriétaires de la Ligue Nationale, RDS en profiterait pour faire preuve d’un peu d’audace, substituant à la télédiffusion des matches de hockey annulés quelques émissions qui ne fussent pas que de vrais placotages. Détrompez-vous ! RDS nous propose plutôt des reprises des vieux matches Canadiens-Nordiques, des séries éliminatoires du passé et de la série dite du siècle entre le Canada et l’Union soviétique… avec, pour les commenter, des journalistes dits sportifs, parmi lesquels Jacques Demers et Michel Bergeron, bien évidemment. Une vraie pitié, à écœurer même l’amateur le moins critiqueux du monde.

Mises à part les pitreries de Paul Buisson et les inepties débitées par la plupart de ses commentateurs, à quoi s’alimente RDS ? Aux grands réseaux de télévision américains qui déterminent formats et contenus. Les images des sports, y compris les nôtres pour la plupart, nous parviennent donc filmées par les Américains, selon leurs besoins et leurs façons de voir et d’entendre. Ce qui est gravé dans l’image ne pouvant s’enlever, la langue américaine y est donc omniprésente. Dans les grands shows que sont devenus la présentation des éliminatoires du baseball et le Super Bowl, cette omniprésence est hallucinante, RDS se contentant à toutes fins utiles de n’être qu’une courroie de transmission. Aussi bien dire qu’on renonce à toute critique au profit d’un enthousiasme tout béat de juvénile admiration.

Imaginez alors ce que devient cette juvénile admiration quand c’est de sport automobile qu’il s’agit. Ah ! la formule un, et ce retour de Jacques Villeneuve chez Sauber, sa nouvelle écurie ! Oubliée l’année de misère qu’a connue à sa dernière saison chez BAR le dénommé Villeneuve. Oubliées aussi les prestations honteuses du Grand Prix de Tokyo sous les couleurs Renault. Ce n’était pas Villeneuve qui était le coupable, mais ses voitures, mal ajustées, mal alignées, mal freinantes dans les courbes et trop freinantes dans les droits. Des conférences de presse en forme de lamentations pour des journalistes bavant de joie. Quel grand pilote que ce Jacques Villeneuve, même si ça ne semble pas mieux aller chez Sauber que chez Renault ou que chez BAR. C’est la faute au Bonhomme Michelin, dont les pneus ne savent pas rouler pour Sauber !

Pourtant, le sport automobile plus que tout autre porte flanc à la critique : symbole du grand capitalisme sauvage qui le commandite, il est le plus bruyant, le plus polluant et le plus coûteux de tous. Mais cela, vous n’en entendrez jamais parler à RDS. Quand on se manualise tous les jours en regardant des reprises des matches de hockey Canadiens-Nordiques, on est mal guiré pour toucher de près ou de loin à la symbolique, ne serait-ce que celle des pneus du Bonhomme Michelin !