Les PPP c’est une arnaque

Il nous a fallu 10 ans pour retrouver notre service public

Les mairies françaises se départissent de plus en plus des Partenariats public-privé ou PPP (appelés Gestion déléguée en France). C’est ce que sont venus expliquer aux Québécoises et Québécois, le 12 février dernier à Montréal et le lendemain à Québec, Raymond Avrillier, maire adjoint de la ville de Grenoble et responsable de l’eau et de l’assainissement des eaux, Dominique Barret, adjoint au maire et président de la Régie autonome de l’eau et de l’assainissement de Neufchâteau et Jean-Luc Touly, président de l’Association pour un Contrat mondial de l’eau de France.

Invités par la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau – Eau Secours!, en collaboration avec l’Association québécoise pour un contrat mondial de l’eau AQCME et les AmiEs de la terre de Québec, les trois spécialistes ont jugé opportun de traverser l’Atlantique afin de partager avec nous leur expérience de première main et nous expliquer - et même justifier - les raisons qui les ont poussés à mettre fin à des contrats de très longues périodes signés avec des multinationales de l’eau.

Raymond Avrillier est maire adjoint de Grenoble. Il est l’instigateur du retour en régie de la gestion de l’eau et responsable de l’emprisonnement de l’ancien maire et ministre Alain Carignon, ministre de l’Environnement du gouvernement Chirac de 1986 à 1988, condamné à la prison pour avoir usurpé de biens sociaux dans le dossier de l’eau de Grenoble.

Dans une présentation très étoffée, il a décrit la longue lutte pour reprendre le contrôle du service privatisé illégalement en 1989. « Il nous a fallu 10 années d’actions politiques soutenues pour retrouver notre service public, ce qui démontre bien qu’une fois un service public délégué ou privatisé , tout est fait pour rendre cette décision difficilement réversible », déclare M. Avrillier. Les coûts de l’eau « frôlaient la catastrophe durant la gestion privée, explique-t-il, avec une augmentation de 102 % du prix à l’usager, en euros constants de 1988 à 1995 ».

À l’aide de tableaux graphiques fort révélateurs, le conférencier a démontré l’amélioration de la qualité du service depuis la re-municipalisation. Diminution de 50 % des coûts depuis la re-municipalisation en 1995 par rapport à ce que seraient devenus les tarifs si les contrats de délégation au privé n’avaient pas été annulés.

« De plus, ajoute-t-il, nous avons un service de meilleure qualité. Par exemple, trois à quatre fois plus de travaux d’entretien sont effectués que pendant la gestion privée. Les usagers sont conseillés pour utiliser de manière économe l’eau, ce qui est aussi une politique sociale. La consommation d’eau des bâtiments et équipements communaux a été réduite de 20 % et, finalement, les usagers et le personnel sont réellement associés aux décisions. Ces dernières sont prises démocratiquement. »

Le conférencier en profite pour nous présenter un graphique sur l’état des prix de l’eau en France, qui démontre hors de tout doute que les prix de l’eau sont moins élevés dans les villes qui opèrent en régie que dans celles qui ont délégué la gestion par PPP.

Pour Raymond Avrillier, la re-municipalisation des services d’eau « a pu être menée parce qu’il y a eu une volonté politique. » Il fait l’éloge de « la ténacité de quelques-uns », d’abord un groupe d’élus écologistes, puis une association d’usagers nommée « Eau secours » (!!!).

Après les manifestations et les luttes de 1989 pour éviter la « délégation au privé, il a fallu, raconte Raymond Avrillier, poursuivre les actions dans la durée. Après les engagements électoraux de 1995 à Grenoble qui disaient nous re-municipaliserons le service public de l’eau, il a fallu encore cinq ans pour obliger nos partenaires à tenir, en actes, cet engagement. Pour mener cette action, nous avons engagé des actions publiques, effectué le contrôle des prix et de la légalité que n’ont pas voulu faire les autorités qui en ont eu la responsabilité, engagé des actions auprès des justices administratives, financières et correctionnelles qui nous ont donné raison, mais avec beaucoup de retard ».

Le conférencier partage avec le public une des leçons de cette action publique pour l’eau de Grenoble: « Accéder aux informations; disposer d’analyses pluralistes indépendantes des groupes privés; mener le débat public contradictoire avant des prises de décision; effectuer et exposer des choix clairs de politiques publiques qui soient contrôlables et adaptables. L’eau est une ressource naturelle et un droit trop précieux pour le laisser au marché. C’est un service public essentiel qui ne peut être guidé par les logiques de profit. Les décisions publiques doivent échapper à la corruption et aux intérêts privés », conclut-il.

Raymond Avrillier retient beaucoup d’enseignements de cette expérience. « Cette leçon est essentielle alors que de nombreux pays européens et les pays en développement sont sous la pression de gouvernements et d’autres organismes (Banque Mondiale, OMC, AGCS, G8, Commission européenne) qui cherchent à imposer la privatisation et les PPP, sur le modèle des délégations à la française, qui se résument au principe, jamais affiché mais ô combien pertinent : les profits pour le privé, les risques pour le public et les coûts pour la population ».

Dominique Barret est adjoint au maire et président de la Régie autonome de l’eau et de l’assainissement de Neufchâteau. Il nous a fait un bref rappel historique des événements qui provoquèrent l’interruption d’un long contrat longue durée signé avec la Compagnie de l’eau et de l’ozone (CEO), filiale de Veolia, ex-Vivendi, ex-Compagnie générale des eaux.

Peu de temps après la signature du contrat, les choses se gâtent vite lorsque la mairie réalise que le tarif a tendance à augmenter. « Nous n’avons pu obtenir la moindre explication », relate-t-il. La mairie décide alors de faire réaliser une étude sur le prix de l’eau, qu’elle confie à un consultant indépendant. L’eau aurait dû coûter 2,90 euros le mètre cube (4,75 $ Ca), alors que la compagnie la facturait 3,65 euros (5,96 $ Ca). Dès lors, la mairie commence à envisager le retour en régie publique. Mais la compagnie multiplie les pressions et offre aux élus des incitatifs (corruption !) que ces derniers refusent. Après les élections municipales de 2001, le contrat est donc résilié et une nouvelle régie voit le jour.

La ville a trouvé les compétences nécessaires puisque la majorité du personnel de la compagnie privée a accepté de rester dans la nouvelle régie. Cette dernière, autonome, gère son propre budget. Depuis 2001, de dire Dominique Barret, « la régie a engagé pour 1,5 million d’euros (2,45 millions $ Ca) de travaux pris sur les bénéfices qu’elle a déjà réalisés, puisque ceux-ci retournent désormais à l’eau. Mieux : elle a engagé la construction d’une nouvelle station d’épuration pour la fin de 2005. Et la consommation a baissé de 22 %, du fait de la réduction des fuites. Cette expérience nous démontre bienqu’il est possible de revenir au public, mais avec beaucoup de détermination quoi qu’il soit préférable de ne pas arriver à ce stade ».

Jean Luc Touly est un agent de maîtrise, employé (libéré pour activités sociales) de Vivendi. Il y a travaillé un bon nombre d’années avant de réaliser les anomalies qui régnaient dans cette affaire de la privation de l’eau. Que cachait donc le robinet d’eau des Français ? Des montagnes d’argent et des secrets bien gardés : enrichissements vertigineux, fuites de capitaux, financements occultes, pratiques d’influence douteuses, « arrosage » tous azimuts, achats de syndicalistes, manipulation d’élus, rapports dissimulés, bénéfices cachés. La Compagnie générale des eaux Vivendi (rebaptisée Veolia) est derrière nombre d’entre eux.

« Il ne faut pas sous-estimer le rôle des banquiers, dit-il, dans la question des infrastructures d’eau et leur financement. » Par exemple, les banquiers ont prêté de l’argent à la ville de Toulouse. Ce capital versé se devait d’être remboursé à même les deniers publics, soit par des impôts, soit par une facture spéciale et distincte des autres. Mais la collectivité n’avait pas donné son consentement et tout laissait croire à des échanges de pots-de-vin à cette époque. On rapporte que les taux d’intérêt pouvaient monter facilement jusqu’à 12 %.

C’est pour mettre un terme à ces pratiques qu’un Jean-Luc Touly indigné et un journaliste d’investigation, Roger Lenglet, ont décidé de tout révéler en écrivant un livre. Touly explique comment la multinationale siphonne l’argent des Parisiens et des habitants d’Ile-de-France à leur insu, via leurs factures d’eau. Il explique également les dessous d’un des plus gros scandales du siècle : la disparition, vers un compte « offshore », des provisions versées depuis de nombreuses années par les municipalités en vue de rénover les réseaux de distribution d’eau.

Le conférencier ajoute que « personne ne nous écoutait, la presse dans l’ensemble n’avait d’yeux que pour le brillant patron de Vivendi. Ce fut une longue période de combat, ponctuée d’actions et de critiques. Nous avons même demandé la démission du PDG de Vivendi. Là, nous passions franchement pour des fous. Nous étions pourtant simplement lucides. Nous savons que par la suite Jean-Marc Messier, PDG de Vivendi, a dû démissionner. Toute une saga administrative, syndicale, juridique, médiatique avant de terminer par une victoire finale et sans équivoque ».