Dorénavant Télésur émettra 24 heures sur 24

On ne peut pas laisser la télé aux mains de l’ennemi

Le 24 janvier, le conseil des ministres du Venezuela approuvait le décret créant Telesur, une chaîne de nouvelles par satellite qui vise à devenir l’équivalent latino-américain de la chaîne arabe Al-Jazira, financée par le gouvernement du Qatar.

Dans une entrevue qu’il accordait le 6 mars dernier à Blanche Petrich du quotidien mexicain La Jornada, Aram Aharonian, journaliste uruguayen vivant au Venezuela et directeur général de la nouvelle chaîne, dit qu’elle sera « le premier projet de communication contre-hégémonique qu’aura connu l’Amérique du Sud en matière de télévision ».

Telesur est une entreprise (Nueva Televisora del Sur SA) qui compte déjà sur deux actionnaires : les gouvernements du Venezuela et de l’Argentine. Elle a aussi le soutien technique et financier des institutions brésiliennes et uruguayennes.

Le Brésil apporte surtout le partenariat très actif de TV Brazil qui, au plan national et en langue portugaise, cherchera elle aussi à contrer les effets de la télévision commerciale. Quant à l’Uruguay, le nouveau président de gauche, Tabaré Vasquez, s’est engagé à fournir 10 % du contenu de la chaîne latino-américaine.

Telesur, poursuit Aharonian, naît « de l’urgence de nous voir avec nos propres yeux et de trouver des solutions propres à nos problèmes. »

« C’est un rêve pour lequel ont lutté beaucoup de compagnons qui sont tombés en chemin », le plus loin qu’ils se soient rendus étant la création d’agences de nouvelles, de journaux alternatifs et de radios communautaires.

Mais ce qui rend cette fois possible le saut jusqu’à la communication de masse est un fait de grande importance: « Pour la première fois dans l’histoire du Venezuela, explique le DG de Telesur, les profits liés au pétrole (qui, auparavant, s’envolaient dans des comptes à l’étranger) atteignent la population et produisent même les excédents permettant de porter ce projet d’intégration communicationnelle latino-américain ».

« Cela n’aurait pu être possible il y a dix ans car notre continent n’avait pas le réseau politique (Chavez, Lula, Vasquez, Castro et Kirchner) pour un tel projet. »

Telesur a donc de l’argent, ce qui ne s’est jamais produit avec les médias alternatifs, maintenus pauvres et chacun dans leur créneau par les ONG (souvent étrangères) dont ils dépendent.

Le présentateur colombien de télévision et auteur de documentaires, Jorge Enrique Botero, directeur de l’information de Telesur, ajoute: « On ne peut pas laisser la télévision, le média ayant aujourd’hui le plus d’impact, aux mains de l’ennemi ! »

« Le gouvernement vénézuélien a accordé une grande importance aux radios communautaires, mais il a laissé la communication de masse à son ennemi. Aujourd’hui, il se rend compte que l’alternatif atteint au mieux les 5 % ou 7 % de l’audience générale. »

« C’est, au fait, Fidel Castro qui, il y a quatre ans, lors d’un congrès de journalistes à La Havane, nous a proposé de développer un CNN latino-américain des peuples. »

La direction de Telesur est internationale et composée de professionnels du journalisme. Son président est Andres Izarra, ministre de l’Information vénézuélien et ex-journaliste, tandis que, outre Botero et Aharonian, les autres dirigeants sont Ana de Escalom, directrice de Canal 7, en Argentine, Beto Almeida, syndicaliste de l’Association des journalistes du Brésil et Ovidio Cabrera, ex-président de la radio-télévision cubaine.

La nouvelle chaîne est présentement en tournée latino-américaine à la recherche de talents, de ces « générations entières de réalisateurs en attente d’un moyen de communication ». L’an passé, dit Botero, sur 640 documentaires produits en Amérique latine, seuls 21 ont joui d’une diffusion appropriée.

C’est pourquoi Telesur lance déjà un premier projet: l’Usine latino-américaine de contenus (Fabrica latinoamericana de contenidos, ou, FLACO).

« Il ne s’agit pas d’une maison de production, explique Aharonian, mais d’un petit institut qui a pour but de collecter la production audiovisuelle de qualité (documentaires, fictions cinématographique et télévisuelle, etc.) existant en Amérique latine. »

Pour financer la FLACO, les responsables de Telesur ont trouvé des commanditaires comme le Mercosur, PDVSA et Petrobras (pétrolières vénézuéliennes et brésiliennes), de même que des compagnies aériennes et instituts de développement touristique latino-américains. Telesur leur garantit un grand nombre de téléspectateurs en échange de leur investissement.

« Le critère commercial est indispensable pour survivre, dit Aharonian. Autrement dit, il n’y aura pas de publicité de consommation, mais il y aura bien cet autre type de publicité provenant des institutions privées et publiques ».

« Toujours à une condition: les commanditaires, qu’il s’agisse du gouvernement Chavez ou d’une compagnie privée, n’auront rien à voir avec la ligne éditoriale. »

Une ligne éditoriale qui sera résolument progressiste et voguera allègrement entre deux rangées de balises: « rien contre l’intégration régionale et tout pour la lutte contre la globalisation néo-libérale ».

Dès le mois de mai, en principe, Telesur émettra 24 heures sur 24 à raison de trois créneaux de huit heures se répétant en grande partie les uns les autres. La majeure partie de la production sera propre à la chaîne.

L’accent portera sur l’information: journaux télévisés, programmes d’opinions, entrevues. Elle s’alimentera également de la production audiovisuelle des réalisateurs de tout le continent qui souhaitent y participer.

« En plus, explique Botero, des correspondants prévus dans notre personnel (deux au Brésil et un chacun à Los Angeles, Mexico, Bogota, Caracas, Lima, La Havane et Buenos Aires), nous voulons un réseau de collaborateurs dans le domaine du journalisme. »

« Nous souhaitons des contrats avec les médias indépendants qui se démarquent par leur ligne éditoriale afin qu’ils deviennent notre base d’opération dans leurs pays respectifs. »

Comme TV Brazil, bien sûr, mais aussi Telepacifico et Canal Capital, deux chaînes régionales colombiennes à qui Telesur a proposé un partage d’émissions.

« Notre approche, promet Aharonian, fera le contraire de ce que fait la télévision commerciale. Elle octroiera le rôle principal aux mouvements sociaux, aux gens, aux communautés et aux peuples. »

Une plage quotidienne d’une heure est déjà réservée à ce qui se dit dans les communautés grâce à des reportages qu’elles réaliseront elles-mêmes.

« Les Latino-américains, lance Botero, apparaissent de moins en moins dans les bulletins d’informations; on sait beaucoup de ce qui se passe en Tchétchénie mais trop peu de ce qui arrive au coin de notre rue. »

En d’autres mots, si Telesur avait existé au cours des derniers mois, elle aurait couvert davantage les élections à Montevideo et beaucoup moins le procès de Michael Jackson.

« Nous allons toucher des thèmes, dit encore Aharonian, qui, tout d’un coup, disparaissent du radar des médias commerciaux et qui ne cessent pas pour autant d’être de l’information. Nous voulons raconter les histoires du début à la fin. »

Pour Jorge Botero, Telesur va se distinguer de la télévision commerciale à plusieurs niveaux: style, ton, mouvements de caméra. « Nos présentateurs auront un style familier, nos journalistes raconteront des histoires et seront des reporters, pas des marionnettes juste bonnes à lire le téléprompteur ! »

« Notre ton sera celui du dialogue, il va interpeller le public mais pas de la manière agressive habituelle de la télé commerciale. Nous allons avoir des caméras en action, très vivantes, dans les rues, recherchant les angles que les autres ne prennent pas. »