Les clubs politiques sont une véritable révolution

La prochaine élection ne sera pas un rendez-vous ordinaire

*Etes-vous d’accord que le Parti Québécois doit effectuer un virage à 180 degrés ? Etes-vous prêt à accueillir des courants politiques dont les membres se regrouperaient dans des clubs politiques autonomes, à l’extérieur du parti, un peu comme cela existe dans le Parti socialiste français ? » J’ai posé ces deux questions à Bernard Landry lors d’une rencontre au mois de juillet 2003.

M. Landry, c’est connu, est un sanguin et son visage en a témoigné. Mais il n’a pas hésité un instant. « Oui, monsieur Dubuc, je veux que notre parti redevienne la grande coalition qu’il a été au cours des années 1970, alors que syndicalistes et créditistes s’y côtoyaient. Je ne pose que deux balises : le Parti Québécois doit demeurer un parti souverainiste et progressiste. »

Sa réponse ne m’a pas étonné, car le Dr Denis Lazure, qui avait organisé la rencontre, m’avait assuré de l’accord entier de M. Landry à cette démarche que nous amorcions et qui allait mener six mois plus tard à la création du club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre).

En fait, tout a débuté, au lendemain des élections du printemps 2003, lors d’une conversation téléphonique avec le Dr Lazure, avec lequel je discute à l’occasion de la situation politique, depuis qu’il a tenu une chronique dans les pages de l’aut’journal lors de la campagne référendaire de 1995.

Précisons que, à l’époque du Déficit zéro, l’aut’journal s’est impliqué dans la création du Rassemblement pour une alternative politique (RAP) et a suivi de près, par la suite, les activités de l’Union des forces progressistes (UFP). Parallèlement à cette démarche, nous avons lancé, avec notre collaborateur Paul Cliche, le débat sur la nécessité d’une réforme du mode de scrutin, la percée d’un tiers-parti étant impossible sans l’instauration de la proportionnelle.

La victoire du Parti libéral a modifié complètement la donne. Manifestement, le nouveau gouvernement Charest n’est pas intéressé par une véritable réforme du mode de scrutin. Le dépôt du projet du ministre Dupuis le confirme.

Plus fondamentalement, la défaite péquiste a marqué la fin d’un cycle amorcé avec la victoire électorale de Jacques Parizeau en 1994. Un nouveau cycle s’est enclenché et la déclaration de Bernard Landry de tenir un référendum rapidement après l’élection d’un gouvernement du Parti Québécois remet à l’ordre du jour la question nationale, mise sur la touche depuis la défaite référendaire de 1995.

Nous avons convenu, le Dr Lazure et moi, que le prochain rendez-vous électoral ne serait pas un rendez-vous ordinaire. La mobilisation populaire contre les mesures anti-sociales du gouvernement Charest et la promesse d’un référendum créent un contexte qui ne laissera pas beaucoup d’espace politique à un parti de gauche.

D’autre part, les fédéralistes, sachant depuis 1995 qu’ils peuvent perdre un référendum, déploieront des moyens énormes pour empêcher l’élection du Parti Québécois. Devant une telle adversité, le Parti Québécois ne peut compter que sur la mobilisation de ses militants et n’a d’autre choix que d’opérer une transformation radicale.

Depuis quelque temps déjà, je réfléchissais à la possibilité – à défaut de pouvoir obtenir une réforme du mode de scrutin – d’établir une forme de « proportionnelle » à l’intérieur même du Parti Québécois, en s’inspirant des statuts du Parti socialiste français.

Monique Richard, Marc Laviolette, Luc Desnoyers, Robert Dean, Michel Parent et plusieurs autres syndicalistes à qui le projet a été soumis s’y sont montrés fort intéressés. Il en fut de même pour des progressistes comme Vivian Barbot ou d’ex-membres du Parti Québécois, comme Mario Beaulieu, ancien président du PQ Montréal-Centre, ou Martine Ouellet, qui a déjà siégé à l’Exécutif national du Parti Québécois, et est aujourd’hui vice-présidente de la Coalition Eau-Secours.

L’idée a plu, mais encore fallait-il s’assurer que la direction du Parti Québécois donne son accord. C’est dans ce contexte que le Dr Lazure, lui-même gagné à l’idée, a organisé la rencontre avec Bernard Landry.

Par la suite, les choses sont allées rondement. Une centaine de personnes assistent à l’assemblée de fondation du SPQ Libre en février 2004, les membres du club politique participent activement à la Saison des idées, et l’Exécutif national du Parti Québécois dépose, pour adoption au congrès du mois de juin, des modifications majeures aux statuts. On y reconnaît l’existence de clubs politiques et ces derniers conservent leur autonomie en matière de membership, de financement et d’organisation. Ils participent aux différentes instances du parti par le biais de leurs représentants.

Cette reconnaissance des clubs politiques est une véritable révolution de nos traditions politiques et doit être portée au crédit de M. Landry. Les journalistes et commentateurs de la scène politique n’en ont pas jusqu’ici pris la mesure, peut-être parce que trop obsédés par le prochain vote de confiance à l’égard du chef du parti.

Un accueil théorique à des courants de pensée dans les statuts est une chose. Sa reconnaissance pratique dans la vie du parti exigera beaucoup de doigté de la part de la direction du parti et d’auto-discipline des différents courants. Pouvoir exprimer ses singularités politiques tout en cohabitant dans les différentes instances du parti est un défi et un passage obligé. Car il ne peut y avoir coalition de courants à la base et pensée unique au sommet.

La campagne électorale qui s’amorce pour combler les différents postes du nouveau conseil exécutif national sera un bon test. Elle permettra de mesurer l’ouverture à la diversité et de vérifier si la « culture du consensus unanime » est chose du passé.

La vie interne du Parti Québécois au cours des prochains mois exercera une influence décisive sur ce large secteur de la gauche québécoise qui observe présentement l’expérience de SPQ Libre. Au lendemain du congrès du mois de juin, la gauche progressiste devra se positionner.

L’UFP doit aujourd’hui reconnaître que la prochaine élection se jouera selon les mêmes règles que la dernière. Dans ces conditions, fait-elle sienne le slogan « libérez-nous des libéraux » ? Met-elle le cap sur la souveraineté ? L’UFP fait fausse route en faisant de facto de la réforme du mode de scrutin l’article 1 de son programme, substituant ainsi le moyen au but.

Françoise David de l’Option citoyenne a déclaré qu’elle ne serait pas la Ralph Nader du Québec et qu’elle envisagerait des « négociations stratégiques » avec le Parti Québécois. Son approche serait alors d’obtenir que ce dernier lui concède un ou deux comtés, en échange d’un appel lancé aux membres de l’Option citoyenne d’appuyer les candidatures péquistes dans les autres circonscriptions.

Ce qui ne serait pas sans créer des embûches du côté du Parti Québécois. Les membres des circonscriptions désignées ne céderont pas de bon cœur leur comté à une candidature UFP-Option citoyenne, même de Françoise David, surtout si celle-ci ne se prononce pas clairement pour la souveraineté.

D’autre part, si elle se déclare souverainiste, les péquistes seront en droit de lui demander pourquoi elle et ses partisans n’adhèrent pas tout simplement au Parti Québécois, pour y créer leur propre club politique et briguer l’investiture péquiste dans les circonscriptions de leur choix ?

Lorsque le Parti Québécois aura adopté, à son congrès de juin, ses nouveaux statuts et démontré qu’il fonctionne, de la base au sommet, comme une véritable coalition, la question sera encore plus pertinente.

*L’auteur est directeur de l’aut’journal. Il vient de faire paraître « SPQ Libre, Manifeste syndicaliste et progressiste pour un Québec libre » (Éditions Trois-Pistoles).