Une mémoire sans mémoire, oubliez ça !

Livre : Redonner sens à l’indépendance

On distingue pour l’essentiel quatre positions concernant la rencontre de la mémoire francophone et de la diversité des acteurs qui veulent maintenant se faire entendre à titre de Québécois de plein droit.

Certains estiment que la seule manière de faire du projet souverainiste celui de tous les Québécois consiste à ne plus l’associer à la mémoire francophone. Il s’agirait donc de penser le devenir du Québec en tant que simple communauté de citoyens à l’intérieur de laquelle les Québécois de souche canadienne-française devraient renoncer à s’avancer au nom de leur histoire particulière. Cette première position aurait l’avantage de rallier ceux qui suspectent le nationalisme québécois ce n’être que l’affaire des Québécois francophones de souche et de les rendre peut-être plus sympathiques à la cause de la souveraineté.

Elle a l’inconvénient de faire disparaître une partie des raisons passionnelles pour lesquelles de nombreux francophones voudraient faire du Québec un pays. La question qu’elle soulève est celle de savoir pour quelles raisons il faudrait alors réaliser la souveraineté.

La deuxième position, à la différence de la précédente, ne renonce pas à la présence du passé canadien-français. Elle travaille cependant à le relativiser de manière à n’en conserver que les aspects acceptables du point de vue de ceux qui ne peuvent ou ne veulent se réclamer de ce passé. C’est la posture qu’a adoptée Gérard Bouchard, parmi de nombreux autres.

Cette vision est actuellement la plus répandue dans le milieu intellectuel. Elle a l’avantage de vouloir réconcilier le projet d’une inclusion de tous dans le projet québécois et la préservation d’une part de la mémoire canadienne-française. Ce qui serait digne de demeurer comme éléments de l’identité québécoise se résume à la langue française, à des symboles collectifs et à des valeurs comme la solidarité.

Le problème réside en ceci que dans cette perspective, la mémoire que l’on veut préserver est vidée du sentiment que partagent tant de Québécois de souche canadienne-française d’un destin particulier en Amérique.

La troisième position consiste à penser l’avenir du Québec sans renoncer à ce que porte la mémoire francophone mais en la débarrassant de la représentation victimaire et paralysante du passé canadien-français. C’est la position de Jocelyn Létourneau dont on dit parfois qu’elle alimente les thèses fédéralistes.

Une quatrième position se distingue par l’affirmation de la centralité de l’histoire et de la mémoire dans l’édification de toute société. De ce point de vue, il faut certes défendre les droits des uns et des autres et promouvoir une citoyenneté égalitaire dans une société comme celle du Québec, mais on ne saurait pour autant ignorer que cette société s’est construire dans le parcours historique d’une majorité de Québécois de souche canadienne-française.

Ces derniers ont toujours été partie prenante du Canada et de l’aventure nord-américaine, mais ils se sont aussi représentés dans le sentiment de constituer une exception en Amérique. Ce sentiment les a conduits à affirmer leur singularité et, depuis les années 1960, à conférer une dimension politique à cette volonté. C’est la position que nous défendons.

Lorsque nous disons que les acteurs sociaux font l’histoire, il faut entendre par là qu’ils expriment toujours dans les institutions qu’ils se donnent une certaine représentation subjective de leur « être ensemble ». Le problème que soulève cette vue des choses tient au fait que les sociétés contemporaines se méfient des revendications collectives qui invoquent la mémoire parce qu’elles constituent aux yeux de certains une atteinte potentielle aux droits de la personne. Il est donc devenu difficile de démontrer la légitimité des revendications nationalistes. C’est cependant cette position que je défends dans ces pages et c’est aussi en elle que je veux trouver des arguments favorables à la souveraineté.

Redonner sens à l’indépendance, Les intellectuels pour la souveraineté (IPSo), vlb éditeur, 2005