La plus forte hausse des dépenses depuis 20 ans

Un alignement complet sur la vision guerrière de Washington

C’est un virage important qu’a pris le Canada, au mois d’avril, en annonçant une réorientation de sa politique étrangère. Le document très attendu intitulé Fierté et influence: notre rôle dans le monde, trace les grandes lignes de la stratégie du Canada sur la scène internationale pour les années à venir. Au menu : un alignement presque complet sur la vision guerrière de Washington.

« En matière de défense, il n’y a plus beaucoup d’ambiguïté, affirme le professeur Yves Bélanger, directeur du Groupe de recherche sur l’industrie militaire de l’UQAM. C’est une politique qui est plus que jamais collée sur celle des États-Unis. »

Alors que plusieurs journalistes, dont Bernard Derome à Radio-Canada, prétendaient que l’axe principal concernerait « une aide accrue aux pays pauvres », des changements majeurs dans les orientations militaires du Canada sont passés presque inaperçus. « Est-ce que c’était prémédité ? Je ne dis pas ça, mais c’est le résultat que nous avons vu en tout cas », souligne le chercheur.

Dans la droite lignée du dernier budget fédéral qui comprend la plus forte hausse des dépenses militaires des 20 dernières années, le document annonce que le Canada doublera ses capacités d’intervention outre-mer grâce à de nouveaux investissements. Le plan parle aussi d’une augmentation des troupes de 5000 réguliers et de 3000 réservistes, en plus de la création d’un « groupe d’opérations spéciales », prêt à être déployé rapidement à l’étranger. Les forces armées seront dotées de nouveaux équipements, notamment des hélicoptères de transport moyens, de plus gros navires et des appareils téléguidés.

Alors que d’importantes luttes intestines opposent habituellement entre elles les trois armes (armée, marine, aviation) au sein de la Défense nationale, Yves Bélanger croit que cette généreuse augmentation du budget ravira l’ensemble des militaires canadiens. « Il y a une injection massive de ressources, et cette fois, il va y en avoir pour tout le monde, même si le plus gros va à la marine. »

« Il y a clairement une course aux armements en ce moment, remarque le chercheur. Le but est de créer un fossé technologique entre l’Asie et l’Amérique du Nord, pour que l’Amérique puisse continuer à régir les règles de l’économie mondiale ».

Un des changements d’orientation les plus importants que vient d’introduire le gouvernement Martin concerne l’importance accordée aux institutions internationales. La nouvelle politique parle de la « responsabilité de protéger » des populations menacées par leur gouvernement et envisage même la possibilité d’intervenir militairement dans certains pays sans l’approbation de l’ONU. Une réorientation majeure, puisque le Canada s’est toujours fait officiellement le promoteur du multilatéralisme sur la scène internationale.

« C’est fascinant, s’exclame Yves Bélanger. Il y a une reclassification complète de l’ordre des priorités. On relègue l’ONU et l’OTAN à des rôles de second plan, voire même plus loin encore. »

Il tient à préciser qu’à la lecture du document, la position canadienne demeure beaucoup moins idéologique que celle des États-Unis, mais que cela ne change pas grand chose, « puisqu’on en arrive aux mêmes conclusions ».

« Ce document nous dit que le Canada est d’abord un pays commerçant, et que pour que son commerce puisse fleurir, ça prend un monde stable, une politique commerciale compatible avec celle de nos alliés et une politique de défense qui vienne l’appuyer. » Il ajoute que « maintenant, on voit l’environnement international comme un endroit fondamentalement instable et dangereux », tout en précisant que les quelques rêves de paix et de démilitarisation de la dernière décennie sont morts et enterrés.

On retrouve même dans la politique canadienne des traces de la terminologie caractéristique de l’administration Bush, qui a inventé le terme « d’États voyous » pour désigner des pays qu’elle a dans sa mire. La version canadienne, plus polie, préfère les termes « États en déroute » ou « États défaillants ». Nulle précision sur qui peut bien les avoir mis en déroute. « Ils n’ont pas voulu utiliser la même terminologie que les Américains, mais on dirait qu’ils se sentent quand même obligés d’utiliser un terme pour désigner certains types d’États », remarque Yves Bélanger.

Il y a déjà plusieurs années que le gouvernement fédéral planchait sur un nouveau document stratégique sur la position du Canada dans le monde. L’universitaire est convaincu que, cette fois, la voie est tracée pour une très longue période à venir. « Cette nouvelle politique vient confirmer un phénomène présent depuis cinq ou six ans, je crois donc qu’elle est là pour durer. Ce n’est pas un coup de gueule ou l’émanation d’un fantasme. C’est une vision qui a développé des racines au sein du ministère et de la Défense nationale. Ceux qui ne partageront pas ces orientations devront les combattre au cours des prochaines années. »

Il ajoute que ce grand chamboulement de la politique étrangère canadienne pourrait n’être qu’un début. « La question qu’il faut se poser est : jusqu’où ça va aller ? Je pense que le recul de Martin sur le bouclier anti-missile n’est pas la conclusion d’une guerre, ce n’était qu’une bataille. Je ne serais d’ailleurs pas surpris de le voir revenir avec ça. Ce serait l’évolution logique, en continuité avec la nouvelle politique étrangère. »