Le Canada revient sur la scène du crime référendaire

Éditorialistes et commentateurs du Canada anglais y sont tous allés de leur scénario d’horreur : un raz-de-marée du Bloc, une victoire du Parti Québécois et un troisième référendum.

Un climat de panique s’est installé au Canada anglais dans la foulée des révélations de Jean Brault à la Commission Gomery. Pendant que Radio-Canada essaie d’engluer toute la classe politique – souverainistes compris – dans la fange, la presse anglophone ne s’y trompe pas sur les enjeux véritables qui se posent maintenant que sont étalées au grand jour les différentes facettes du crime bien organisé du scandale des commandites.

Les éditorialistes et les commentateurs du Canada anglais y sont tous allés de leur scénario d’horreur qui est, le plus souvent, un « remake » de la partie en trois périodes qui constituait autrefois le plan de match de Jacques Parizeau. Un raz-de-marée du Bloc, suivi d’une victoire du Parti Québécois et la tenue d’un troisième référendum.

Si, jadis, les fédéralistes avaient pris quelque peu à la légère les prédictions de M. Parizeau, il en va tout autrement maintenant qu’ils savent qu’ils peuvent perdre un référendum. Leur stratégie est donc d’empêcher à tout prix le déclenchement d’élections ce printemps, question de se donner le temps de réanimer un Parti libéral aux soins intensifs.

D’énormes pressions sont exercées sur Stephen Harper, le chef du Parti conservateur, pour qu’il ne renverse pas, avec l’appui du Bloc Québécois, le gouvernement « avant la publication du rapport Gomery », ce qui reporterait les élections à l’automne, voire au printemps prochain.

Ces pressions proviennent de tous les horizons, des milieux d’affaires, des médias, de la gauche syndicale canadienne-anglaise et même de milieux proches du Parti conservateur.

Les « conseils » sont le plus souvent accompagnés de menaces à peine voilées. Si Harper s’allie aux « séparatistes » pour faire tomber le gouvernement, on lui promet une campagne électorale sur le thème de l’unité canadienne où il devra affronter le slogan libéra-*-*- « Un vote pour les conservateurs est un vote pour le séparatisme ». En somme, M. Harper aurait droit à une vraie campagne à la québécoise !

D’autres considérations font réfléchir M. Harper. Il sait que son programme de droite n’est pas populaire en Ontario – la province où il doit absolument faire des gains – et il ne veut pas tirer les marrons du feu pour le NPD qui bénéficie lui aussi dans les sondages de la descente aux enfers des libéraux.

Mais le NPD ne semble pas vouloir profiter de l’extraordinaire fenêtre qui s’ouvre avec la déconfiture des libéraux au risque de laisser passer sa chance unique de devancer les libéraux dans la faveur de l’électorat.

Bien que cela ne soit pas dit ouvertement, les fédéralistes craignent de se retrouver avec un Parlement « à l’italienne » – pour reprendre une expression popularisée jadis par Jacques Parizeau – c’est-à-dire un Parlement fédéral affaibli, divisé, face à un mouvement souverainiste revigoré.

Dans la fédération canadienne, où les forces centrifuges sont puissantes, les partis politiques fédéraux ont constitué historiquement les principales forces centripètes. Avec la scission du Parti conservateur et la création du Bloc Québécois suite à l’échec de l’entente du Lac Meech, il ne restait plus que le Parti libéral comme force politique présente d’un océan à l’autre. Avec la crise qui le secoue, l’éclatement du pays devient une perspective bien réelle.

La fracture du pays sera d’autant plus béante si le Bloc Québécois balaie les libéraux du Québec et devient l’Opposition officielle à Ottawa. C’est le scénario que veulent à tout prix éviter les fédéralistes et on n’est pas surpris de voir la famille Beaudoin de Bombardier mettre la main à la pâte et faire pression sur Gilles Duceppe pour qu’il repousse le déclenchement des élections, sous prétexte que des élections précipitées pourraient compromettre la production de son nouvel avion.

La panique est telle dans les rangs fédéralistes que le journal le plus important du pays, le Globe and Mail, a évoqué en éditorial la possibilité de rouvrir la constitution, faisant écho à une idée d’abord émise dans ses pages par André Pratte, l’éditorialiste en chef de La Presse.

Le Parti libéral fédéral est « mortellement blessé » comme l’écrivait l’ex-ministre libéral Claude Castonguay et on cherche désespérément qui pourrait mener campagne contre les « séparatistes » lors d’une prochaine campagne référendaire.

Le Canada anglais vit avec la nostalgie de Pierre Elliott Trudeau comme en témoigne la publication régulière de nouvelles biographies consacrées à l’ancien premier ministre. « Mais la trudeaumanie s’étiole », écrivait avec résignation un chroniqueur anglophone en constatant que la plus récente biographie intitulée Pierre a vite cédé la place en tête des best-sellers à une biographie de Terry Fox !

Un nouveau Trudeau serait le bienvenue et certains croient l’avoir trouvé dans l’intellectuel canadien-anglais Michael Ignatieff dont on fait ces jours-ci la promotion dans les pages des journaux fédéralistes. Récemment, le journal La Presse publiait un texte du professeur de Harvard, intitulé « Il faut se ressaisir ! Nous pourrions très bien nous retrouver bientôt en pleine crise constitutionnelle une fois de plus. »

Ignatieff serait favorable à la reconnaissance du Québec comme société distincte ou comme nation dans la constitution canadienne, mais n’hésiterait pas à avoir recours à la force pour empêcher l’indépendance du Québec.

Dans son livre La Révolution des droits, Ignatieff écrit que « ce n’est pas la nature des exigences du Québec qui est insupportable, mais la menace de sécession qui les accompagne. »

Il poursuit en mettant cartes sur table : « Le vrai problème est que nous n’avons pas la même vision de l’Histoire. Ce n’est pas une question de pouvoirs ou de droits, mais de vérité. Nous n’habitons pas la même réalité historique. Et il est grand temps d’y parvenir. Deux générations de Canadiens anglais ont demandé respectueusement : What does Quebec want ? Le temps est venu pour nous, Canadiens anglais, de dire qui NOUS sommes et ce qu’est NOTRE pays. Et la réponse est celle-ci : nous sommes un partenariat de nations, une communauté de peuples unis dans une citoyenneté commune et l’égalité des droits. Nous avons une histoire commune et, bon gré mal gré, il nous faut partager une MÊME vérité. »

Cette vérité, il la définit ainsi : « Et voici la vérité du Canada anglais. La conquête britannique de 1763, loin d’étouffer le fait français en Amérique du Nord, a apporté l’autonomie aux Canadiens-français pour la première fois. » C’est la Conquête, poursuit-il, qui « a assuré la survie d’un Québec démocratique en Amérique du Nord. »

Le message est clair. Le Québec doit en prendre acte, mais également la gauche canadienne-anglaise. Veut-elle la confrontation que nous promet Ignatieff ou une véritable solution démocratique à la question du Québec ? Ignatieff a au moins le mérite de replacer celle-ci dans sa perspective historique.

Dans la deuxième hypothèse, il vaut mieux débrancher le Parti libéral des appareils de soins intensifs, quitte à se retrouver avec « un Parlement à l’italienne »