Le Front commun fait virer le gouvernement

La perspective d’un règlement global pourrait faire le printemps

Qui aurait cru, au mois de janvier dernier, que la perspective d’un règlement global pour l’ensemble des négociations du secteur public et parapublic se dessinerait pour le printemps ? » nous déclare, avec un enthousiasme certain, Réjean Parent, le président de la CSQ.

Front commun oblige, tout le monde, en effet, croyait que la loi 30, qui impose à des votes d’allégeance syndicale dans le secteur de la santé, allait immobiliser les organisations syndicales jusqu’à l’automne 2005, voire au printemps 2006.

Mais ce nouveau délai créait beaucoup de mécontentement dans les rangs des deux autres grandes composantes du front commun, soit le monde de l’éducation et la fonction publique, où les conventions collectives sont échues depuis deux ans. La CSQ a donc décidé de se mettre immédiatement en marche et a constitué avec le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) et le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) un Secrétariat intersyndical des services publics.

Parallèlement à cette initiative, la Fédération des cégeps de la CSQ et la Fédération autonome du collégial formaient un cartel de négociation avec, nous disent Alain Dion de la FAC et Réginald Sorel de la FEC-CSQ, « des instances communes, des décisions communes, un plan d’action commun et une harmonisation des revendications ».

Profitant de l’élan donné par le mouvement étudiant, les syndicats de l’enseignement ont tenu une semaine de grèves rotatives avec une mobilisation sans précédent et un appui populaire à leurs revendications qui ne se dément pas.

Les syndicats d’autres affiliations ont humé l’air du temps et ont emboîté le pas. Au niveau collégial, la FNEEQ-CSN, qui représente les profs de la majorité des établissements (35 cégeps), a participé à une journée de grève le 25 avril avec la FAC (17 cégeps) et la FEC-CSQ (7 cégeps) et « coordonne dans une certaine mesure ses actions avec le cartel FAC-FEC », nous confirme Ronald Cameron, le président de la FNEEQ-CSN. Le personnel de soutien affilié à la CSN et à la FTQ a également débrayé.

Puis, le 26 avril, ce fut au tour des syndicats affiliés à la FTQ et à la CSN, qui représentent la grande majorité du personnel de la santé, de tenir une journée d’action nationale, devançant le plan préétabli.

Carole Roberge, présidente du SPGQ, Lucie Martineau, vice-présidente du SFPQ, Alain Dion de la FAC et Réginald Sorel de la FEC, que nous avons interviewés, confirment que leurs organisations sont en démarche exploratoire pour un règlement global au printemps.

Les espoirs syndicaux s’appuient bien entendu sur la vigueur et l’ampleur sans précédent de la mobilisation dans le milieu de l’éducation, mais les dirigeants ont aussi pris bonne note d’une déclaration de la présidente du Conseil du Trésor, Mme Monique Jérôme-Forget, au journal Le Soleil exprimant son intérêt pour une entente au printemps. Quelques jours après cette déclaration, des progrès significatifs étaient réalisés aux différentes tables de négociation après des mois de stagnation.

Les dirigeants syndicaux ont scruté à la loupe le dernier budget Audet dans l’espoir d’y débusquer les sommes nécessaires à la conclusion d’une entente. Si Carole Roberge du SPGQ s’inquiète des artifices comptables d’un budget où « la réfection des routes est inscrite au chapitre de la dette plutôt que dans les dépenses courantes », Réjean Parent considère que le ministre des Finances « a mis un garrot sur l’hémorragie » en renonçant à son programme de réduction d’impôts d’un milliard de dollars par année.

Bien entendu, le gouvernement se garde d’ouvrir son jeu dans le budget, d’autant plus que les sommes en jeu sont considérables. Le réseau universitaire demande 425 millions, le réseau collégial de 100 à 125 millions et le réseau des commissions scolaires près d’un milliard de dollars, auxquels s’ajoute les sommes pour un règlement salarial global.

Du côté des fonctionnaires et des professionnels du gouvernement, on est fort préoccupé par les plans de réduction de personnel dans la fonction publique et le recours accru à la sous-traitance, sous la forme des partenariats privé-public ou autres. « On veut supprimer 1400 emplois, mais on engage des sous-traitants à pleine porte », s’indigne Carole Roberge. Pas étonnant que le secrétariat intersyndical mis sur pied avec la CSQ ait fait de cette question une priorité.

La vice-présidente du SFPQ, Lucie Martineau, constate avec satisfaction que la présence conjointe des trois organisations syndicales à la table des négociations a réussi à « faire virer le gouvernement, ce que nous ne pouvions faire seuls. » Carole Roberge explique que la négociation se mène pour « toutes les catégories d’emplois », ce que confirme Réjean Parent qui rappelle que la CSQ a des employés dans le secteur de la santé. La satisfaction est grande aussi du côté de la FAC de se retrouver à la table centrale.

La création du Secrétariat intersyndical et du cartel au niveau collégial modifie la donne habituelle de la négociation du secteur public alors que nous nous retrouvons avec deux « fronts communs », représentant respectivement 172 000 membres dans le cas du Secrétariat intersyndical et 200 000 membres pour le front commun de la CSN et de la FTQ.

Les organisations du Secrétariat et du cartel tiendront une journée de grève nationale au début mai, le 5 mai pour le SPGQ et le SFPQ et le 6 juin pour la CSQ et la FAC, et convoquent leurs membres en assemblées générales pour de nouveaux votes de journées de grève au printemps.

Dans le cas de la FNEEQ-CSN, les journées de grève sont prévues à l’automne seulement dans le cadre du Front commun CSN-FTQ. Ronald Cameron pense que « la dynamique actuelle peut être porteuse de divisions » et dit « craindre une entente à rabais au collégial ».

Du côté de la CSQ, Réjean Parent nous souligne que les deux centrales CSN et FTQ se tiennent informées des négociations en cours et que « s’il y a un déblocage au printemps, elles vont rapidement rappliquer. »