Le rapport Coulombe a mis fin à la vision 2 x 4

Le mouvement des fermetures était déjà amorcé

Dès l’annonce de la réduction de 20 % du calcul de possibilité forestière pour les essences résineuses par le ministre Corbeil, les représentants de l’industrie ont brandi la menace de 10 000 pertes d’emplois directs et indirects en région. Selon eux, le gouvernement a créé une véritable « crise » en n’annonçant aucun nouvel investissement pour des mesures d’atténuation, ni objectif précis de consolidation des emplois dans le secteur forestier.

L’ingénieur forestier, Pierre Dubois, soutient plutôt que « Québec n’avait pas le choix de poser ce constat et d’imposer ces réductions, le mal était déjà fait; il fallait mettre un frein à la vision 2X4 et à la philosophie d’autocontrôle de l’industrie ».

« Le Québec était déjà en situation de rupture de stock. Le rapport Coulombe n’est qu’un prétexte que l’industrie attendait pour larguer les usines obsolètes qu’elle a négligé de moderniser depuis des années », ajoute l’historien Russel Bouchard.

Ce dernier dénonce vivement la sous-utilisation des ressources forestières. « Ça n’a pas de sens d’exploiter ainsi la ressource, d’exporter des copeaux et de la pulpe au lieu de transformer davantage nos arbres. En matière d’utilisation de la ressource, nous sommes une véritable république de bananes ! », clame celui qui a longuement analysé l’histoire de l’industrie forestière au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Les scénarios catastrophes et le ton indigné de l’industrie cacheraient une réalité plus complexe.

Le recteur de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et ancien commissaire, Jules Arsenault affirmait récemment que « s’il est vrai que Québec a sa part de responsabilité, les élus des régions exagèrent un peu les impacts prévus; les compagnies en profitent pour mettre sur le dos de la réforme forestière plusieurs rationalisations d’effectifs et d’usines qu’elles s’apprêtaient à faire au Québec comme partout ailleurs au Canada, réforme forestière ou pas ».

À ces propos, le directeur général du Conseil de l’industrie forestière, Jacques Gauvin, répond, contrarié, que les gens ont droit à leur avis. « Effectivement, beaucoup de gens parlaient de consolidation au Québec depuis un certain temps, c’était dans l’air », finit-il par admettre lorsqu’on lui demande si le mouvement des fermetures n’avait pas précédé le rapport Coulombe. Consolidation, fermetures, restructuration, les conséquences ne sont-elles pas les mêmes en bout de ligne pour les travailleurs et les travailleuses ?

Même si ces derniers comprennent que l’effet d’une réduction de 20 % de la possibilité forestière n’équivaut pas à une baisse réelle de 20 % des coupes sur le terrain, ils sont très inquiets depuis l’annonce du ministre Corbeil, selon Jean-Marc Crevier, représentant régional de la FTQ Saguenay-Lac-Saint-Jean-Chibougamau-Chapais. Si plusieurs en région appuient le virage proposé par le rapport, tous s’entendent pour dire que le gouvernement doit prévoir simultanément des mesures d’atténuation concrètes pour venir en aide aux régions ressources.

Pour le moment, aucun investissement financier n’est prévu, ni plan d’aide pour réduire l’impact sur les emplois en régions. Les ministres du gouvernement Charest se sont contentés de nommer les divers programmes d’emplois et de réinsertion.

En n’appliquant qu’une partie des recommandations du rapport Coulombe, le gouvernement Charest fait preuve d’un manque de cohérence et d’improvisation, estime M. Crevier. « Pendant ce temps, l’ambiance est au désespoir au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on annonce des coupes et rien de concret pour protéger des emplois bien rémunérés qui se perdent par centaines et la grande industrie utilise les suites de la commission pour fermer des scieries », déplore-t-il.

Un chroniqueur très connu du Saguenay-Lac-Saint-Jean surfe sur cette inquiétude pour alimenter la vieille stratégie d’opposition entre emplois et environnement. L’ancien ministre péquiste des Ressources naturelles, Jacques Brassard, ne mâche pas ses mots dans ses éditoriaux vitrioliques pour dénoncer le rapport Coulombe. Plus acerbe que jamais, l’ex- ministre écrit que l’application des recommandations représente le « triomphe des écologistes sectaires, de la crétinerie délirante et de l’imbécillité ». « La Commission a basculé dans une démence écolo totalement irresponsable » et tout cela à cause de Richard Desjardins, cet « histrion prétentieux », ce « gourou » qui véhicule le « paradigme du catastrophisme » !, poursuit-il le plus sérieusement du monde.

« M. Brassard est complètement en dehors de la track, il profite de l’état de survie d’une population étouffée par les fermetures pour dire n’importe quoi, il ose dire que tout va bien alors qu’il est l’une des causes de la dilapidation de la forêt », rétorque M.Bouchard.