L’enjeu demeure une seule langue officielle

La loi 101 a mis fin au bilinguisme institutionnel

Cet été, en plein cœur de juillet, le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) publiait un ouvrage collectif intitulé Le Français au Québec : Les nouveaux défis, sous la direction d’Alexandre Stefanescu, et de Pierre Georgeault, directeur de la recherche au CSLF. Sa présentation a suscité un certain émoi, car Le Devoir l’annonçait à la une en titrant : Le temps est venu de doter la loi 101 d’une stratégie sur le bilinguisme : Il faut en finir avec la « vision passéiste » d’un Yves Michaud…

À cette provocation, M. Michaud de répliquer avec la verve qu’on lui connaît, que M. Stefanescu a une « vision jovialiste » de la situation du français au Québec. « L’opinion personnelle des chantres castrés du bilinguisme et du multiculturalisme ne trouble guère mon sommeil ».

Dans une nouvelle volte-face, Gérald Larose estime que M. Michaud a raison de s’inquiéter de la situation du français à Montréal : « C’est vrai que ça glisse, à tous les points de vue et surtout au niveau de la langue de travail. Les lieux de travail se “ réanglicisent ”. L’affichage aussi. C’est très fragile », a-t-il dit.

Un des directeurs de l’ouvrage collectif, Alexandre Stefanescu, a senti le besoin d’effectuer une mise au point. Il précise n’avoir aucunement proposé de revenir à un Québec bilingue ou de favoriser l’inclusion d’une quelconque forme de bilinguisme officiel ou institutionnel. « Par contre, il apparaît essentiel, dans un monde de plus en plus interdépendant, d’affirmer clairement la nécessité d’un plurilinguisme individuel chez le plus grand nombre de Québécois possible. L’anglais, sans doute, mais aussi d’autres grandes langues… », ajoute-t-il.

Commentant cette prise de position, Michel Paillé estime qu’« on défonce une porte ouverte ». Il rappelle qu’en 1977, Camille Laurin insistait beaucoup sur le fait que la loi 101 n’avait pas pour objectif d’inciter les Québécois à rester unilingues français. Réfractaire au bilinguisme institutionnel, le père de la loi 101 préconisait l’apprentissage individuel des langues.

M. Stefanescu aurait aussi critiqué l’interprétation de la situation du français à Montréal que fait le statisticien Charles Castonguay, basée sur la langue d’usage à la maison, en la qualifiant d’alarmiste. Il estime qu’il faut plutôt examiner la langue d’usage public. « Lorsqu’il y a transfert linguistique — et c’est une question de temps, une ou deux générations, pour qu’il se produise —, il se fait en faveur de la langue d’usage public », ajoutait l’autre directeur de l’ouvrage M. Pierre Georgeault.

D’une part, comme l’ont fait remarquer MM. Paillé et Comeau, les différents indicateurs linguistiques servent à mesurer l’évolution de l’usage du français dans la vie privée ou dans le domaine public de façon complémentaire. Les études sur les divers indicateurs linguistiques se complètent les unes les autres plutôt que de s’opposer.

Ce qui est étonnant, c’est qu’on évoque l’indicateur de langue d’usage public et l’aspect intergénérationnel des transferts linguistiques pour justifier une vision plus optimiste, mais sans se fonder sur des études prévisionnelles à cet effet. Les études prévisionnelles disponibles, qui tiennent bien sûr compte que la mobilité linguistique est un facteur qui évolue très lentement, au fil des générations, indiquent une minorisation inéluctable des francophones de toutes origines sur l’île de Montréal.

Par ailleurs, bien que la majeure partie du volume porte plutôt sur la qualité de la langue, les directeurs de l’ouvrage du CSLF véhiculent une interprétation, que Benoit Dubreuil a résumée ainsi dans l’Action nationale : « La loi 101 a permis de résoudre le problème traditionnel d’infériorité de la langue française. Si la langue française demeure fragile, ce n’est pas à cause de la rivalité entre les groupes linguistiques au Québec, mais à cause de pressions extérieures liées à la mondialisation. Une approche “ juridique ”, basée sur l’ajout de nouvelles contraintes linguistiques, n’est pas en mesure de répondre aux nouveaux défis du français. Au contraire, les législateurs doivent passer par une approche davantage incitative qui inclut la promotion du bilinguisme et du multilinguisme. »

Mais on voit difficilement en quoi l’impact de la mondialisation invalide la nécessité d’un renforcement législatif. M. Stéfanescu lui-même reconnaît que « la francisation des milieux de travail a été l’un des principaux piliers de l’aménagement linguistique mis en place à la fin des années 1970. Cette politique a connu un succès relatif au cours des 30 dernières années. Cependant, c’est aussi, aujourd’hui, la plus menacée par les effets de la mondialisation. Il faut donc lui accorder une attention particulière et prendre des mesures renforçant l’usage et l’utilité du français dans les entreprises. Sous cet angle, la langue de travail est la première priorité. »

En outre, il faut noter que l’ouvrage collectif paru cet été ne constitue nullement un avis du CSLF. Il regroupe des textes ne reflétant en général qu’un seul des points de vue sur les nouveaux défis du français. Le CSLF devrait émettre un avis formel sur la langue de travail en septembre.

Un des problèmes majeurs vient du fait que la législation linguistique actuelle n’établit pas clairement le français comme étant la seule langue officielle et commune, ce qui fait que la prolifération de l’anglais due à la mondialisation s’ajoute à l’impact anglicisant du bilinguisme imposé par le Canada anglais.