Notre bibliothèque illustre la pingrerie de l’État

Les grandes bibliothèques du monde affichent leur importance culturelle

Les grandes institutions publiques des États sont généralement logées dans des immeubles qui affichent, à l’extérieur, dans la ville, leur importance culturelle symbolique.

C’est ainsi, par exemple, qu’à New York et à Boston, les grandes bibliothèques affichent depuis longtemps toute la solidité et l’importance de l’ esprit des choses, – de la connaissance – par leurs colonnades gréco-romaines imposantes.. La bibliothèque de Boston, d’envergure considérable, s’affiche ainsi depuis longtemps – et directement – sur un square important, Copley Square; celle de New York, domine une rue principale. C’est la même chose à Paris, à Londres et à… Toronto.

C’était du reste le cas de l’ancienne bibliothèque Saint-Sulpice de la rue Saint-Denis, devenue le siège de la bibliothèque nationale du Québec après la « révolution » tranquille, et de la bibliothèque municipale de Montréal ayant front sur le parc Lafontaine. C’était la représentation en pierre de la richesse et de la force de la culture francaise en Amérique ! Ces deux symboles de l’esprit québécois sont maintenant vides; la Grande Bibliothèque les remplace. Avantageusement ? C’est à voir.

Les États qui veulent montrer l’importance de leurs communautés construisent aujourd’hui à la moderne. À juste titre. Ils ne cherchent plus à évoquer la puissance romaine. Mais ils le font souvent par des gestes contemporains spectaculaires qui montrent la distinction qu’il faut faire entre le commercial et le spirituel. Le critique d’architecture Herbert Muschamp ne rappelait-il pas justement que la fonction culturelle de l’enveloppe d’un immeuble est au moins aussi importante que son contenu ?

De ce point de vue, la bibliothèque que le Gouvernement du Québec a construite à Montréal pour desservir la nation québécoise n’affichera pas vraiment des couleurs symboliques fortes. Le concept des architectes est correct et pratique, mais c’est tout. Peu de choses, à commencer par son emplacement, distinguent ce carré, ce bloc, d’un immeuble commercial ordinaire. L’entrée principale, mal définie, n’a pas de majesté : elle donne l’impression d’accueillir les bibliophiles par une porte de service. Et puis l’immeuble a l’air un peu perdu, sur un bout de rue d’importance secondaire, situé qu’il est devant une triste station d’autocars en tôle et son parking.

Le terrain, l’emplacement, il faut bien le dire, n’a pas rendu la vie des architectes facile. Il est bordé par des arrière-cour désolants et l’entrée (de service) fait face à un mur de briques brunes– celui de l’UQAM – tout aussi triste.

Il paraît évident à l’auteur de ces lignes que la Bibliothèque Nationale aurait dû être construite face au square Berri, sur le site même du terminus d’autocars. Cela aurait donné une valeur à ce square mal entouré et situé au cœur du « quartier latin », ce centre historique de notre francité ! Cela aurait permis aux architectes de donner à la façade de l’immeuble toute la monumentalité qui s’impose dans la circonstance. Cela aurait aussi donné l’occasion aux planificateurs d’humaniser un peu plus ce square par trop rationnel et de mieux l’ouvrir sur ses quatre coins.

L’ancien directeur du Centre canadien d’architecture, M. Kurt Forster, un homme du monde, était surpris, lors de son arrivée à Montréal, de constater que les arts d’interprétation, au Québec, sont particulièrement florissants. Nulle part ailleurs au monde, disait-il, les arts du théâtre, de la danse contemporaine, de la musique contemporaine, ne sont-ils plus expressifs. Cela le surprenait agréablement. Mais, poursuivait-il, cette créativité extraordinaire et multiforme ne s’exprime pas de la même façon dans l’art de l’architecture. Pourquoi ? Nul ne le sait trop. Mais il se demandait si certains architectes ne cherchent pas, inconsciemment, à répondre aux mornes attentes d’une bureaucratie par trop provinciale…

Justement, parlons-en de cette bureaucratie. Il y en a plusieurs au Québec, mais il en manque une. C’est celle d’un ministère de l’Aménagement, de l’Architecture et de l’Urbanisme ou son équivalent. Sans lui le Québec, du point de vue de la gouverne municipale, ou il est souverain, est un navire sans gouvernail. Un pays normal, une nation qui se respecte aurait soumis ce projet – et les autres d’intérêt public – à une autorité nationale compétente en la matière.

Un ministère compétent aurait vite compris qu’il fallait exproprier le terminus d’autocars et construire la Grande Bibliothèque à sa place. Et c’est ainsi que l’architecte – dont on oublie déjà le nom – aurait pu s’exprimer et organiser une entrée digne d’une institution de cette importance, laisser le citoyen entrer dans un espace ouvert, digne et respectable. Au lieu de cela l’utilisateur entre directement dans un corridor et se sent perdu dans un espace à plafond bas, comme s’il allait acheter des cassettes au magasin de vidéo du coin. Notre peuple n’aurait-il pas encore le sentiment que le sol – ses villes – lui appartiennent et qu’il a le devoir de faire quelque chose de beau avec ? En tout cas il aurait pu faire un peu mieux en cette aventure architecturale de la Grande Bibliothèque.

Pour mettre cette affaire dans une certaine perspective, rappelons que l’État égyptien a versé 350 millions $ pour la construction de la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie. Ceci sans compter le prix des livres. Or l’État québécois n’a accordé qu’un peu plus de cent millions $ à notre propre institution nationale, soit le prix du toit d’un certain stade (qui nous a coûté un milliard et demi). Si nous mettions davantage notre argent à la bonne place, nous pourrions recouvrir d’un matériau noble les colonnes en béton de notre nouvelle bibliothèque nationale.