Le Brésil cherche à briser le carcan états-unien

Encerclé par 20 bases aériennes et radars

Les 16 et 17 août dernier, Donald Rumsfeld visitait le Pérou (un allié fragile) et le Paraguay qui, depuis juillet, « héberge » 400 militaires états-uniens. Au même moment, le ministre brésilien des affaires étrangères, Celso Amorim, était en Bolivie, où la gauche devrait remporter les élections de décembre prochain, puis en Équateur.

Ces tournées séparées ne sauraient mieux représenter la nouvelle rivalité entre les États-Unis et le Brésil qu’explique, dans une série d’articles, l’excellent journaliste uruguayen Raul Zibechi.

Le Brésil, nous dit Zibechi, vit l’après-11 septembre comme une remise en question de son rôle dirigeant dans la région. De plus, si le traité andin de libre-échange (TALC) avec le Pérou, l’Équateur et la Colombie, venait à être signé, Washington priverait le géant sud-américain d’un débouché économique sur le Pacifique, le Chili ayant déjà signé un accord de libre-échange avec Washington.

En plus de la menace économique, le Brésil se sent encerclé par vingt bases aériennes et de radars états-uniennes.

Pour Luis Gonzaga Lessa, président du Cercle militaire, les forces armées brésiliennes étaient historiquement orientées vers le Sud dans l’hypothèse d’un conflit avec l’Argentine mais, au cours des dernières années, leur concentration s’est déplacée vers le nord, surtout du côté de la Colombie.

Maintenant, les sérieuses rumeurs de base militaire au Paraguay forcent le Brésil « à occuper deux fronts d’égale importance stratégique ».

Zibechi nous apprend aussi qu’une commission officielle de militaires brésiliens s’est récemment rendue au Viêt Nam pour visiter quelque 250 km de tunnels de la guerre contre les États-Unis dans un « échange de doctrines de résistance ».

Zibechi cite le général Claudio Barbosa Figueiredo, chef du commandement militaire d’Amazonie, qui affirme que son pays « va affronter une situation similaire à celle du Viêt Nam dans un conflit impliquant l’Amazonie avec un pays ou un groupe de pays au potentiel économique et militaire plus grand que le Brésil ».

Celui-ci (10e puissance économique mondiale) est le seul pays d’Amérique du Sud doté « d’un plan stratégique de défense qui lui est propre: le contrôle de l’Amazonie, principale réserve naturelle du monde et première réserve d’eau douce ».

Le Brésil dispose d’une industrie militaire de pointe, nous dit encore Zibechi, qui le place au cinquième rang mondial des exportateurs d’armes si l’on considère l’Union européenne comme une unité. L’entreprise aéronautique Embraer (quatrième mondiale) fournit la moitié de la force aérienne brésilienne (avions de combat, navires de guerre, etc) et serait en voie de construire un sous-marin nucléaire.

Le Brésil est opposé au Plan Colombie depuis le début. Il a répliqué à ce dernier par les plans « Cobra » (premières syllabes de Colombie et Brésil) et « Calha Norte » qui visent à imperméabiliser la frontière entre les deux pays et à protéger l’Amazonie.

En 2000, rappelle Zibechi, lors de la 4e Conférence des ministres de la Défense des Amériques, le président Fernando Henrique Cardoso rejetait toute implication de l’armée brésilienne dans la lutte contre la drogue. Pratiquement aucune aide dans la lutte contre la drogue n’est fournie au Brésil, aucune base états-unienne n’y est implantée et les deux pays ne pratiquent aucun type de manœuvres militaires conjointes.

En 2002, le gouvernement brésilien inaugure le SIVAM (Système de vigilance de l’Amazonie), système de surveillance radar d’une région de cinq millions de kilomètres carrés abritant 30 % de la biodiversité de la planète !

En 1994, la firme états-unienne Raytheon avait remporté de douteuse manière l’appel d’offres pour le SIVAM et, depuis, le gouvernement brésilien s’affaire à compenser les effets de cette négligence en utilisant du matériel et du personnel toujours plus brésilien.

Zibechi cite aussi un rapport du brigadier général argentin, Ruben Montenegro, qui « souligne la profondeur et la portée des relations entre les forces aériennes du Brésil et de l’Argentine » comme le montrent, entre autres, les exercices « Lazo fuerte » (lien fort) qui ont lieu depuis 2001.

En février 2005, le Brésil a signé de très importants accords avec le Venezuela: intégration économique, coopération militaire, entreprises énergétiques communes, etc.

Désormais, Chavez n’est plus seul face aux États-Unis et à la Colombie, affirme Zibechi, et le Brésil est devenu un grand acteur dans la région.

L’analyste politique Luis Bilbao, du Monde diplomatique, parle même d’un « nouvel axe géopolitique sur le continent » (Venezuela-Brésil-Argentine) et d’un « isolement historique majeur » des États-Unis».

L’Équateur est en ce moment le théâtre d’un bras de fer entre intérêts brésiliens et états-uniens, plus particulièrement entre la pétrolière Petrobras et les firmes états-uniennes Occidental Oil et Gas Corporation.

Sous le gouvernement Gutierrez, le contrat d’Oxy (Gas Corporation) avait été déclaré caduc pour viol de dispositions légales et, depuis, les indigènes luttent pour l’expulsion de la compagnie. Mais le nouveau président intérimaire, Alfredo Palacio, est pressé par Washington de renoncer à cette demande.

Tellement que, début juillet, les activités de Petrobras étaient à leur tour suspendues dans le parc national Yasuni et le président Lula da Silva envoyait aussitôt un message manifestant sa préoccupation au président Palacio. L’Équateur subit donc une double pression et, pour le moment, il semble que le nouveau président soit plus tenté d’écouter les États-Unis que ne l’avait fait son prédécesseur.

Pour sa part, Rosendo Fraga, directeur du Centre d’études pour une nouvelle majorité, en Argentine, constate une indépendance de plus en plus grande des militaires sud-américains face aux élites locales alignées sur les États-Unis.

La globalisation, explique-t-il, « a signifié une crise profonde pour les militaires puisque leur raison d’être était liée à l’existence de l’État national.» Maintenant, ajoute-il, « patriotisme et nationalisme sont passés des droites et oligarchies vers les secteurs populaires et même les gauches. »

De plus, la détérioration des salaires fait que les forces armées proviennent des couches plus basses de la société et maintient les militaires « semblables, dans leurs nécessités sociales, aux secteurs les plus défavorisés. »

Dans ce contexte, les onze élections présidentielles à venir au cours des 14 prochains mois risquent d’être mouvementées.

Outre la Bolivie, qui pourrait basculer dans le « camp brésilien », l’élection péruvienne (9 avril 2006) est capitale du point de vue états-unien, car l’ex-président Alan Garcia pourrait remporter la victoire, lui qui, durant son mandat (1985-1990), avait clairement pris ses distances avec les États-Unis.