Le principe de l’égalité des chances, mon oeil !

Que le Rapport Parent se le tienne pour dit !

Les écoles privées sélectionnent les meilleurs élèves et ceux-ci viennent des familles les mieux nanties. Depuis le Rapport Parent, nous avons adopté pour notre système d’éducation le principe de l’égalité des chances, en vertu duquel l’État devrait d’abord soutenir les élèves provenant des milieux plus défavorisés pour compenser l’avantage que la fortune procure aux premiers. La Commission des États généraux a confirmé en 1996 ce principe. Mais c’est le contraire qui se produit. L’État, en finançant généreusement l’école privée, vient en aide aux mieux nantis.

Dans un mémoire déposé en novembre 2004, la Fédération des commissions scolaires du Québec et l’Association des directeurs généraux des commissions scolaires donnent des chiffres intéressants sur le financement de l’enseignement privé. Selon le mémoire déposé lors de l’étude du projet de loi 73 modifiant la Loi sur l’instruction publique et la Loi sur l’enseignement privé, des statistiques financières récentes « indiquent que, au Québec, la proportion du financement par l’État par rapport à l’ensemble des revenus des établissements privés atteint 44,4 % en 2002-2003, soit une proportion supérieure à celle observée en 1998-1999, avec le constat que le nombre d’élèves inscrits au privé a augmenté au cours de la même période ». Les deux associations rappellent qu’en Ontario les subventions publiques à l’enseignement privé sont quasiment inexistantes (0,39 %).

Par ailleurs, précise-t-on, « même si la part du financement public aux rapports financiers des établissements privés est de 44 %, le soutien financier de l’État du Québec consiste en une subvention à l’institution privée équivalant à 60 % de la subvention moyenne par élève au public. » En vertu des règles budgétaires 2004-2005 des établissements privés, les montants de base prévus comme allocation pour les élèves sont de 2 924 $ pour le préscolaire, 2 518 $ pour le primaire et de 3 464 $ pour le secondaire. De plus, un montant est prévu pour la valeur locative. Ce montant est de 91 $ pour le préscolaire et le primaire et de 136 $ pour le secondaire. Le gouvernement subventionne une bonne partie du transport scolaire de la clientèle du réseau privé, soit plus de 30 000 élèves, ce qui représente plusieurs millions de dollars.

Les deux associations s’attaquent également dans leur mémoire au mythe selon lequel l’abolition du financement du réseau privé coûterait des centaines de millions au gouvernement. Ce « mythe » est basé sur une étude du ministère de l’Éducation souvent citée par les journaux. Cette étude, datant de 1995, prévoyait que la réduction à zéro des subventions ferait économiser 289 millions, mais pousserait 70 % des élèves à quitter le privé, si bien qu’il faudrait verser 335 millions supplémentaires au réseau public. Le coût réel de l’opération serait de 46 millions.

L’étude en question, produite par Mme Benedykta Ristic, est à prendre avec des pincettes. Son hypothèse est tirée d’une analyse réalisée par l’Institut Fraser en 1988, dont Jean-Luc Migué et Richard Marceau font état dans leur pamphlet Le monopole public de l’éducation (PUQ, 1989), un pamphlet financé par un regroupement d’écoles privées, ce dont les auteurs ne font pas mention. Soulignons que MM. Migué et Marceau sont aujourd’hui membres émérites de l’Institut économique de Montréal.

Bien sûr, reconnaissent les deux associations, si avec l’abolition du financement du réseau privé, tous les élèves étaient transférés au réseau public, cela coûterait plus cher à l’État, les élèves étant subventionnés à 100 % plutôt qu’à 60 %. Mais, explique-t-on, « si on prend l’exemple de l’Ontario où le réseau privé n’est pratiquement pas subventionné, plus de 90 000 élèves sur quelque deux millions d’élèves fréquentent quand même l’école privée. »

Les deux organismes émettent l’hypothèse qu’une situation semblable se présenterait au Québec. « Ainsi, prétendent-ils, au moins la moitié des élèves inscrits au réseau privé le demeureraient avec une abolition totale du financement, ce qui apporterait une économie à l’État de près de 75 millions $. »

Cette économie pourrait s’avérer encore plus importante pour les contribuables et l’État puisque, dans leurs calculs, la Fédération et l’Association reconnaissent ne pas avoir pris en compte la rentabilisation des équipements publics. « En effet, précise-t-on, compte tenu de la diminution des clientèles, les espaces sous-utilisés entraînent des coûts per capita à la hausse dans le secteur public et des dépenses additionnelles pour les surfaces non utilisées. » Des économies supplémentaires pourraient également être réalisées si aucune subvention n’était versée pour le transport scolaire des élèves des établissements privés.

À ces subventions directes s’ajoutent des subventions indirectes par le jeu des déductions fiscales. Le journal La Presse du 24 janvier 2005 rapporte que des écoles privées demandent aux parents de verser 1 000 $ à leur fondation, laquelle finance en retour certaines activités de l’école.

Les écoles privées du Québec ont reçu en 2002-2003 la somme de 39 millions $ en dons. Ces « dons » sont, bien entendu, déductibles d’impôt. Des écoles secondaires vont jusqu’à facturer des frais de garde de 300 à 400 $ et remettent des reçus applicables dans les déclarations d’impôts des parents au provincial et au fédéral.

D’autres écoles, rapporte le journaliste de La Presse, remettent des reçus de charité pour la portion des droits de scolarité qui couvrent l’enseignement religieux. Les cours de religion sont en effet considérés comme une œuvre de bienfaisance par Ottawa, ce qui n’est cependant pas le cas par Revenu Québec. Dans certaines écoles juives, qui consacrent jusqu’à douze heures par semaine à la religion et à la culture juives, les sommes en jeu peuvent atteindre 3 000 $ par année.

Dans le contexte budgétaire actuel, il est plus que temps de remettre le financement des écoles privées à l’avant-scène afin de rouvrir les débats et mettre fin à ces mythes servant à privilégier, encore une fois, les plus nantis de la société.

Extrait de « L’éducation à trois vitesses », Revue L’apostrophe, no 8. À paraître bientôt