Le sous-financement est de 615 millons $ par année

Chaque Anglo est financé 6 fois plus que chaque Franco hors Québec

Le gouvernement Charest réclamait récemment que les transferts fédéraux destinés à l’éducation postsecondaire soient rétablis à leur niveau d’avant 1994, soit avant le début des compressions imposées par Paul Martin pour lutter contre le déficit fédéral.

Cet argent, selon le ministre de l’éducation, doit être investi dans le réseau universitaire québécois pour lutter contre le sous-financement dont les universités souffriraient. Curieusement, le ministre ne mentionne pas qu’il existe en fait 2 réseaux universitaires au Québec: un de langue française et un autre de langue anglaise.

Le sous-financement dont il est question est-il le même pour les deux ? Y a-t-il égalité de traitement entre le français et l’anglais en ce qui concerne le financement des universités au Canada ?

Dans un dossier paru dans L’Action Nationale du mois de septembre et intitulé « Le financement des universités et la vitalité linguistique des communautés de langue officielle au Canada », mon collègue Patrick Sabourin et moi avons vérifié s’il y avait égalité entre les groupes linguistiques au Canada en ce qui a trait au financement des universités, comme il y a égalité juridique des langues au Canada. Pour ce faire, nous avons calculé la partie du financement qui allait aux universités francophones et anglophones dans chaque province canadienne ainsi que la partie de population de langue maternelle française et anglaise en nous basant sur les données financières provenant des universités elles-mêmes et les recensements de Statistiques Canada. Nous avons ensuite vérifié à quel point le sous-financement ou sur-financement influe sur l’assimilation des francophones à l’extérieur du Québec et des anglophones au Québec.

Les résultats sont tout à fait étonnants. Voici quelques extraits :

1) Au total, au Canada, les institutions universitaires de langue française récoltent 19,5 % des fonds destinés aux universités alors que les francophones forment 22,9 % de la population, tandis que les institutions universitaires de langue anglaise récoltent 80,5 % des fonds alors que les anglophones ne forment que 59,5 % de la population canadienne. Le sous-financement des francophones représente la bagatelle de 615 millions de dollars par année.

2) Les Franco-Québécois sont le seul groupe linguistique à être financé en-dessous de son poids démographique au Canada. Dans toutes les autres provinces, les anglophones sont financés au-delà de leur poids démographique.

3) La part attribuée à l’anglais au Québec représente 1 milliard 227 millions de dollars par année, soit presque quatre fois celle attribuée au français hors du Québec. Les anglophones obtiennent 27,7 % des fonds destinés aux universités au Québec alors qu’ils n’en constituent que 8,4 % de la population.

4) Si on met tous ces chiffres ensemble, on peut affirmer que chaque Anglo-Québécois est financé six fois plus que chaque francophone hors-Québec.

Le sous-financement des francophones représente plus de deux fois le budget annuel de fonctionnement donné à l’université McGill par le gouvernement du Québec, ce qui constitue suffisamment d’argent pour faire fonctionner deux grandes universités de langue française en Ontario (qui n’en a aucune !). Notons que les universités de langue anglaise abritent 3,27 fois plus d’argent dans leurs fonds de dotation que les universités de langue française au Québec, soit 805 contre 247 millions de dollars. L’égalité des groupes linguistiques en matière d’éducation est loin d’être atteinte en ce qui concerne le niveau universitaire.

De plus, nous avons prouvé qu’il existe une corrélation presque parfaite entre le financement des universités et l’assimilation. Un sous-financement des universités conduit à l’assimilation du groupe sous-financé et vice-versa. Le sous-financement des universités francophones partout au Canada explique le taux d’assimilation élevé des francophones hors-Québec (soit 38 %) tandis que le sur-financement du réseau anglais au Québec explique que ce sont les anglophones qui assimilent le plus au Québec (selon Statistiques Canada, 161 378 personnes ont adopté l’anglais et 126 562 personnes ont adopté le français comme langue parlée à la maison au Québec en 2001).

Rappelons que 2,48 millions d’allophones et de francophones avaient effectué un transfert linguistique vers l’anglais selon les données du dernier recensement.

Le sur-financement du système universitaire de langue anglaise, en accordant un poids effectif à la communauté anglophone proche de 30 % au Québec (et proche de 50 % à Montréal, où se concentre l’immigration), peut expliquer au moins partiellement que la communauté anglophone jouisse d’un pouvoir sur la langue de travail et les taux de transferts linguistiques largement supérieurs à sa taille réelle au Québec. Le sous-financement des institutions francophones partout au Canada apparaît aussi partiellement responsable du fait que la vitalité linguistique des francophones est franchement médiocre presque partout au Canada, se traduisant par un puissant mouvement d’assimilation à la langue dominante.

L’assimilation linguistique n’est pas simplement « une réalité de la vie » comme le disait le premier ministre fédéral Jean Chrétien, mais semble plutôt être une conséquence des choix budgétaires faits par le gouvernement fédéral et par les provinces canadiennes, Québec compris. La Loi sur les langues officielles du Canada, en enchâssant dans la charte des droits une égalité juridique des langues sans se soucier de l’absolue nécessité du traitement asymétrique des langues au Canada (protéger le français partout au Canada, y compris au Québec), qui est la véritable condition nécessaire à l’atteinte de l’égalité réelle, a conduit à cautionner un bilinguisme inégalitaire au Canada, situation pernicieuse qui condamne au dépérissement les communautés francophones minoritaires au Canada.