Un bon référendum est un référendum volé

« Nous sommes prêts à nous battre jusqu’au bout ; on ne nous volera pas notre pays par la fraude !

Ces mots ne sont pas ceux de Jacques Parizeau ni d’un quelconque souverainiste quant au prochain référendum. Ils sont ceux de Me Casper Bloom, l’un des héros fédéralistes du Canada qui, avec Alliance Québec, mena la lutte contre le Directeur général des Élections du Québec pour récupérer ce pays que, selon lui, les souverainistes avaient eu l’intention de voler.

En fait, ces propos décrivent très bien la détermination des artisans de la défaite référendaire de 1995. Alors que le juge Gomery décortique près de 10 ans de corruption identitaire, dans son tout dernier livre, Le Référendum volé, Robin Philpot, journaliste anglophone, lève le voile sur les coulisses de cette défaite à l’arraché.

« Je ne voulais pas simplement faire un pamphlet, mais aborder les sujets d’une façon plus englobante. Je ne voulais pas verser dans la victimisation du Québec, ni refaire la bataille de 1995, mais plutôt préparer celle qui s’annonce. Je voulais porter un regard vers l’avenir, explique l’auteur. Donc, j’ai essayé de voir comment prévenir des problèmes et de revenir sur le pourquoi de l’indépendance ».

Décrit par Jacques Parizeau comme l’envers de la médaille du documentaire « Point de rupture », cet ouvrage s’intéresse effectivement aux actions et aux intentions des « hommes à tout faire » du camp fédéraliste. Pour cela, l’auteur a réalisé des dizaines d’heures d’entrevue avec des acteurs de tout acabit. « Ces gens – en particulier Brian Tobin, John Rae, Sheila Copps, John Honderich – sont des gens qui voulaient écraser le mouvement souverainiste. Ils étaient fiers de leurs coups et étaient convaincus qu’ils figureraient dans les livres d’histoire » pour avoir sauvé le Canada, explique-t-il. Dans son livre, Robin Philpot décrit comment la fin a justifié les moyens fédéralistes pour court-circuiter le processus d’autodétermination du peuple québécois.

Pour l’auteur, « jamais le Québec n’a été plus libre que pendant le mois d’octobre 1995 ». Comment, en ce cas, ce peuple n’a-t-il pas sauté la clôture, le 30 octobre ? Son ouvrage s’applique à démontrer la tradition pour le moins « kleptocratique » d’un Canada déterminé à contrôler les destins d’un océan à l’autre. « Le Canada n’est pas un pays issu d’une révolution, ni d’une entente avec la couronne. Tout s’est fait en conclave. Il n’y a pas eu de vote populaire en 1867 ni en 1982, contrairement à l’Europe ou ailleurs. Le Canada a toujours fonctionné comme ça. » Il insiste sur le coup de force constitutionnel de 1982 et le vol des référendums qui ont achevé d’avaler l’indépendance de Terre-Neuve en juillet 1948, pour comprendre les intentions qui animaient les fédéralistes en 1995.

Ce triste constat d’un impérialisme canadien vicieux guide les travaux de l’auteur, qui voit la raison d’État prendre la forme de « l’intérêt de l’Empire, car le Canada fonctionne comme un empire à l’intérieur duquel le Québec est une colonie ». Déjà, « en 1982, l’objectif était d’assujettir l’État de droit et l’Assemblée nationale québécoise au parlement canadien », à « un parlement supérieur qui est capable, au-delà de ce que lui permettait la constitution avant ça, de renverser des lois québécoises. C’est comme ça qu’un État impérial fonctionne ». Cette primauté de la nation canadienne guidera toutes les actions du gouvernement fédéral dès l’élection du Parti Québécois en 1994,. Face à l’échec du Comité du NON, elle culminera durant la campagne référendaire, particulièrement avec la Marche pour l’unité du 27 octobre (love-in), avant d’accoucher d’un scandaleux programme secret de commandites.

« Selon la loi et le droit international, le Québec doit décider librement de son avenir. Il établit des règles et le Canada, y compris “ Corporate Canada ” doivent respecter ces règles. Mais le comité du NON, qui réunissait des Québécois, n’aurait jamais gagné sans l’État fédéral et le “ club des milliardaires ”, qui est toujours autour du Parti Libéral du Canada. »

Effectivement, Robin Philpot décrit comment le comité du NON était subordonné, voire méprisé par les puristes d’Ottawa et Toronto, capables de mobiliser toutes les ressources de l’État – politiques, juridiques et économiques – pour faire pencher la balance de quelques milliers de votes. Naturalisation accélérée, création de la nébuleuse Option Canada (club d’action politique du Conseil pour l’Unité Canadienne), appels à l’aide auprès de l’Oncle Sam, menace de partition avec les autochtones, campagnes publicitaires gratuites dans les quotidiens, l’auteur passe en revue toutes les magouilles et « tripotages » qui ont permis au Canada, plus qu’au Comité du NON, de voler ce référendum.

Il en fait surtout parler les acteurs, tous mus par le « sentiment qu’il y avait un objectif supérieur. Le pays était en jeu », comme l’exprime John Honderich, qui, à la tête du Toronto Star, avait nolisé des autobus et affiché gratuitement des annonces pour le love-in, fièrement organisé par Brian Tobin.

Comme l’expose Robin Philpot, cet objectif supérieur semblait primer nécessairement sur les lois du Québec et ses droits constitutionnels et internationaux. « Ce que le Canada rejette, c’est l’existence d’une société française en Amérique. Il ne fait de place à rien de plus qu’une minorité française, mais il ne permet pas l’existence d’une nation ni d’une société de langue française. Leur idée, c’est que le Québec est une minorité canadienne française, parmi d’autres minorités au Canada. »

Son entrevue avec Sheila Copps met également au jour la démarche légale et administrative, parallèle au programme des commandites, de Patrimoine Canada, visant à détourner et à écraser la culture québécoise : « Elle explique comment elle a acheté les artistes québécois. Elle a réécrit tous les programmes du ministère. Elle m’a dit : “ My mission is to build Canada today ” et elle l’a imposée partout. Puis elle a crûment ajouté : nous créons les programmes, eux, ils suivent avec l’argent disponible ! ».

Face aux violations et au mépris flagrants des règles référendaires du Québec, il oriente la réflexion pour un prochain référendum. Il fait aussi le point sur l’actualité, constatant, face aux gestes politiques et opportunistes de Paul Martin depuis mais 2005, que le Parti Libéral fédéral est encore prêt à tout pour sauver « l’intérêt impérial ».

Pour Robin Philpot, le Québec a bien changé depuis 1995 et 1980, même s’il a encore bien des leçons à tirer. Son ouvrage permet ce genre de réflexion fondamentale, à l’heure où la course à la chefferie fixe la certitude d’un prochain référendum. « Ce n’est plus le temps d’un projet flou. Il faut avoir une idée très claire de la façon dont on le fait et assez rapidement, avec des gens qui peuvent inspirer confiance parce qu’ils sont solides. Il faut tabler sur la capacité des souverainistes d’avoir un projet clair, confiance en leur population, des gens déterminés et ne pas se faire leurrer par des sondages ». Cet exercice de réflexion sur les modalités du prochain référendum est urgente car les activités de Sheila Copps et le programme des commandites révèlent une certitude : le Canada s’y prépare depuis déjà 10 ans !