Les gagnants de 1995 craignent déjà le prochain

Le référendum revisité dix ans après

Dix ans déjà se sont écoulés depuis le dernier rendez-vous référendaire qui devait décider de l’avenir du peuple québécois au sein de la fédération canadienne. Pour marquer cet anniversaire, il s’est tenu à l’UQÀM les 20 et 21 octobre un colloque réunissant plusieurs acteurs politiques clefs de cet important événement. Loin de la rencontre à caractère universitaire que laissait présager son programme, cette rencontre a dès le début plutôt pris la forme d’un véritable débat entre les conférenciers invités, entre défenseurs du fédéralisme canadien d’un côté, et indépendantistes québécois de l’autre côté.

Dans sa présentation, l’ancien premier ministre Bernard Landry a en effet bien résumé l’ambiance engagée qui a régné pendant ces deux jours : « nous ne sommes pas ici dans l’analyse historique, mais dans le contexte de la préparation pour l’avenir ». Il est en cela à se demander si cette rencontre, qui s’annonçait être une analyse post-référendaire – celui de 1995 –, n’a pas plutôt été une confrontation pré-référendaire – celui que promet de tenir le Parti Québécois lorsqu’il reprendra le pouvoir.

Qui plus est, dans l’actuel contexte où l’option souverainiste est de plus en plus donnée gagnante, la présence à ce colloque des représentants du camp du Non n’a pas tant semblé tenir à leur désir de revisiter le passé et ainsi expliquer ce qui a pu mener à la défaite du Oui en 1995, que de promouvoir et défendre la fédération canadienne dans sa configuration actuelle.

Au contraire, les représentants de camp souverainiste ont, quant à eux, semblé véritablement intéressés à revenir sur ces événements passés, motivés en cela par une volonté de rappeler, comme le soulignait Bernard Landry, « le caractère illégal, voire illégitime, des stratégies déployées par le camp du Non pour défendre le Canada en 1995 et sur lesquelles la parution prochaine du rapport de la commission Gomery devrait lever une partie du voile. »

Ainsi, prenant part au premier débat, l’ancien conseiller politique spécial de Jean Chrétien, Edward Goldenberg, a d’entrée de jeu affirmé qu’il ne voyait pas la pertinence de revenir sur ces « histoires passées, ces vieilles chicanes », puisqu’à ses yeux, il est désormais temps de « penser à autre chose et de regarder vers l’avenir afin de travailler aux nouveaux défis auxquels nous confronte la mondialisation ».

Pour lui, regarder vers l’avenir, c’est porter son regard « en direction du modèle chinois »; c’est mettre de côté les querelles d’identités nationales et « travailler à prendre sa place dans le monde qui évolue ».

Visiblement point séduit par cet appel à l’effacement du politique au profit de l’économique, l’ancien conseiller politique de Jacques Parizeau, Jean-François Lisée, a alors servi à l’ancien conseiller de Jean Chrétien une réplique bien sentie. « C’est comme si on demandait à quelqu’un dont on prive de la liberté d’expression et qui se plaint depuis six ans; n’as-tu pas le goût de passer à d’autres choses, de regarder vers l’avenir, plutôt que de ressasser de vieilles histoires ! »

Dans un exercice qui n’a pas semblé sans peine, le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes dans le cabinet Charest, Benoît Pelletier, a tenté de montrer combien, les « Québécois et Québécoises sont très attachés au Canada, ce pays qu’ils ont eux-mêmes construit ». Pour l’ancien professeur de l’Université d’Ottawa, il ne fait point de doute que les Québécois « se reconnaissent dans les valeurs que promeut ce pays ».

Rappelant dans quelle mesure les valeurs canadiennes de pacifisme (ce qu’illustre le refus récent de participer à la guerre en Irak), de solidarité sociale (le fameux filet social canadien) ou d’écologie (la ratification du protocole de Kyoto) sont des valeurs largement partagées par les Québécois. Dans ce contexte, pourquoi vouloir quitter ce pays, « le plus meilleur pays du monde », comme aimait à le qualifier Jean Chrétien ?

Or, pour le chef du Bloc Québécois, Gilles Duceppe, cette exposition des qualités intrinsèques du Canada ne convainc pas, car « la question nationale québécoise ne se réglera pas en faisant le procès du Canada. » À l’instar de nombreux souverainistes, le leader bloquiste reconnaît « que le Canada est un beau pays, qu’il y a pire sur terre; seulement, ce n’est pas le nôtre ». C’est pourquoi « le statu quo qui persiste depuis 1995 n’est plus une option » pour les Québécois. À ses yeux, ceux qui gouvernent le Canada ont été incapables de prendre la mesure de l’appel au changement que recelait le résultat même du dernier référendum, celui du refus pour 49,4 % de la population québécoise de vouloir demeurer au sein du Canada. Une réforme majeure était exigée.

Le ministre Pelletier lui-même, qui n’est pourtant pas reconnu pour ses sympathies souverainistes, a également admis que « la grande réconciliation des Canadiens et des Canadiennes n’a jamais eu lieu ». Faisant la sourde oreille à cette demande de changement, Ottawa a préféré déployer « le plan B », celui de la confrontation avec le Québec, stratégie dont l’objectif, selon Duceppe, a jusqu’ici été « de forcer le Québec à rentrer dans le rang comme province du Canada ». Aussi, dans ce contexte, celui qui dirige les troupes souverainistes à la Chambre des communes estime qu’« il n’y a plus d’“alternatives”; sortir de la fédération canadienne apparaît comme la seule voie d’avenir pour le Québec. »

Ainsi, ce colloque a-t-il fourni l’occasion d’un débat fort animé, dans lequel on a pu apprécier toute la conviction de ceux qui ont pris une part active au grand événement de 1995. Un seul regret. Compte tenu de la forte teneur pré-référendaire qu’a finalement pris l’exercice, on aurait presque souhaité entendre non pas ceux qui ont participé au dernier référendum, mais bien ceux qui s’affronteront lors du prochain.