C’est l’histoire d’un peuple qui en a chassé un autre

Avec 5 millions de réfugiés palestiniens

Lorsqu’on lui demande d’expliquer le problème palestinien, Rezeq Faraj répond simplement « c’est un peuple qu’on a forcé à se réfugier, et un autre a pris sa place. Depuis, le peuple palestinien a essayé de reprendre cette place et cette dignité ». Membre fondateur du Centre International de Solidarité Ouvrière (CISO), de Palestiniens et Juifs Unis (PAJU) et de la Coalition pour la justice et la paix en Palestine, militant de toujours, cet enfant des camps de réfugiés palestiniens vient de publier Palestine, le refus de disparaître.

Tantôt journal militant, tantôt manifeste pour la cause palestinienne, cet ouvrage est avant tout « un outil de réflexion et de sensibilisation qui fait suite à mon engagement personnel. Je me suis toujours engagé pour défendre les droits de la personne et les droits des opprimés. Dans ce cas-ci, il s’agit du peuple palestinien, dont je fais partie. »

Dans cet ouvrage, Rezeq Faraj dresse le bilan de près de 60 ans de conflit israélo-palestinien et de règlements sans suite : « toutes les tentatives de résolution du conflit ont échoué pour deux raisons. La première, c’est qu’elles ne s’arrêtent pas sur l’essence du problème, qui est la dépossession d’un peuple de sa terre, puis son occupation par la force armée. La seconde fait suite à la dépossession, et réside dans le problème des réfugiés palestiniens, qui vivent autour et à l’intérieur même de la Palestine. Maintenant, le peuple palestinien compte 9 millions de personnes, dont 5 millions de réfugiés ».

Depuis la Guerre des Six jours en 1967, toutes les résolutions, négociations, accords et autres feuilles de route se sont heurtés soit au fait accompli, soit à la prise pour acquis des Israélo-américains. Aujourd’hui, le cycle de la violence et de la haine découle de la conviction que deux États peuvent cohabiter en Palestine historique. Mais pour Rezeq Faraj, cette situation reflète une impasse. « Actuellement, en Palestine historique, la population arabe est majoritaire. Il y a 5,3 millions de Palestiniens, 5,1 millions d’Israéliens et 200 000 personnes d’autres nationalités et confessions. Il y a donc une minorité qui gouverne une majorité, de façon brutale » en isolant une partie (3,7 millions) de cette majorité dans un archipel de ghettos, et l’autre (1,6 millions) dans un régime d’apartheid.

En 1967, Israël occupait 78 % du territoire de la Palestine historique, n’en laissant de fait que 22 % à l’État palestinien. Décriée par une communauté internationale impuissante, cette annexion fut reconnue par l’Autorité palestinienne dès 1988. En 1993, la poignée de main historique entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin officialisait ce partage territorial. Mais depuis, l’expansionnisme israélien a persévéré. « Le mur à lui tout seul occupe 9 % ; les colonies de peuplement qu’on continue à construire et les autoroutes de contournement, 5 %. Alors quand on enlève 13 ou 14 % sur 22 %, que reste-t-il pour faire un État palestinien, sinon des îlots de bantoustans ! »

En effet, le « mur d’apartheid » qui se dessine à l’intérieur même du territoire palestinien, en plus d’enlever des centaines de puits et de terres arables à la population palestinienne, la cloître littéralement dans quelques immenses ghettos, séparés les uns des autres par des autoroutes exclusivement réservées aux Israéliens. Des points de contrôle et des couvre-feu réduisent en permanence la liberté de circulation des gens en Palestine. L’eau et l’électricité sont contrôlées par Israël et perpétuellement coupées, les vivres et les médicaments arrivent au compte-goutte dans les territoires palestiniens. L’économie et la société palestiniennes se trouvent littéralement asphyxiées par un état de siège quasi avalisé par la communauté internationale, du seul fait de son impuissance.

La pression démographique qui pèse de part et d’autre sur ce territoire de 26 000 km² ne saura se satisfaire de la réduction de l’État palestinien à un archipel de ghettos. Selon Rezeq Faraj, ni la situation actuelle ni la lutte à mort que se livrent Israéliens et Palestiniens ne sont viables. « Que les Ariel Sharon le veuillent ou non, la population israélienne aussi souffre de cette occupation et de cette domination. Aujourd’hui, 25 % de celle-ci vit au-dessous du seuil de pauvreté. Car les ressources de l’État israélien ont été canalisées pour renforcer l’occupation, la colonisation et la création des colonies de peuplement sur les terres palestiniennes. Par ailleurs, imaginez-vous qu’aujourd’hui 68 % des Palestiniens empruntent pour acheter de la nourriture! Ariel Sharon essaie d’affamer la population, de l’écœurer, de l’humilier par des contrôles, des couvre-feu, des arrestations, le dynamitage de maisons, etc. pour que ces gens-là quittent. »

Pour Rezeq Faraj, il est clair que « la solution d’établir deux États au Proche-Orient est morte. La seule véritable possibilité à long terme pour que la violence cesse, c’est un État démocratique et laïque où cohabitent les Israéliens et les Palestiniens, avec des droits et des devoirs égaux. Cet État démocratique donnera aux Israéliens la chance de s’intégrer dans la région », imprégnée de culture arabe. Pour l’auteur, l’État unique et démocratique pourrait prendre la forme d’un état fédéral, mais il revient aux peuples israélien et palestinien de définir démocratiquement cet État, symbole de leur réconciliation. Il importe donc désormais de faire évoluer les mentalités dans les deux communautés, par une éducation démocratique et populaire. Même si elle chemine depuis une quarantaine d’années, cette option démocratique s’impose désormais comme seul espoir de paix viable et durable au Proche-Orient. Alors, « la véritable bataille sera une bataille de droits et d’égalité entre Palestiniens et Israéliens ».

Mais avant d’en arriver là, selon l’auteur, un dialogue doit s’établir entre les deux parties. L’occupation et la colonisation doivent cesser, le mur doit être démantelé. Il faut aussi que la communauté internationale se mobilise en faveur de cette option démocratique, plutôt que de se taire dans un silence complice. À commencer par le Canada, qui se réfugie dans la passivité et la neutralité sur toute question touchant Israël. Pour Rezeq Faraj, la passivité internationale laisse aux États-Unis le libre arbitrage du conflit israélo-palestinien, et à Israël, une quiétude d’action presque légitimée par défaut.

L’initiative d’une paix viable se trouve donc à Tel-Aviv et à Washington. Mais la véritable solution durable repose dans les droits de l’homme et la démocratie. « Je demeure persuadé qu’il ne peut y avoir de paix sans justice et sans le respect des droits humains fondamentaux », écrit-il d’ailleurs. Par chance, les prochaines élections israéliennes amèneront peut-être de l’eau au moulin. « Le seul espoir c’est qu’Amir Peretz l’emporte avec une majorité ». Peretz, premier Nord-Africain élu à la tête du Parti travailliste, parle de démantèlement complet des colonies israéliennes de Cisjordanie, ce qui, reconnaît Rezeq Faraj, serait un premier pas vers le dialogue.