Communautaire rime toujours avec misère

Entre l’effarant taux de roulement et le désespoir chronique

*Bien qu’elle ait eu lieu en retrait des habituels projecteurs, la publication du Rapport d’enquête sur le communautaire aura contribué à la mise en lumière de bien cruelles vérités. Dans ce secteur qui regroupe quelque 50 000 emplois au Québec, le quart de la main d’œuvre gagne moins de 10 $ l’heure et 80 % des employéEs gagnent un salaire inférieur à 20 $ l’heure. En tout, c’est quasiment le tiers des salariéEs du communautaire qui doivent se résoudre à vivre sous le seuil de la pauvreté, tel qu’établi par Statistique Canada (14 260 $ par année en milieu urbain). Le taux de syndicalisation chez ces salariés, dont plus du tiers possèdent un diplôme universitaire, est d’à peine 3 %.

Ainsi, les faibles salaires, les difficiles conditions de travail et le filet de sécurité sociale quasiment inexistant viennent gâcher le plaisir qu’on pourrait encore trouver à concilier permanence de groupe et militance sociale. En témoignent l’effarant taux de roulement des salarié-es du communautaire et le très grand nombre d’entre eux aux prises avec des difficultés financières ou avec le burn-out ou encore la dépression chronique.

Appelée à commenter certaines données du rapport, madame Françoise David, porte-parole d’Option citoyenne et ancienne travailleuse du groupe Au bas de l’échelle, se dit particulièrement outrée par la situation des femmes, qui comptent pour 80 % de l’ensemble de cette main d’œuvre.

« De voir autant de femmes porter à bout de bras le secteur communautaire, c’est assez effarant, a-t-elle lancé. En même temps, quand on apprend qu’une sur quatre travaille à moins de 10 $ l’heure, c’est honteux comme situation. »

Dans la foulée, madame David s’en est prise aux groupes masculinistes qui obtiennent ( selon elle ) du financement, et ce dès leur première année d’existence. « C’est un peu désolant de voir ça. Surtout quand on sait que des groupes communautaires bien établis souffrent d’un sous-financement chronique. »

Dans la même lancée, M. Jean-Pierre Deslauriers, professeur de Service social à l’université du Québec (Hull) et co-auteur de Travailler dans le communautaire, s’est dit peu surpris par certaines données très négatives du rapport.

« Je continue à penser, dit-il, que travailler dans le communautaire est une expérience des plus enrichissantes. Pourtant, c’est vrai que les conditions de travail sont désolantes. Avant, je recommandais fortement à mes élèves d’aller faire quelques années dans le communautaire. Maintenant, je leur dis aussi d’aller voir ailleurs. »

Pour MM. Daniel Lamoureux, coordonnateur du Comité Aviseur (chargé des négociations entre le gouvernement et les groupes communautaires), et Elsie Lefebvre, critique péquiste de l’action communautaire, la solution du problème des conditions de travail passe par un meilleur financement.

« Que le gouvernement respecte les seuils plancher (de subventions) qu’il a établis en 2003 et on aura de bien meilleurs résultats », gronde M. Lamoureux.

La jeune députée de Laurier-Dorion, elle, croit que la ministre Courchesne, titulaire du Secrétariat à l’action communautaire autonome, aurait intérêt à lever le moratoire sur le financement des nouveaux groupes communautaires. « Aussi, a-t-elle ajouté, il est grand temps qu’on arrête le financement à la pièce et qu’on s’en tienne à la politique de reconnaissance établie en 2001 ! »

Au chapitre des conditions de travail, le professeur Deslauriers croit que le mouvement communautaire n’est pas assez conscient de son importance. « Ça fait en sorte, dit-il, qu’au lieu de porter ensemble des revendications pleinement justifiées, le mouvement va plutôt vers le morcellement. Des propos qu’endosse volontiers Elsie Lefebvre. Selon cette dernière, « si le mouvement communautaire veut avancer, il pourrait y avoir des choix déchirants à faire, comme la grève. C’est ça, ou risquer de passer à côté de la cible. »

Là-dessus, M. Renaud Beaudry, coordonnateur de la Table régionale des organismes communautaires Centre du Québec-Montérégie, croit que le mouvement communautaire gagnerait à parler d’une seule et même voix. « Actuellement, dit-il, le communautaire est éparpillé dans différents regroupements ayant chacun ses intérêts. Moi, je verrais très bien une association ou un syndicat national qui soit mandaté pour avancer ce genre de choses ».

Actuellement, moins de 1 % des 5 000 organismes répertoriés, possède un régime de retraite et seulement 35 % ont un régime d’assurances collectives. L’idée d’un Régime de retraite à fonds partagés, telle qu’avancée par les groupes Relais-Femmes et le Centre de Formation Populaire, est applaudie par tout le monde.

« Une bonne chose, lance M. Beaudry. Mais ça va prendre beaucoup plus que ça pour contrer l’insécurité liée au vieillissement. En tout cas, poursuit ce dernier, il va falloir que le gouvernement s’engage financièrement et pas juste pour quelques années. »

Enfin, à l’évocation de voir peut-être le communautaire se vider de ses forces vives (avec la retraite massive des boomers), différents sons de cloche se sont fait entendre. Daniel Lamoureux, bien qu’il trouve ce discours très alarmiste, reconnaît qu’il y a des dangers. « C’est sûr dit-il, que si le communautaire devient un sous-traitant de l’État, ça sera moins attirant pour les jeunes. »

Par contre, Renaud Beaudry, lui, y voit un réel danger. « C’est certain, commente ce dernier, qu’en devenant plus « fonctionnarisé », ce secteur est moins attirant pour des jeunes en quête d’idéaux à défendre. En plus, si on ajoute aux actuelles mauvaises conditions de travail la cannibalisation de la main d’œuvre par d’autres secteurs (due à la réforme Couillard), c’est certain que c’est très dangereux ».

En guise de conclusion, on pourrait toujours dire (avec les auteur-es du Rapport), « que si les groupes misent sur leur main d’œuvre, comme valeur fondamentale, et que, si le gouvernement les accompagne dans cette voie, alors , travailler dans le communautaire cessera de rimer avec misère ! »

*Journaliste à Droit de Parole