Gérald Tremblay se sent-il menacé par Projet Montréal ?

Ce n’est pas un club d’idées ou un groupe de pression

Lors des dernières élections municipales, plusieurs personnes avaient averti Richard Bergeron qu’il rêvait en couleurs quand il disait que Projet Montréal pouvait aller chercher 10 % du vote. Le jour du scrutin, un journaliste de la Gazette lui a même donné une dernière chance pour se rétracter et faire de nouvelles prédictions plus modérées pour le parti politique qu’il a fondé en 2004. « J’ai toujours refusé de me corriger, affirme fièrement le docteur en aménagement. Et j’ai eu raison, puisque notre parti a reçu 12 % des votes au total. »

Fort de ce succès inattendu, le chef de Projet Montréal continuera donc de faire la promotion de son programme axé sur les transports collectifs. Même s’il sera le seul élu de son parti à siéger à l’hôtel de ville, il s’attaque à la tâche avec les yeux déjà rivés sur la prochaine élection. Ses objectifs sont ambitieux. Il veut que la jeune formation politique devienne « la véritable opposition » au maire Gérald Tremblay d’ici quelques années.

Projet Montréal essaiera de réaliser des gains lors d’élections partielles, mais aussi grâce à la défection de certains élus des autres partis qui pourraient joindre ses rangs. « Pierre Bourque ne sera sûrement pas là pour les élections de 2009, prédit Richard Bergeron. Son départ va faire beaucoup d’orphelins politiques. Et nous sommes déjà en négociations avec plusieurs personnes. » Dans certains districts, Projet Montréal aurait même accepté de ne pas présenter de candidat contre des politiciens qui lui auraient promis un ralliement éventuel.

Le nouveau conseiller de ville est tout de même conscient que c’est une tâche colossale qui l’attend, et s’avoue impressionné par le travail qui reste à accomplir. « En plus de la guerre de tranchées politique, il y aura tout le volet éducatif, pour faire connaître notre programme. Ça fait aussi beaucoup de choses à documenter, par exemple sur les domaines du loisir et la culture, que je ne connais pas beaucoup. Il faut pouvoir rester compétent ! »

Richard Bergeron affirme qu’il a bâti sa vie entière autour de cet idéal de compétence. Responsable des analyses stratégiques à l’Agence métropolitaine de transport (AMT) et expert québécois incontesté en matière de transport, il affirme que son slogan a toujours été « militant, oui, mais compétent d’abord ».

L’auteur du Livre noir de l’automobile, de L’économie de l’automobile au Québec et de plusieurs autres documents d’analyse et de réflexion sur le transport documente abondamment chacune des propositions mises de l’avant par sa formation. « C’est très rare que je perds une bataille technique, souligne-t-il. Moi, qu’on qualifie d’idéologue anti-automobile, j’ai approfondi le sujet de la voiture plus que n’importe quel de ses défenseurs au Québec. »

La dernière année aura été celle de l’apprentissage des rouages de la politique, un champ d’action nouveau pour lui, dans lequel il s’est lancé « pour obtenir enfin des résultats concrets ». Il voit la chose d’un œil très pragmatique. « Même si tu as le plus beau programme au monde, tant que tu n’es pas élu, ça ne donne rien. »

Durant toute la campagne électorale, le chef de Projet Montréal a répété à ses troupes que les belles idées et les bonnes intentions ne suffisent pas à obtenir des résultats concrets. « Nous devons nous transformer en machine à prendre le pouvoir », martèle-t-il. Aux militants qui ont de la difficulté à se plier aux exigences d’une campagne électorale « grand public », il explique que la finalité d’un parti politique est de remporter les élections. « Ce n’est pas un club d’idées ou un groupe de pression ! »

Projet Montréal cherchera donc à conserver l’enthousiasme initial d’une formation qui s’est présentée comme une solution de rechange aux deux partis traditionnels, tout en étant aussi professionnel que ces derniers.

Richard Bergeron croit pour l’instant qu’il pourra mener cette bataille sans quitter son poste d’analyste à l’AMT. « Gérald Tremblay crie au conflit d’intérêt depuis que je suis élu, dit-il. Pourtant, je ne vois pas comment je peux tirer un avantage personnel de ma situation. » Il ajoute que 95 % des élus municipaux au Québec occupent un emploi en parallèle, et qu’on retrouve parmi eux plusieurs agents d’immeubles, qui ont beaucoup plus de chances d’être en conflit d’intérêt.

L’urbaniste attache d’ailleurs beaucoup d’importance à son travail pour l’AMT. L’idée d’entrer en politique lui est venue après que plusieurs projets d’envergure qu’il avait développé à la demande de ses patrons aient été tablettés par les autorités politique, même si tout le monde saluait la qualité de son travail. Bergeron avait nottamment ébauché un plan de retour du tramway à Montréal et la mise sur pied d’un service de partage de voitures en libre service, deux thèmes qu’il reprend à Projet Montréal.

Estimant avoir été « aussi loin qu’un fonctionnaire peut aller dans le cadre de son travail », il veut maintenant insuffler un peu de contenu à la vie politique montréalaise. « Quand j’entends le discours de Gérald Tremblay, des fois, les bras m’en tombent, se désole-t-il. Pendant la campagne, on lui a demandé quel était son plan de transport pour Montréal, et il a parlé de nouveaux trains de banlieue vers Repentigny, Mascouche et la Rive-sud. Franchement, il n’a même pas nommé Montréal ! »

Le maire Tremblay se sent-il menacé par l’arrivée d’un nouvel opposant à l’Hôtel de ville ? Toujours est-il qu’il boude le chef de Projet Montréal depuis l’élection. « Le lendemain du vote, je me suis présenté à son bureau pour le féliciter pour sa victoire, par courtoisie. J’ai rencontré Pierre Bourque, cette fois-là, d’ailleurs. Gérald Tremblay était absent, mais j’ai laissé le message à sa secrétaire. Il ne m’a jamais rappelé. »