Le lock out est le coup de cœur du patron

Renaud-Bray a les moyens d’appauvrir ses employés

Devant la librairie Renaud-Bray de la rue Saint-Hubert, des libraires, disquaires et caissiers, pancarte à la main, ont dressé une ligne de piquetage pour bien montrer que l’employeur les a mis en lock-out et que le magasin est tenu par des cadres. Ils sont toutefois bien embêtés lorsque les passants leur demandent les raisons de cet arrêt de travail. C’est que personne ne s’explique la décision de Renaud-Bray d’avoir mis ses syndiqués de 11 succursales sur le trottoir à l’approche de la période la plus achalandée de l’année.

« Il n’y avait aucune logique à déclencher un lock-out à ce moment là. C’est complètement irrationnel ! », déplore Patrick Rondeau, président de la section locale 574 du Syndicat des employées et employés professionnel-les et de bureau (SEPB), affilié à la FTQ.

Le propriétaire Pierre Renaud aime rappeller que c’est un livre d’astrologie qui lui a donné l’idée d’être libraire, « la profession rêvée des gémeaux ». L’histoire ne dit pas si ce sont les astres qui lui dictent sa façon de négocier. Le lock-out a été imposé le 22 novembre, au lendemain de la toute première rencontre avec le conciliateur du gouvernement. « Pourtant c’est sûr qu’il n’y a rien qui pouvait se régler à ce moment là, il faut d’abord faire le tour du dossier », s’exclame Patrick Rondeau. Avant d’obtenir la concilitation, les 375 syndiqués avaient tenu deux journées de débrayage afin de faire débloquer la négociation.

Pour sauver les apparences et éviter le mot « lock-out », la chaîne de librairies a d’abord prétexté une panne informatique majeure qui n’aurait touché que les 11 magasins syndiqués au SEPB. Une supercherie vite démasquée par les médias et le syndicat.

Les employés se sont syndiqués en 1997, après que le Fonds de solidarité FTQ ait sauvé l’entreprise de la faillite. Mais de toute évidence, la direction tolère mal la présence d’un syndicat aussi combatif dans ses succursales. « Au début, ils ont essayé de nous faire une “ job de bras ” juridique, explique le président du syndicat. Leurs avocats venaient nous avertir à propos de nos moyens de pression, qui sont pourtant tout à fait légaux. » Lors de la rencontre de conciliation, Renaud-Bray a exigé que les travailleurs cessent de distribuer des tracts et de porter les couleurs du syndicat au travail.

Même si la décision des patrons de déclencher si rapidement un arrêt de travail ressemble à un coup de tête, Patrick Rondeau laisse entendre qu’elle avait été préparée d’avance. « Renaud-Bray a vidé les entrepôts juste avant le conflit, comme s’ils avaient prévu le coup. Tout le stock est en magasin. » Il ajoute que les maisons d’éditions « sont “ sur la grosse panique ”, parce que tout leur stock est maintenant dans les succursales ».

En négociation, Renaud-Bray semble avoir eu de la difficulté à interpréter ses propres offres salariales. Les chiffres rendus publics par la direction et relayés par les médias parlaient d’un gel de trois ans suivi d’une augmentation salariale de 23 %, alors que les syndiqués auraient réclamé des augmentations de 50 %. Rien n’est plus faux, explique Patrick Rondeau. « C’est ridicule, il n’y a pas un syndicat qui va demander une telle augmentation d’un coup ! Pour arriver à ces chiffres, Renaud-Bray a compté la progression normale des employés dans les échelles salariales de notre convention comme une offre d’augmentation. Ce ne sont pas des augmentations, ce sont des choses qui font déjà partie de la convention. » De plus, comme le taux de roulement du personnel est de 150 % dans l’entreprise, peu d’employés voient leur salaire augmenter.

Notons que si le gouvernement du Québec décidait de calculer ses offres aux fonctionnaires selon la même méthode que Renaud-Bray, son offre de 8 % pour 6 ans passerait à 26 % pour la même période.

En conférence de presse, la président de la FTQ, Henri Massé, a affirmé que les employés de la chaîne de libraires n’avaient pas les moyens de s’appauvrir en acceptant un gel de salaires pour trois ans. En moyenne, un caissier au bas de l’échelle gagne 7,87 $ l’heure et un libraire, 8,40 $, ce qui se rapproche plus des salaires versés dans les magasins grande surface que dans les librairies traditionnelles. La majorité des employés ont fait des études universitaires et gagnent environ 12 000 $ par année.

L’entreprise, quant à elle, affiche un chiffre d’affaires de 100 millions $ et vient de se lancer dans un plan ambitieux qui vise à lui assurer le contrôle de 40 % du marché du livre au Québec. Quinze nouvelles succursales ouvriront leurs portes dans les prochaines années.

Les employés tiennent à rappeller que les succès de la chaîne sont aussi dûs à la qualité du service qu’ils offrent. Pour être embauché, les candidats doivent répondre à un questionnaire très pointu sur le secteur où ils souhaitent travailler. Libraires, libraires jeunesse et disquaires connaissent bien leur métier. « Mais la direction veut uniformiser tous les magasins, faire comme les McDonalds. Ils se moquent de nos compétences », déplore André Garant, un jeune disquaire qui termine présentement un bac en musique.

« Dans leur tête, tout peut être uniformisé d’un magasin à l’autre, confirme Patrick Rondeau. Chez Renaud-Bray, le seul libraire, c’est Pierre Renaud. Pour eux, la clientèle est la même dans le Village gai qu’à Victoriaville et ils veulent lui vendre les mêmes livres. »

Le président du syndicat affirme que les connaissances des employés sont malheureusement loin d’être au cœur du plan de développement de la chaîne. « Tout le travail de conseil est nié, ils veulent seulement vendre des “ Coups de cœur Renaud-Bray ”. Pourtant, ça ne fonctionnerait pas si les gens nous demandaient des conseils et que nous leur répondions qu’on ne peut pas les aider dans leurs choix. »

Les travailleurs bénéficient quand même de la relation qu’ils ont su bâtir avec la clientèle. Selon les piqueteurs rencontrés par l’aut’journal, 80 % des clients rebroussent chemin lorsqu’ils apprenent que l’entreprise est en lock-out.