Le Brésil s’interroge, le Canada joue à l’autruche

Face aux pressions pour réprimer les pauvres des bidonvilles

Hors d’Haïti », titrait l’éditorial du quotidien Folha, à Sao Paulo, jeudi dernier. « Le Brésil doit régler ses propres problèmes de base avant de lancer des missions pour aider à gouverner le monde », pouvait-on y lire. Depuis que le général brésilien Urano Bacellar, commandant des troupes des Nations Unies en Haïti, a été retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel, le 7 janvier, de plus en plus, les Brésiliens élèvent la voix pour réclamer le retrait de leurs militaires du pays.

Le 10 janvier dernier, l’Agence haïtienne de presse (AHP) citait le député socialiste Orlando Fantazzini, membre de la commission des Affaires étrangères de la Chambre basse du Brésil, qui trouve « lamentable que les troupes brésiliennes fassent le sale boulot pendant que les États-Unis refusent de tenir leurs promesses ».

L’AHP rapportait aussi les paroles du député Fernando Gabeiras, du Parti Vert du Brésil, qui demande le retrait des troupes. « On demande à nos soldats de régler militairement un problème social », a-t-il dénoncé, ajoutant que les troupes de l’ONU font l’objet de pression constantes pour réprimer les pauvres des bidonvilles haïtiens.

Toujours selon l’Agence haïtienne de presse, le général Bacellar avait rencontré de hauts responsables du milieu des affaires de Port-au-Prince la veille de son suicide apparent. Il aurait alors été insulté par les patrons, qui l’exhortaient à lancer des opérations plus vigoureuses contre les quartiers pauvres de la capitale, fiefs des supporters du président déchu Jean-Bertrand Aristide et de son parti Lavalas.

Dans un autre article paru le 12 janvier, l’agence de presse Reuters cite des parlementaires de Brasilia qui qualifient la mission en Haïti de « désastre » très coûteux, et des analystes brésiliens qui se demandent pourquoi le président Lula a envoyé des soldats dans ce pays, qui aurait plutôt besoin « de policiers, d’aide financière et de travailleurs humanitaires ».

L’article explique aussi que les soldats de l’ONU se plaignent d’être vus comme des « occupants étrangers ou des pions des États-Unis » par la population haïtienne

Au Canada, personne chez les parlementaires ou dans les médias ne semble remettre en l’implication du Canada en Haïti depuis que des groupes armés ont chassé le président Aristide, en avril 2004. Si les soldats canadiens ont été remplacés entre autres par des casques bleus brésiliens, chiliens et argentins, le Canada compte encore plusieurs policiers dans l’île des Antilles, qui participent à des raids qui terrifient la population des quartiers pauvres.

Un récent documentaire du journaliste états-unien Kevin Pina, intitulé Haïti : The Untold Story, démolit d’ailleurs le mythe selon lequel cette mission serait une simple opération de « maintien de la paix ». On y voit les troupes de l’ONU armées jusqu’aux dents lancer des opérations dans les quartiers pauvres, officiellement pour arrêter des « bandits » associés à Lavalas et Aristide. Plusieurs morts jonchent le sol après le passage des soldats et des policiers. Des habitants montrent à la caméra leurs maisons criblées de balles, d’autres exhibent leurs blessures.

Dans un récent rapport, l’organisation catholique Justice et Paix dénombrait environs 700 prisonniers politiques en Haïti, emprisonnés depuis le renversement de l’ordre constitutionnel et l’instauration d’un gouvernement de facto soutenu par le Canada, les États-Unis et la France.

Amnistie internationale, via plusieurs communiqués de presse, s’est dit inquiète pour la sécurité des partisans d’Aristide et de Lavalas. Elle dénonce aussi l’arrestation et la détention dans des conditions dangereuses pour sa santé du père Gérard Jean-Juste, un prêtre catholique qui a critiqué publiquement l’occupation d’Haïti et qui était un des candidats les plus populaires de Lavalas en vue des élections de février prochain. Amnistie le considère comme « un prisonnier de conscience, détenu uniquement pour avoir exercé son droit à la libre-expression ». Des policiers de l’ONU ont participé à l’arrestation de Gérard Jean-Juste alors qu’il se rendait aux funérailles d’un journaliste.

C’est que les policiers étrangers ne chôment pas depuis leur arrivée dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère. Un agent canadien en poste à Port-au-Prince a déclaré à une équipe d’observateurs de l’Université de Miami que tout ce qu’il faisait depuis son arrivée en Haïti, c’était « de s’engager dans une guérilla quotidienne ». Le rapport disponible sur le site de la faculté de droit de l’Université (http://www.law.miami.edu/news) fait état de nombreuses violations des droits humains par le gouvernement de facto et les forces étrangères.

Lorsque des militants montréalais du groupe Haïti Action Montréal lui ont remis ce document, le ministre des Affaires étrangères du Canada Pierre Pettigrew l’a rejeté du revers de la main en le qualifiant de « propagande, ce qui n’est pas intéressant ».

Depuis longtemps, les autorités justifient les rafles dans les quartiers populaires par le fait que ces derniers seraient le repère des kidnappeurs qui multiplient les demandes de rançons en Haïti ces derniers mois. Seulement pendant le congé des fêtes, plus de 50 personnes ont été enlevées.

Mais à la surprise générale, le 13 janvier dernier, la police haïtienne a annoncé avoir démantelé un réseau de kidnappeurs qui opérait à partir de la riche banlieue de Pétion-Ville, le quartier le plus aisé de la capitale ! Selon une dépêche de l’AHP, les personnes enlevées par le groupe ont été séquestrées « dans une maison luxueuse estimée à des centaines de milliers de dollars ».