Le Forum social mondial dans un pays sous la coupe du FMI

Les toubabs côtoient les Maliens à Bamako

Du 19 au 23 janvier dernier, Bamako a donné l’envol à l’édition dite « polycentrique » du Forum social mondial 2006. Dans les rues de la capitale malienne, les militants venus de partout sur le continent, et ceux d’ailleurs, les « toubabs », nom donné aux Blancs ici, baignent dans le brouhaha quotidien de cette ville d’un million d’habitants.

Sous le chaud soleil africain, les participants se promènent d’un site à l’autre pour assister à l’une des 300 conférences proposées. Sur le bord du « goudron », les commerçants profitent de ces gens de passage pour vendre leur marchandise. C’était la première fois que le forum social avait lieu en sol africain. Durant les cinq jours, près de 15000 personnes venus de 113 pays des cinq continents ont participé au forum.

« La nouvelle formule polycentrique du FSM permet à des pays comme les nôtres de recevoir le forum social sans avoir à organiser une réunion mondiale de l’ampleur de celle de Porto Alegre », se réjouit le président du comité national d’organisation Danioko Djadié en entrevue à l’aut’journal.

Les trois FSM ont lieu presque simultanément à Bamako, au Mali, à Caracas, au Venezuela, du 24 janvier au 29 janvier, et à Karachi, au Pakistan, à la fin mars. « Grâce à la présence de plusieurs occidentaux, on a vu que le FSM de Bamako n’était pas seulement un forum continental africain, mais que c’était un événement mondial », constate M. Djiadié, ancien ministre malien de la Culture et organisateur, tout juste après la fin des activités.

Le célèbre syndicaliste et paysan français José Bové a fait le voyage jusqu’à Bamako. « Bamako est au cœur des luttes altermondialistes », a-t-il mentionné. La motivation à changer le monde est palpable au Mali.

Le Mali est durement touché par les privatisations imposées par le FMI et la Banque mondiale, par les politiques de l’OMC et le pillage de ses ressources naturelles. Les producteurs de coton maliens vendent leurs récoltes trop peu cher pour rester compétitifs, et s’endettent. Les cultivateurs de riz sont expulsés de leurs champs à l’Office du Niger, aux abords du fleuve Niger, et les travailleurs du lucratif secteur des mines d’ors sont en grève depuis des mois pour obtenir des conditions de travail et des salaires décents.

Le forum était l’occasion rêvée pour faire connaître ces problèmes et la plupart des Occidentaux étaient justement venus pour en prendre acte.

Le porte-parole de l’association française Droits Devants qui défend les immigrés, Jean-Claude Amara, est l’un deux : « On ne peut pas mener un vrai combat de fond si on n’a pas les capacités de coordonner nos efforts, nos luttes, nos revendications politiques avec les principaux concernés dans les pays du Sud. », affirme-t-il.

« Durant le forum, nous avons vécu la matérialisation d’un front Nord-Sud altermondialiste », remarque Danioko Djadié, responsable de l’organisation du forum malien. Le réseautage se vit aussi au niveau de la sous-région. Boubacar Dao de la Fédération des organisations paysannes du Sénégal (FONS) souhaitait renforcer les liens entre les pays d’Afrique subsaharienne qui vivent les mêmes problèmes en agriculture, notamment la compétition féroce des agricultures subventionnés dans les pays occidentaux. « Le fait d’échanger avec d’autres gens dans la même condition nous permet de connaître d’autres idées et c’est cette dynamique qui nous permettra de créer une conscience populaire. »

Même si les conférences avaient parfois un ton intellectualiste qui semblait loin de la réalité, et même si on ne sentait pas toujours la présence de la « base populaire » noyé dans un flot d’organisations non gouvernementales, le Forum social mondial est bel et bien un endroit d’échange et de débats d’idées dont les répercussions s’inscrivent dans le long terme.

Les étrangers plongés pour un court instant dans la réalité malienne reviendront dans leur pays avec un carnet rempli de notes et de numéros de téléphone de leurs collègues militants et surtout avec des images et le sentiment que les Africains sont prêts à prendre leur destin en main pour créer cet « un autre monde » dont rêvent les participants des forums sociaux mondiaux. L’Afrique et le monde se donnent rendez-vous au Kénya, à Nairobi pour le Forum social mondial 2007.