Le lobby récréotouristique servira de paravent

Comment justifier un milliard pour la promotion du jeu ?

La Direction de la Santé publique et le comité interministériel présidé par Guy Coulombe déposeront bientôt leurs rapports d’étude très attendus sur le projet de « complexe récréotouristique » du Bassin Peel, défendu par le PDG de Loto-Québec, Alain Cousineau.

Depuis l’annonce du projet, la Table de Concertation communautaire Action-Gardien de Pointe Saint-Charles a mené campagne pour « exprimer l’opposition des citoyens du quartier », et « mobiliser les autres groupes et organismes de l’extérieur du quartier, qui désirent un débat sur le jeu au Québec et sur le type de développement dont on a besoin », explique Jean Lalande. Pour ce porte-parole d’Action-Gardien, le problème est triple.

D’abord, « le gouvernement veut une augmentation des revenus de Loto-Québec, mais sans augmentation de l’offre de jeu, parce que c’est controversé sur le plan politique. Alors on fait une sorte de pirouette. On dit qu’on n’augmentera pas le nombre de machines, mais en les rapprochant des populations, on va optimiser leur utilisation ». Pourtant, lorsqu’il avait été implanté sur l’Île Notre-Dame en 1993, c’était précisément dans le souci de l’éloigner des populations et de minimiser le coût social d’une telle offre de jeu.

« Pour nous, les enjeux ne se limitent pas qu’au problème du jeu, qui augmenterait évidemment, mais il y a aussi l’impact déstructurant sur le quartier. On peut imaginer que personne n’est enthousiaste à l’idée d’élever une famille près d’un casino. C’est sans compter les problèmes liés à la circulation, à la hausse de la criminalité ou à la spéculation immobilière. Un projet de cette ampleur et de cette nature, à deux pas d’un quartier résidentiel, aurait un impact dévastateur. Ça détruirait le quartier tel qu’on le connaît », rajoute Jean Lalande. En effet, Loto-Québec annonce le réaménagement de l’autoroute Bonaventure et des infrastructures majeures sur le Bassin Peel et l’ancienne gare de triage du CN.

Enfin, « il y a la question des investissements publics massifs. Il faut mettre cela en rapport avec d’autres choix qu’on pourrait vouloir faire au Québec. Il y a des besoins criants en matière de santé et de logement social. Le gouvernement a invoqué le piètre état des finances publiques pour justifier certaines de ses décisions récentes. Alors comment justifier, dans ces conditions-là, qu’on va dépenser un milliard pour faire la promotion du jeu ? » D’ailleurs, « pourquoi y a-t-il tant de pression autour d’un projet dont il n’est pas du tout évident qu’il sert le Québec ? Il est clair qu’il y a beaucoup d’intérêts privés en jeu ». Effectivement, « les appuis au projet de Loto-Québec viennent essentiellement du milieu des affaires. Des intérêts d’affaires généralement associés d’une façon ou d’autre au réseau de la Société du Havre, de Spectra et de la Chambre de Commerce de Montréal ».

Dirigée par nul autre que Lucien Bouchard, la Société du Havre de Montréal (SHM) fut fondée en 2002 dans le but de « revitaliser » le secteur du Havre, de l’Ile Notre-Dame, Casino compris. Depuis 2004, le plan d’action Vision 2025 de la SHM propose de détourner l’autoroute Bonaventure, de « localiser un centre de foires d’envergure internationale dans le Havre, d’encourager Loto-Québec à poursuivre la modernisation du Casino tout en le reliant au Vieux-Port par un système de transport collectif ».

Bien au fait de ces objectifs, puisqu’il siège au conseil d’administration de la SHM, Alain Cousineau ne peut que gagner des appuis en reprenant ces idées aux frais de Loto-Québec Il en va de même lorsqu’il annonce un complexe de divertissement sur le Bassin Peel, conformément au plan de développement Imaginer - Réaliser Montréal 2025 établi par l’équipe Tremblay dans le sillage du Sommet de Montréal de 2002.

Notons par ailleurs que c’est Benoît Labonté qui a la responsabilité du développement du centre-ville de Montréal, depuis qu’il a quitté la co-présidence de la SHM pour briguer la mairie de l’arrondissement Ville-Marie en novembre dernier. Inutile d’extrapoler sur le fait que la SHM doive étroitement collaborer avec lui.

De plus, depuis octobre, une vaste « Coalition non partisane d’appui au projet de Complexe de divertissement du bassin Peel », regroupant des milieux économiques, touristiques et culturels, se rassemble derrière Alain Cousineau. Des gens avec lesquels il a d’ailleurs frayé pendant plusieurs années. Étonnamment, la moitié des organismes liés à cette coalition sont conseillés ou administrés (à titre de « gouverneurs ») par des membres du conseil d’administration de la SHM. C’est le cas des deux co-présidents de ladite coalition, Isabelle Hudon et Charles Lapointe, respectivement à la tête de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (autrefois présidée par Benoît Labonté) et de Tourisme Montréal (qu’Alain Cousineau a présidé durant 21 ans).

Fort des crédits publics (997 M$), le PDG de Loto-Québec livre donc sur un plateau d’argent un « projet rassembleur » à tout le gratin récréotouristique montréalais. Fin stratège? Plutôt fin connaisseur. Si Alain Cousineau est très au fait des différents plans et visions des groupes d’intérêts privés et des autorités de la Ville de Montréal, c’est simplement parce qu’il est lui-même mêlé au milieu touristique de la métropole. Tourisme Montréal, la Fondation de l’ITHQ, le Groupe Spectra, le Groupe Juste pour rire figurent tour à tour dans son parcours d’administrateur. Son collègue Charles Lapointe ne manquait d’ailleurs pas, en mars 2003, de « souligner la rigueur et la constance du président du conseil de Tourisme Montréal, Alain Cousineau, qui, depuis le milieu des années 80, a maintenu le cap pour la relance du tourisme à Montréal ». Le lobby « récréotouristique » métropolitain pouvait-il espérer meilleur ambassadeur ?

En mêlant ainsi les desseins de la Ville de Montréal et ceux de cette coalition « non partisane » aux objectifs de rentabilité de Loto-Québec, Alain Cousineau met le gouvernement et l’opinion publique au pied du mur. Enrobé d’un volet social pour mieux le faire avaler – soit la construction de 800 logements sociaux – le projet fait de la Société d’État une agence de développement indépendante qui aurait le pouvoir et la mission sociale d’administrer le bien public parallèlement au gouvernement. Est-ce finalement le Casino qui est enrobé d’un projet touristique, ou n’est-ce pas l’inverse ?

Pour Jean Lalande, il y a donc lieu de faire la lumière sur les véritables intérêts que servirait un tel projet. « On parle de grosses sommes, on veut s’assurer qu’elles ne soient pas utilisées pour enrichir des intérêts privés, sur le dos de personnes moins fortunées ou même de l’ensemble des Québécois ».