Le mouvement souverainiste québécois doit choisir son camp. Le PQ risque de trouver encombré le terrain à droite

Pendant que le Canada anglais s’aligne sur la droite américaine, l’Amérique latine est en train de virer résolument à gauche.

Le Parti Libéral a subi une des plus sévères défaites de son histoire au Québec. Par effet boomerang du scandale des commandites et d’Option Canada, sa base se trouve réduite, pour l’essentiel, à son squelette, quelques comtés du West Island et de l’Outaouais.

Avec des victoires dans 51 circonscriptions, le Bloc Québécois a une nouvelle fois prouvé sa nécessité, malgré une campagne savamment orchestrée par Radio-Canada et les médias de Power Corporation pour soutenir le contraire. Même si le Bloc est de loin la plus importante formation politique au Québec, ces médias l’ont traité comme un tiers parti, le plaçant sur le même pied que le NPD qui n’a pas réussi à faire élire un seul député.

La victoire du Parti conservateur ouvre une toute nouvelle conjoncture politique. À la tête d’un gouvernement minoritaire, Stephen Harper sera sans doute obligé de garder secret son « agenda caché » jusqu’à ce qu’il puisse compter sur une majorité au Parlement. La méfiance à l’égard des idées conservatrices restreint les possibilités d’élargissement de la base électorale des conservateurs au Canada anglais. La majorité parlementaire ne peut venir que de gains électoraux au Québec. Il ne faudra pas se surprendre que les questions du déséquilibre fiscal et de la représentation du Québec sur la scène internationale et – pourquoi pas ! – les questions constitutionnelles occupent subitement le devant de la scène politique.

La nouvelle donne politique et les reculs du vote souverainiste dans certaines régions du Québec obligent le Bloc, mais également le Parti Québécois et l’ensemble du mouvement souverainiste, à une réévaluation de sa stratégie.

La campagne d’André Boisclair dans la course à la chefferie du Parti Québécois était basée sur le postulat que la reconquête de l’électorat adéquiste des régions de Québec et de la Beauce passait par un discours axé sur les idées qui ont fait le succès de Mario Dumont. Mais les positions de l’ADQ et même du Parti Libéral – qui paraissaient hier si fragiles – vont tout d’un coup se consolider avec l’appui du Parti conservateur. Stephen Harper ne fait pas de cachette que son plan pour empêcher la tenue d’un nouveau référendum est d’aider à la réélection d’un gouvernement fédéraliste à Québec.

Le Parti Québécois risque de trouver le terrain à droite fort encombré et l’élection du 23 janvier démontre que l’électorat adéquiste préfère les candidats de droite d’un parti fédéraliste à ceux d’un parti souverainiste, comme l’a prouvé la défaite du bloquiste Richard Marceau.

L’élection de candidats conservateurs et de l’indépendant André Arthur dans l’aire de diffusion de CHOI-FM et des autres radios poubelles de la ville de Québec – puisque c’est bien de cela qu’il s’agit – soulève la question de la composition sociale de cet électorat particulier et de la meilleure façon de le rallier à la cause souverainiste.

Des chercheurs qui ont étudié la question nous disent que cet auditoire et cet électorat se trouvent principalement chez les assistés sociaux, les salariés non syndiqués et mal payés, et parmi ces 30 % de la main d’œuvre, souvent très jeune, qui occupe des emplois atypiques également non syndiqués. C’est une population qui exprime beaucoup de ressentiment à l’égard des politiciens, des fonctionnaires et des syndicats.

Que de jeunes politiciens souverainistes majoritairement montréalais – issus des associations étudiantes et ayant eux-mêmes du ressentiment à l’égard des organisations syndicales à cause des clauses « orphelins » et du gel d’échelon des conventions collectives qui affectent principalement les jeunes – rêvent d’une alliance, voire d’une fusion, avec le « petit peuple » de la région de Québec, on ne peut l’empêcher ! Mais parions qu’ils ne seront pas de taille à se faire entendre face aux démagogues et aux populistes que les conservateurs fédéralistes enrôleront.

Dans La Presse du 25 janvier, les nouveaux députés conservateurs Josée Verner et Christian Paradis reconnaissent avoir bénéficié de l’appui ouvert de Jeff Filion et de sa radio CHOI-FM. La directrice des communications de Christian Paradis était Marie Saint-Laurent qui a été la co-animatrice de Jeff Filion de 1999 à 2005 et elle reprendra le micro à ses côtés au début de mars sur la nouvelle Radio-Pirate.

Cette alliance entre des conservateurs canadiens et des populistes de droite au Québec n’est pas nouvelle. Le journaliste Normand Lester nous rappelle dans Le livre noir du Canada anglais, que le premier ministre conservateur Bennett – qui avait des liens avec le Ku Klux Klan américain – a versé des sommes colossales au fasciste Adrien Arcand pour financer la parution des journaux Le Miroir, Le Goglu et, plus tard, Le Fasciste canadien qui étaient l’équivalent de la radio poubelle actuelle.

Lester rappelle que les conservateurs de Bennett ont pris le pouvoir aux élections de 1930 en faisant élire cent trente-sept députés dont vingt-quatre au Québec. Depuis 1891, le Québec n’avait pas envoyé à Ottawa de députés « strictement » conservateurs et ces résultats étaient à peine croyables, écrit Lester, si l’on songe que les conservateurs n’avaient fait aucun effort particulier pour plaire au Québec. Le « goût du changement » et les journaux d’Arcand avaient suffi.

La campagne électorale a circonscrit les limites d’un discours souverainiste qui s’articule principalement sur les scandales fédéraux et le déséquilibre fiscal. Le discours souverainiste a besoin, non pas d’une soi-disant « modernisation » à la sauce néolibérale, mais d’une cure de rajeunissement, qui ne peut être qu’un retour aux sources.

La solution ne réside pas non plus dans un discours « à la carte » selon qu’on s’adresse à la population multi-ethnique des quartiers de Montréal ou au Québec régional traditionnel. Les thèmes unificateurs que sont la souveraineté et la question linguistique doivent en constituer le socle. On ne peut se contenter de les évoquer rapidement en fin de campagne quand on sent que des pans du vote nationaliste nous échappent.

La social-démocatie est l’autre pilier historique du ralliement du plus grand nombre au projet souverainiste. Aux États-Unis, les succès de Bush et des Républicains s’expliquent en bonne partie par la prolifération des radios « trash » auprès d’une population ouvrière de moins en moins syndiquée. Rappelons qu’en une trentaine d’années, le taux de syndicalisation aux États-Unis a dégringolé de 35 % à 13 %.

Que nous ayons au Québec le taux de syndicalisation le plus élevé en Amérique du nord (40 %) est le fruit de l’alliance historique entre le mouvement souverainiste et le mouvement syndical. L’offensive du gouvernement Charest contre le mouvement syndical avec les modifications à l’article 45 du Code du travail pour faciliter la sous-traitance et le récent décret dans les négociations du secteur public visent à saper non seulement les bases du mouvement syndical mais également du mouvement national.

Au cours de notre histoire, l’idéal souverainiste s’est toujours conjugué aux grands courants historiques mondiaux de libération. La rébellion des Patriotes de 1837-1838 s’inspirait de la révolution américaine et s’inscrivait dans le vaste mouvement des indépendances qui balayait l’Europe et les Amériques.

Dans les années 1960, le vieux mouvement nationaliste québécois s’est régénéré au contact du mouvement de décolonisation issu de la Seconde Guerre mondiale et du mouvement des droits civiques des Noirs américains. Aujourd’hui, une tâche similaire se présente à nous. Notre défi est de fusionner le mouvement souverainiste québécois avec le mouvement altermondialiste.

Pendant que le Canada anglais s’aligne sur la droite américaine, l’Amérique latine est en train de virer résolument à gauche. Le mouvement souverainiste québécois doit choisir son camp.