Aujourd’hui c’est le couteau sur la gorge pour tous

Il y a 33 ans c’était la prison pour les chefs syndicaux

*Il y a 33 ans ce mois-ci, le 2 février 1973, les chefs des trois grandes centrales syndicales, Louis Laberge, Marcel Pepin et Yvon Charboneau étaient emprisonnés pour avoir conseillé à leurs membres de défier les injonctions ordonnant le retour au travail lors de la grève du Front commun du printemps 1972. Le Parti Québécois et son chef René Lévesque s’apprêtaient à donner leur appui officiel à la grande manifestation du 1er mai 1973, qui allait voir plus de 30 000 travailleuses et travailleurs descendre dans la rue pour exiger la libération des chefs syndicaux.

Je veux mettre cet événement historique en parallèle avec la situation actuelle, alors que le gouvernement Charest vient de servir un retentissant triple coup de poing en pleine face au mouvement syndical et à l’ensemble des forces progressistes du Québec, avec l’adoption de la loi 142, sous le bâillon, le 16 décembre dernier.

Sans l’ombre d’un semblant de négociation, le gouvernement libéral a décrété jusqu’en 2010 les conditions salariales des 410 000 employés du secteur public, dans leur grande majorité des femmes, ce qui se traduit déjà par une perte de près de 5 % du pouvoir d’achat pour les deux premières années. Le secteur public a été pendant longtemps la locomotive du mouvement ouvrier. Il se retrouve aujourd’hui en queue de train, tout juste devant les travailleurs non syndiqués du secteur privé. C’est le signe incontestable d’un appauvrissement général de la main d’œuvre québécoise.

Le gouvernement se vante d’être parvenu à des ententes sur les clauses normatives avec plusieurs organisations syndicales, mais la plupart de ces « ententes » ont été signées le couteau sur la gorge aux petites heures du matin dans la nuit du 15 au 16 décembre. Un secteur aussi important que celui représenté par la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) de la CSN voit ses conditions de travail substantiellement revues à la baisse par le décret.

Enfin, quand je lis attentivement la loi 142, j’ai l’impression d’y retrouver un concentré de toutes les mesures les plus répressives et les plus coercitives adoptées par les gouvernements québécois au cours des dernières décennies. La liberté de négocier, la liberté d’expression, le droit fondamental de manifester ,sont bafoués.

Ainsi, la loi prévoit que les salariés doivent accomplir les tâches liées à leurs fonctions « sans arrêt, ralentissement, diminution ou altération » de leurs activités normales, sous menace d’amendes de 500 $ pour un salarié, de 35 000 $ pour un dirigeant syndical et de 125 000 $ pour une organisation pour chaque journée ou partie de journée de grève, sans parler des pertes de salaires.

Si les chefs syndicaux avaient incité leurs membres à défier la loi, il est permis de penser que, par sa façon d’agir, le gouvernement aurait pu avoir recours aux mêmes lois-matraques que le gouvernement Bourassa en 1972 et à l’emprisonnement des leaders syndicaux.

J’aime me rappeler la chimie qui existait en 1972 au sein du mouvement syndical et entre ce dernier et le Parti Québécois. Le mouvement syndical était uni dans un Front commun et ses revendications trouvaient un large écho au sein de la population. On se souviendra de la revendication des 100 $ par semaine minimum et de la réduction des écarts salariaux qui donnaient tout son sens au slogan « Nous, le monde ordinaire ».

Au plan politique, le Parti Québécois s’associait aux luttes des travailleuses et des travailleurs. Par exemple, un mois avant le déclenchement de la première journée de grève du Front commun, René Lévesque prenait la parole lors d’une assemblée contre le chômage réunissant plus de 12 000 personnes au Forum de Montréal.

Je pense que cette dynamique est en bonne partie responsable des gains syndicaux, mais également politiques de l’époque. En plus du salaire de base de 100 $ par semaine, le Front commun obtenait une clause d’indexation des salaires au coût de la vie, un régime de retraite indexé, une réduction des écarts salariaux et un régime amélioré de sécurité d’emploi.

Même s’il devait subir les foudres du gouvernement Bourassa, le mouvement syndical était stimulé par la perspective que son action sapait les fondements du pouvoir libéral et préparait la venue d’un gouvernement social-démocrate qui ne cachait pas son « préjugé favorable aux travailleurs ». Le Parti Québécois partageait la même analyse. Par le biais des organisations syndicales, il plongeait ses racines dans les couches les plus profondes de la société et préparait, après avoir gonflé à 30 % ses suffrages à l’élection de 1973, le triomphe de 1976.

Le mouvement syndical, le mouvement souverainiste et toute la société québécoise trouvèrent leur compte dans cette alliance. Le gouvernement adopta les législations les plus progressistes, tant au plan syndical (formule Rand, loi anti-scab), national (loi 101) que sociétal (loi sur le financement des partis politiques, assurance-automobile), pour ne nommer que les plus importantes.

Quand j’ai décidé, il y a deux ans, de m’investir dans le Parti Québécois avec le club politique Syndicalistes et Progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre), j’étais motivée par la nécessité de réagir aux législations anti-syndicales du gouvernement Charest et de réaliser le plus rapidement possible l’indépendance du Québec. J’étais également convaincue – et je le suis toujours – que les attaques frontales du gouvernement Charest contre le mouvement syndical visent également à affaiblir le mouvement national et à retarder l’accession du Québec à la souveraineté.

La situation actuelle est complexe. Différente à bien des égards de celle de 1972, mais similaire à d’autres égards. Aujourd’hui comme hier, la condition essentielle au succès du combat syndical et national repose sur la reconstitution de l’alliance stratégique entre, d’une part, le mouvement syndical et, d’autre part, le mouvement indépendantiste – avec au premier rang le Parti Québécois, mais également tous les membres de la grande famille souverainiste.

Un prérequis à la reconstitution de cette grande alliance est la dénonciation des aspects répressifs de la loi 142 et du rétablissement de la liberté d’expression des organisations syndicales, de leur plein droit de représenter leurs membres et de négocier des conventions collectives.

Chose certaine, nos chances de réussite ne reposent pas sur un quelconque virage à droite. L’histoire des trente dernières années fourmille d’exemples démontrant que, lorsque les deux mouvements – syndical et national – unissent leurs efforts, ils réussissent à faire avancer la société québécoise.

*présidente de l’Exécutif national du Parti Québécois