Liste d’attente n’est pas synonyme de pénurie

Le système de santé doit demeurer public

Le Parti Libéral du Québec vient d’ouvrir la porte au privé dans le système de santé. La brèche vise les chirurgies de la hanche, du genou et de la cataracte. Lorsque la liste d’attente pour une de ces opérations s’élève à six mois, ce seront désormais les cliniques privées « affiliées » à l’État qui s’en occuperont. Si le délai monte à neuf mois, le gouvernement fera appel aux médecins désengagés du système public.

La privatisation du système de santé n’est pas encore comparable à la situation que vivent nos voisins du Sud, où il faut avoir recours à l’assurance privée pour se faire soigner. Toutefois, comme l’a dit Lysianne Gagnon de La Presse suite à cette annonce : « C’est un début ».

Rien n’arrête le gouvernement Charest dans la destruction de nos acquis sociaux. En avril prochain se tiendra une consultation publique sur la place du privé en santé, où se feront entendre les lobbyistes des compagnies d’assurances qui rêvent de mettre la main sur ce secteur hautement lucratif. Pour l’instant, le gouvernement fait une place aux partenariat publics-privés avec ses cliniques privées « affiliées », et ce printemps, ça risque d’être au tour des compagnies d’assurance, de récolter leur part du gâteau.

Nous le savons, notre système de santé est loin d’être parfait, et une société riche comme la nôtre a les moyens de l’améliorer. Le problème : Les politiciens et les grands médias refusent la possibilité d’améliorer notre système sans avoir recours au secteur privé. C’est un choix idéologique qui attaque le caractère d’universalité de notre système. De plus, ce choix n’est surtout pas efficace.

C’est ce qu’affirme l’OCDE : les pays où les soins de santé sont pris en charge par le privé dépensent beaucoup plus dans le secteur, sans avoir de meilleurs soins. Par exemple, les États-Unis ont dépensé 5267 $US en 2002 par habitant pour les soins de santé, alors qu’au Canada on en dépensait 2931 $US, en Suède 2517 $US et en France 2736 $US. Si le gouvernement cherchait vraiment à améliorer notre système de santé, il chercherait des solutions sans devoir absolument recourir au privé. À cause de ces idéologues de pacotille, nos acquis sociaux ne cessent de reculer.

Le Centre canadien de politiques alternatives, organisme de recherche progressiste canadien anglais, vient de publier une excellente étude qui propose des améliorations au système de santé public canadien. Évidemment, ces suggestions sont aussi pertinentes pour le Québec. « Public Solutions to Health Care Wait Lists », du médecin M. Rachlis, s’attaque aux listes d’attentes. C’est le principal problème du système de santé. Il s’agit de son talon d’Achille.

Afin de désengorger les hôpitaux, le médecin suggère qu’une partie des chirurgies mineures, celles qui présentent de faibles risques de complication, justement comme celles de la hanche et du genou, soient transférées à des cliniques spécialisées, de court terme, mais qui demeurent publiques. Il cite un exemple torontois et un autre manitobain pour illustrer comment cette forme de clinique atteint les mêmes objectifs de spécialisation et d’innovation que les cliniques privées, tout en coûtant beaucoup moins cher. Les coûts d’administration sont plus faibles, et évidemment les cliniques publiques n’ont pas à dégager de profits monétaires. Le gouvernement Charest a préféré opter pour les cliniques privées, refusant une option moins coûteuse et au moins aussi efficace.

L’auteur de l’étude avance aussi que le système de santé doit s’inspirer de la théorie des listes d’attentes, qui a su améliorer le trafic aérien et réduire les délais dans l’industrie manufacturière. Contrairement à ce que laissent entendre les médias, une liste d’attente ne signifie pas qu’il y a pénurie. Ce n’est pas parce qu’on fait la file pour se procurer un billet de cinéma qu’il va manquer de place dans la salle. Le docteur Rachlis affirme justement que la plupart des délais d’attente dans notre système de santé s’expliquent par une mauvaise coordination des services et non par un manque de ressources.

Il faut dans un premier temps identifier les goulots d’étranglement, qui allongent les durées d’attente alors que d’autres ressources ne servent pas à pleine capacité. Lorsque c’est possible, on regroupe ensembles les différentes attentes pour un même traitement. Rachlis donne un exemple provenant de Sault Ste-Marie. Les patientes qui voulaient passer un dépistage du cancer du sein devaient attendre pour une mammographie, attendre pour le test d’ultrasons et encore attendre pour passer une biopsie. Le centre de santé a consolidé ces examens, réduisant l’attente totale de 75 %. Si la mammographie détecte un cancer, la patiente reçoit dorénavant les autres tests la journée même et n’a pas à être inscrite sur une nouvelles liste pour passer les examens suivants.

Une fois les goulots d’étranglement identifiés, on peut y déplacer davantage de ressources, de façon à accélérer l’étape de traitement en question. Le docteur donne un exemple qui vient de la communauté ontarienne de Rexdale. Le délai d’attente pour voir un médecin de famille se situait entre quatre et six semaines depuis des années. Le délai n’augmentait pas plus qu’il ne diminuait. Afin de le faire disparaître, le centre de santé a temporairement engagé plus de personnel. Cette mesure temporaire a permis au centre de faire disparaître les listes d’attentes. Le centre a aussi revu le rôle de ses infirmières. Une importante partie de leur tâche consistait à faire un suivi téléphonique du dossier de leurs patients avec les autres établissements de santé. Il leur restait moins de temps pour effectuer les tâches où elles sont spécialisées. L’établissement leur a retiré cette tâche, ce qui a aussi accéléré les traitements. Le centre s’est attaqué au problème de délais, a redéfini les tâches de son personnel, et a fait disparaître le problème des listes d’attente.

L’auteur de l’étude est catégorique. Le système de santé doit demeurer public. Il rappelle que l’ensemble des études réalisées sur le sujet montrent que les soins de santé financés ou offerts par des institutions à but lucratif coûtent plus cher et sont de qualité inférieure. Il explique que même le Premier Ministre conservateur de l’Alberta, Ralph Klein, a reconnu que le traitement des patients dans une clinique privée coûte beaucoup plus cher que si c’est le système public qui le prend en charge.

Le docteur Rachlis conclut en affirmant que le système de santé public peut être amélioré. Tout ce qu’il faut, c’est de la volonté politique. Le seul argument des Libéraux de Charest pour laisser les soins de santé au privé est idéologique, et dissocié de toute réalité.