L’offre de jeu ne cesse pas d’augmenter

On n’arrête pas la roue de tourner, dit le gentil croupier

Clairement, le déménagement du Casino de Montréal dans Pointe Saint-Charles augmenterait significativement les problèmes liés à la santé et à la sécurité publiques. Mais il semble que la coalition pro-déménagement n’en ait cure. « Qu’on parle de préoccupations, tant mieux. Mais surtout qu’on ne s’arrête pas parce qu’il y a des préoccupations », clamait Isabelle Hudon, présidente de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le 1er février dernier. Le ton était donné.

Depuis, dans un marathon d’annonces publiques, la société d’État cherche peu subtilement à conquérir une opinion publique qui a déjà démontré ce qu’elle pensait des mégaprojets tendancieux du gouvernement Charest. Programme d’embauche préférentielle, campagne de sensibilisation sur le jeu excessif de 2 M$, semaine du jeu responsable. C’est la saison des amours et Loto-Québec se fait tout miel. À la Saint-Valentin, son PDG, Alain Cousineau, rappelait d’ailleurs le point d’honneur que mettait la société d’État à « promouvoir le jeu responsable » et à « lutter contre le jeu excessif ». Mais comme Loto-Québec le dit elle-même, « ça reste un jeu »…

Un empire fondé sur la vente du rêve peut-il vraiment croire à la lutte contre le jeu pathologique, lorsqu’il lui garantit d’immenses revenus ?

Pour la coalition Éthique pour une modération du jeu (EmJeu), il est clair que la société d’État pèche par conflit d’intérêt, en prétendant faire de la prévention alors que ses impératifs financiers l’acculent à inciter au jeu. « Le jeu pathologique est devenu un grave problème de santé publique. Il s’agit de la deuxième dépendance au Québec, après le tabac », explique Alain Dubois, porte-parole d’EmJeu.

Malheureusement, cette pathologie ne fait l’objet d’aucune véritable lutte équivalente à celle du tabagisme, d’une part parce que l’État en retire de considérables dividendes ($1,5 milliard en 2005), et d’autre part parce que cette rentabilité nécessite la banalisation du jeu, laquelle passe par le contrôle de la recherche. « Il est très difficile d’accéder à toutes les données qui nous permettraient d’avoir un meilleur tableau de la situation actuelle du jeu dans un quartier comme Pointe Saint-Charles. Loto-Québec a un monopole, et toutes les informations, les données et les recherches sont secrètes. »

Pour EmJeu, le bilan de l’étatisation du jeu est dramatique. « L’offre de jeu, contrairement à ce que prétend Loto-Québec, augmente constamment, avec le déménagement du casino, les nouvelles loteries, les loteries en ligne, les casinos privés attenant aux hippodromes. Donc, on assiste à une augmentation de l’offre sans précédent depuis la légalisation des casinos et des loteries vidéo », que Loto-Québec se vante de retirer du marché.

Mais cette volonté de « réduire l’offre de jeu » se trahit d’elle-même. À Montréal, où se trouvent près du tiers des appareils de loterie vidéo (ALV) au Québec, on n’a réduit leur quantité absolue que de 1 % comparativement à 6,3 % dans le reste de la province, entre 2002 et 2005. Cela dévoile la rentabilité de la clientèle montréalaise, particulièrement ciblée dans les quartiers les plus défavorisés, comme Pointe Saint-Charles.

Pour Loto-Québec, l’implantation d’un casino dans un quartier résidentiel ne saurait constituer une augmentation de l’offre nette de jeu. Tel un lapin retiré d’un chapeau, une étude dévoilée à la mi-février par Robert Ladouceur nie que la proximité d’un casino ait un effet significatif sur les habitudes de jeu d’une population. Mais selon EmJeu, l’étude de M. Ladouceur présente un grave « problème d’échantillonnage et ne correspond pas aux critères scientifiques ». Son dévoilement répondrait en fait d’une « stratégie pour vendre le déménagement du casino ».

« M. Ladouceur a été très imprudent de dévoiler une étude aussi peu crédible scientifiquement, estime Alain Dubois. Ça met la puce à l’oreille pour une évaluation plus exhaustive de ses autres recherches, parce que M. Ladouceur est un chercheur dont la réputation internationale est essentiellement due à des travaux financés depuis plus de 25 ans par l’industrie du gambling, d’abord par Loto-Québec, mais aussi de plus en plus par des entreprises américaines par le biais de fondations. Ça soulève des questions d’éthique. Pourquoi l’industrie a-t-elle choisie de financer systématiquement ce chercheur-là et ce type de recherches-là ? J’imagine qu’indépendamment de l’intégrité de M. Ladouceur, ses travaux vont dans le sens de l’industrie, qui ne financerait sûrement pas des recherches allant à l’encontre de ses intérêts. »

Pour EmJeu, il ne fait aucun doute que le déménagement du Casino dans Pointe Saint-Charles aurait un coût social élevé. « On sait que l’accessibilité est un facteur important, il est évident qu’il y aurait augmentation du problème de jeu pathologique dans la population », explique Alain Dubois.

Par ailleurs, Jean-Pierre Martignoni-Hutin a démontré que le déménagement d’un casino dans un quartier résidentiel pouvait accroître de façon très substantielle son achalandage. Ce fut le cas du casino Pharaon de Lyon, où la clientèle a augmenté de 80 % mais était essentiellement locale. Hutin a démontré que la presque totalité des gens qui y jouaient quotidiennement habitaient à moins de 5 km du casino. Il est donc évident qu’il y aura des effets négatifs considérables si le gouvernement approuve le projet de Loto-Québec.

Par ailleurs, les travaux de M. Ladouceur ont directement inspiré la philosophie et l’action de la Fondation Mise sur toi, véritable fleuron de la « lutte contre le jeu excessif » engagée par Loto-Québec. Créée en 2002, elle vise « la promotion de comportements de jeu sains, la prévention des effets dommageables du jeu excessif et la protection des personnes vulnérables ». En 2004-2005, Loto-Québec se vante d’avoir consacré 26,1 M$, via la Fondation et les dividendes réservés aux ministères de la Sécurité et de la Santé publiques, à la prévention au jeu pathologique.

Aussi légère qu’inoffensive, cette « lutte contre le jeu excessif », ne représentait en 2005 que 0,66 % du chiffre d’affaire et 1,1 % des dépenses de Loto-Québec, dont le jeu constitue 98,6 % des revenus. Selon EmJeu, alors que les ALV produisent plus de la moitié des bénéfices nets de Loto-Québec, on oublie que « 40 % des joueurs compulsifs aux machines à sous rapportent 80 % des profits tirés de ces machines ».

Lorsqu’elle annonce une vaste offensive de sensibilisation au problème du jeu « excessif », terme qui sous-entend en lui-même que jouer n’est pas un défaut, il ne faut pas se leurrer sur les intentions réelles de la société d’État. « Alain Cousineau est un bon vendeur. C’est l’organisateur libéral qui a vendu Jean Charest à la population, alors il est bien capable de vendre un casino aux Québécois », commente Alain Dubois.