Portrait d’un homme incisif, érudit et tenace

Michel Chossudovsky perd son père, Evgeny Chossudovsky

Tout au long de sa carrière à l’ONU et jusqu’a sa mort, Evgeny Chossudovsky a exprimé son soutien pour la cause palestinienne.

Il a soutenu le Centre de recherche sur la mondialisation dès ses débuts. Le CRM continuera a appuyer les causes de la justice sociale et de la paix mondiale, qu’il a défendues avec détermination pendant plus d’un demi-siècle, a déclaré son directeur actuel, Michel Chossudovsky, au Irish Times, le 28 janvier 2006.

[Le docteur] Evgeny Chossudovsky, décédé à l’âge de 91 ans, était un émigré juif de Russie qui a connu une carrière distinguée aux Nations Unies à la suite de la Seconde Guerre mondiale. à Dublin, à la fin des années 1970, il a continué à jouer un autre rôle, à titre d’écrivain de renom sur les relations internationales.

C’était un participant incisif, érudit et tenace aux discussions internationalistes à l’Académie royale irlandaise et dans plusieurs publications, incluant le Irish Times. « Chossy », pour ses amis, était également connu pour son sens de l’humour.

Sa famille avait été déplacée par la guerre civile qui a suivi la Révolution russe de 1917 et la Première Guerre mondiale.

La connexion irlandaise a été réalisée dans les années 1930 quand, alors qu’il était étudiant, il a rencontré Rachel Sullivan, étudiante à l’Université Queen’s de Belfast, à l’occasion d’un cours d’été à Genève. Elle était d’une famille protestante d’Irlande du Nord. En 1939, ils se mariaient à Belfast. À la fin des années 1970, ils reviennent en Irlande à Baily, Howth, en banlieue de Dublin.

Chossudovsky « avait décidé qu’il voulait être aux Nations Unies avant même qu’elles existent », a dit son fils Michel, professeur d’économie à l’Université d’Ottawa, lors de ses funérailles. En 1947, il devint l’un des trois assistants spéciaux du distingué économiste suédois et prix Nobel, Gunnar Myrdal, directeur de la Commission économique pour l’Europe (CEE).

Alors que la Guerre froide s’approfondissait, Myrdal et sa « Trinité de la CEE » poussaient pour le concept de coopération Est-Ouest et de coexistence pacifique entre systèmes économiques rivaux, dans lesquels Chossudovsky croyait passionnément.

Il a ensuite travaillé à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sous la direction de l’ancien directeur de la banque centrale argentine, Raúl Prebisch. Destinée à adhérer aux aspirations des pays pauvres, la CNUCED était une initiative du Mouvement des pays non-alignés. Chossudovsky était Secrétaire de son Bureau du commerce et du développement, et ses habiletés diplomatiques considérables pour atteindre des consensus émergeaient lors des conférences internationales. Il travaillait dans l’ombre, souvent jusqu’aux petites heures du matin, développant des résolutions avec les délégations dans sa détermination à atteindre la justice sociale globale.

Mais, alors que la peu influente CNUCED était minée par l’agenda « néo-libéral » et ensuite par l’Uruguay Round et le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), Chossudovsky s’est déplacé pour devenir directeur de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche, à Genève. Plus tard, alors en retraite partielle, il devint un directeur de recherche de l’Institut. Toute sa vie, Chossudovsky a gardé un attachement patriotique pour la Russie et une sympathie pour les idées socialistes. Mais à la fin, il a exprimé sa déception sur le sapement de l’esprit des Nations Unies, expliquant il y a quelques semaines à son fils que le monde était dans « une situation atroce ».

Il est né en 1914 dans une famille marchande juive aisée à Rostov-sur-le-Don, près de la Mer Azov. Son grand-père faisait le commerce du blé. La famille s’est rendue à Berlin en 1921 durant la guerre civile. Leur propriété avait été confisquée.

Son père était un acteur talentueux qui avait été formé comme avocat mais qui, en tant que Juif, était dans l’incapacité de pratiquer. À Rostov-sur-le-Don, il dirigeait un théâtre shakespearien et, à Berlin, occupa plusieurs emplois, incluant vendeur de crème glacée sur la rue. Mais le riche et aimé oncle maternel de Chossudovsky, Moïse Gorfman, s’est « occupé » de la famille, particulièrement alors qu’elle devenait dispersée.

À Berlin, Chossudovsky repris l’école, en étudiant Goethe. Il devint tout autant à l’aise en allemand et en russe – et plus tard en anglais et en français. Après le collège, il fit des demandes d’admission dans les universités à l’étranger. En tant que Juif, il n’était pas question d’étudier dans l’Allemagne nazie.

Il fut accepté à l’Université d’Edinbourg, où il a étudié l’économie et obtint un Ph.D.

Alors que les études de Chossudovsky débutaient, en 1934, son oncle Moïse, un homme d’affaire qui négociait à la Bourse, vivait à Londres. Il partit ensuite pour Paris, où les parents de Evgeny l’ont rejoint. Pendant la guerre, la nuit où la police française s’est présentée pour emmener Moïse à Auschwitz pour extermination, ses parents furent épargnés.

Chossudovsky ne reçut aucune nouvelle d’eux avant la fin de la guerre. Il travaillait pour le mouvement coopératif, d’abord au pays de Galles comme officier d’éducation aux adultes pour les mineurs, donnant des cours du soir en relations internationales, puis à Londres. Très dévoué à ses idéaux, il a travaillé pour le mouvement jusqu’en 1947.

Un an plus tôt, il avait postulé pour un poste aux Nations Unies. Il avait un passeport soviétique et l’ONU cherchait des Russes. Après un bref séjour à New York (qu’il ne jugeait pas un bon endroit où élever des enfants), il fut transféré aux siège européen de l’ONU à Genève. Depuis qu’il était tombé en amour à Genève, il avait toujours voulu y vivre.

Chossudovsky était l’auteur et le co-auteur de plusieurs livres, dont The Helsinki Final Act Viewed in the United Nations Perspective. Il a contribué au International Herald Tribune, au Monde Diplomatique et à Foreign Affairs. Il était aussi participant régulier aux conférences sur le désarmement du groupe de Pugwash.

Ses contributions au Irish Times portaient sur une grande variété d’enjeux, incluant l’Irlande du Nord. Il a aussi contribué aux études de l’Académie royale irlandaise sur les affaires internationales. Ronan Fanning, professeur d’histoire au University College Dublin (UCD), a affirmé que Chossudovsky était « une voix extérieure » à l’académie, qui « jouait un rôle dans l’élargissement de nos perspectives », à une époque où la discussion objective était difficile en Irlande. Il adorait Wilde, Beckett et Joyce.

Sa femme Rachel est décédée avant lui en 1996 ; il laisse dans le deuil sa fille, Eugenia, son fils Michel et sa femme Micheline; et deux petits-enfants, Natacha et Maya.

Dr. Evgeny Chossudovsky : né le 15 août 1914, décédé le 4 janvier 2006.