La filière éolienne brise le monopole de l’électricité

Hydro-Québec se prive de 7,8 milliards $ sur vingt ans

Le développement de la filière éolienne s’accélère au Québec. Tandis que les travaux liés au premier appel d’offre de 1000 mégawatts (MW) s’amorcent, un second appel de 2000 MW est lancé. En incluant les autres ententes de type gré à gré, la puissance éolienne s’élèvera à 3500 MW, ce qui équivaut à 10% de la puissance actuelle d’Hydro-Québec.

Avec les importants développements technologiques des dernières années, l’option éolienne est devenue intéressante quant aux coûts. Malheureusement, le gouvernement du Québec implante cette filière de façon tout à fait inacceptable. En donnant l’exploitation des parcs éoliens à l’entreprise privée, le gouvernement brise le monopole de la production d’électricité au Québec. En fait, il est déjà sérieusement écorché avec l’implantation des petits barrages, mais leur apport énergétique demeure pratiquement nul. Avec les projets annoncés, la filière éolienne représentera presque le dixième des installations québécoises.

Ce choix gouvernemental, pourtant lourd de conséquences, nous a été présenté de façon anodine, comme s’il allait de soi. En fait, le développement de la filière se fait actuellement de façon complètement improvisée, sans la moindre vision de développement économique. Il faut croire qu’il s’agit là de la marque de commerce du gouvernement Charest.

Nous savons qu’il est possible de réaliser d’immenses économies d’échelle en planifiant la production et le transport d’électricité. La filière éolienne n’échappe pas à cette règle. C’est pourquoi il est plus rentable de laisser le développement de la filière à un monopole, Hydro-Québec, qu’à des entreprises privées en compétition les unes avec les autres.

Le financement des parcs éoliens constitue un excellent exemple. Aucune entreprise ne peut financer un projet à des taux aussi bas que ceux d’Hydro-Québec, en raison de ses incroyables cotes de crédit. De façon paradoxale, M. Thierry Vandal, pdg d’Hydro-Québec, affirme que le développement des éoliennes est avant tout une question de financement ! Il n’est donc pas surprenant que le premier gagnant de l’appel d’offre de 1000 MW ait été l’entreprise TransCanada Corporation, soit une des plus importantes pétrolières albertaines, qui a des cotes de crédit presque aussi bonnes que celles de notre société d’État. Il serait par conséquent fort surprenant que des municipalités ou des agriculteurs regroupés réussissent à sortir victorieux du prochain appel d’offre.

Il est également navrant qu’Hydro-Québec ne se soit pas intéressée à la filière sous prétexte d’un manque d’expertise. Les gagnants du premier appel d’offre n’en avaient pas non plus. Dans leurs communiqués d’affaires, ils se vantent que ce projet leur permettra justement de développer une expertise !

Une des pires conséquences du développement improvisé de la filière éolienne concerne les négociations avec les constructeurs d’éoliennes. À cause de la forme des appels d’offre, les financiers négocient des parcs de seulement 100 MW environ avec les fabricants d’éoliennes. Ceci évacue tout pouvoir de négociation, faisant grimper les prix.

Lorsqu’on regarde ce qui se fait en Europe, nous constatons que le 1000 MW auraient dû être négociés en un seul bloc. Le prix aurait été plus intéressant et, surtout, nous aurions pu exiger qu’un fabricant d’éoliennes s’installe au Québec. Ce fabricant aurait par la suite été en mesure d’exporter sa production dans le reste du Canada et dans le Nord-Est des États-Unis.

Le premier appel d’offres a forcé un fabricant de tours et un constructeur de pales à s’installer en Gaspésie. C’est intéressant pour une économie régionale en difficulté, mais le développement de la filière aurait dû attirer beaucoup plus d’entreprises représentant plus de valeur ajoutée.

Évidemment, les 2000 MW annoncés devraient aussi être négociés en bloc. Avec l’engouement mondial pour la filière, les fabricants d’éoliennes produisent actuellement à la limite de leur capacité. En considérant la forte demande, les nombreuses fusions des fabricants et le prix de l’acier à la hausse, les résultats du second appel d’offres devraient être décevants et présenter des tarifs encore plus élevés que ceux du premier appel d’offres.

Il serait d’autant plus logique de négocier les 2000 MW en bloc et de forcer un fabricant à s’installer au Québec. Ceci augmenterait le nombre de producteurs, et aurait tendance à faire diminuer le prix des éoliennes. Avec la forte demande, le fabricant pourrait exporter les éoliennes fabriquées ici même. Ce serait profiter pleinement des retombées engendrées par le choix audacieux d’avoir opté pour l’éolien au Québec. Jusqu’à maintenant, le développement de la filière s’est fait à la va-comme-je-te-pousse et il est difficile d’imaginer pire scénario de développement.

Dans une étude de coût-bénéfice portant sur le premier 1000 MW, réalisée l’an dernier, nous avons calculé qu’Hydro-Québec se prive de 7,8 milliards $ sur vingt ans. Cette perte s’explique presque uniquement en raison des bénéfices non réalisés. Ces profits reviendront plutôt aux entreprises privées, dont les intérêts sont principalement étrangers au Québec !

À vous maintenant d’estimer ce que nous perdons collectivement en laissant les 3500 MW filer au privé ! N’oublions pas une des conclusions les plus percutantes des études du professeur Léo-Paul Lauzon : Hydro-Québec contribue davantage aux revenus du gouvernement que l’impôt versé par les 300 000, entreprises privées au Québec.

Laisser la filière éolienne au privé est inefficace. Nous devrons payer plus cher l’électricité produite, en plus de laisser filer les bénéfices. Il se pourrait tout de même qu’Hydro-Québec participe au prochain appel d’offres des 2000 MW, de concert avec les Premières Nations. M. Vandal n’envisage toutefois pas accaparer l’ensemble des 2000 MW et il serait très surprenant qu’un producteur d’éoliennes vienne s’installer chez nous sans que nous l’obligions à le faire avec un rapport de force adéquat. La production éolienne devrait être nationalisée au plus vite et, surtout, les 2000 MW devrait être négocié de façon à maximiser les retombées économiques au Québec.