Sylvie Groulx et la classe de Madame Lise

L’approche documentaire ajoute de la profondeur

Le 19 mars dernier, à la soirée des Jutra, Sylvie Groulx, la réalisatrice du film La classe de Madame Lise, montait sur scène pour recevoir le prix du meilleur documentaire. Elle était accompagnée de Lise Coupal, dorénavant mieux connue sous le nom de Madame Lise, enseignante de première année à l’école Barthélémy-Vimont dans le quartier montréalais de Parc-Extension.

L’image des deux femmes, côte à côte sur une scène où se fêtait la réussite, était belle à voir. Généreuse, la cinéaste a voulu profiter de l’occasion pour partager la reconnaissance du milieu du cinéma pour son travail avec sa principale interprète.

Étant moi-même enseignante, le geste de Sylvie Groulx m’a beaucoup touchée. Elle saluait par cette délicatesse, non seulement Lise Coupal, une enseignante extraordinaire, mais aussi la profession, « un métier noble fait par des gens qui travaillent tellement fort dans l’ombre sans obtenir la reconnaissance et la valorisation qu’ils méritent », me confie-t-elle.

Que ce même soir, Sylvie Groulx ait voulu dénoncer la société d’État pour le traitement réservé à son film, cela se justifie par sa conception du documentaire. « Radio-Canada refuse de diffuser mon film en entier. Il sera présenté dans une case horaire dévolue à l’information et, pour cela, coupé de moitié, dans un format de 45 minutes », lance-t-elle. Pourtant, le documentaire c’est du cinéma. On raconte une histoire, il y a des personnages et, comme dans un roman ou un film de fiction, le temps est fondamental. Il apporte une profondeur, inexistante dans le reportage ou le dossier télé qui traite une information. « Il faut donner aux gens que l’on filme le temps de nous impressionner », précise-t-elle.

L’idée de ce film lui est venue non pas de Parc-Extension, un quartier enclavé entre deux voies ferrées et deux grands boulevards, l’Acadie et Métropolitain, qu’elle traverse tous les jours à son retour à la maison, mais plutôt d’une visite des quartiers immigrants à bord de l’autobus de L’autre Montréal.

« Lorsque la guide a parlé des écoles du quartier, notamment de Barthélémy-Vimont, la plus grosse école primaire du Québec avec ses 900 enfants, presque uniquement issus de l’immigration provenant de l’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bengladesh, Sri Lanka), sans compter les Africains, les Arabes et les Latino-américains, ces caractéristiques m’ont intriguée », raconte la cinéaste. Surprenant qu’on trouve ici des écoles bondées lorsque d’autres doivent fermer ailleurs. Même qu’on a dû ouvrir une annexe qui comptent maintenant 11 classes de première année et 10 de deuxième année. C’est là que le film a été tourné.

Ce projet de film, mis en veilleuse depuis 20 ans, s’est concrétisé lors de son premier contact avec les enfants dans la cour de récréation. « Dans cette cour d’école, j’ai vu la planète entière et entendu la langue française servir de trait d’union entre les enfants. J’étais interloquée », dit Sylvie Groulx.

Plus étonnant encore, il arrive qu’à la maison, entre frères et sœurs, ils se parlent français lorsqu’ils ne veulent pas que leurs parents les comprennent. « Un peu comme nous à l’époque lorsque nos parents parlaient anglais, se souvient la réalisatrice. Le monde à l’envers. »

Si la réussite du film tient à la spontanéité des enfants et à la richesse des apprentissages qu’ils font sous nos yeux, la relation étroite établie avec l’enseignante est essentielle. « Quand j’arrivais à l’école, on s’embrassait, on rigolait, ce qui a facilité grandement le lien avec les enfants », souligne la cinéaste.

Sylvie Groulx et Lise qu’elle appelle sa « coréalisatrice » dînaient souvent ensemble en dehors des journées de tournage et discutaient du choix d’activités scolaires pertinentes pour le film. Un travail de collaboration de tous les instants qui dépendait de l’enseignante autant que de l’équipe de tournage. Une petite équipe choisie avec soin. Entre autres, le caméraman Michel La Veaux, « un homme qui sait aimer les gens ».

« Il fallait une grande complicité avec l’équipe, reconnaît la réalisatrice, pour que Lise Coupal prenne le risque de se laisser regarder d’aussi près. » Elle a démontré beaucoup de courage en exposant sa façon d’enseigner au grand jour, sachant qu’elle pourrait être critiquée alors que les méthodes d’enseignement sont remises sur la sellette. Non plus ne s’est-elle jamais interrogée sur son apparence. « Elle est restée elle-même, naturelle, malgré une caméra braquée sur elle durant une année entière », commente la cinéaste.

Sylvie Groulx a eu du mal à se détacher de ces petits. Et pas seulement elle, l’équipe s’était tellement attachée à eux que même les techniciens qui avaient terminé leur travail lui téléphonaient pour demander des nouvelles de Madame Lise, de Rahat, de Solace, et des autres. Tout le monde s’ennuyait d’eux.

Émue, les yeux humides, essuyant même une larme, elle me confie qu’elle les avait retrouvés à deux occasions. Une première fois, à l’automne suivant la fin du tournage, elle est allée dîner avec eux à l’école. Dès la fin du lunch, Madame Lise a proposé des jeux et, bien qu’ils ne soient plus dans la même classe, les petits se sont amusés comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. « Ces enfants sont tricotés serrés », constate-t-elle avec plaisir.

Puis, il y a eu la première du film, au cinéma de l’ONF, dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois. Ils étaient assis dans la première rangée. « De les voir, j’ai été complètement déstabilisée. Pas seulement parce qu’ils m’interpellaient en me faisant des signes, mais surtout parce que, encore une fois, je les voyais soudés, en train de bavarder », ajoute la réalisatrice.

La classe de Madame Lise est un bel exemple d’intégration non imposée. Le français, langue commune, se vit au quotidien tout naturellement. Une grande réussite de la Loi 101.

Le film sera présenté à Québec dans le cadre du Festival de cinéma des 3 Amériques. Il prendra ensuite l’affiche au cinéma Le Clap du 7 au 13 avril. Il sortira par la suite partout au Québec. Les personnes intéressées à se procurer le film doivent s’adresser aux Films du 3 mars dont voici les coordonnées :

Films du 3 mars, Micheline Raymond, téléphone : 514 523-8530, courriel : mraymond@f3m.ca,.