8 heures de travail ! 8 de sommeil ! 8 de loisirs !

Le monde se souvient du jour où 350 000 grévistes scandaient

Printemps 1886. L’American Federation of Labor lance un mouvement de grève pour la journée de huit heures. Le 1er mai, 350 000 grévistes des État-Unis scandent « 8 heures de travail, 8 heures de sommeil et 8 heures de loisirs ! ». La ville ouvrière de Chicago mobilise 40 000 travailleurs. Tout est paralysé. Le 3 mai, les Pinkerton, une agence de polices privée, tirent sur les grévistes de la McCormick Harvester Works qui se battaient avec des briseurs de grève. Cet affrontement fait 4 morts et plusieurs blessés. Le plomb « est sans doute la meilleure nourriture que l’on puisse donner aux grévistes » titrait le Chicago Times satisfait.

Furieux, un groupe anarchiste de l’Association internationale des travailleurs appelle les ouvriers aux armes « Travailleurs, vous n’avez à perdre que vos chaînes ! ». Un rassemblement a lieu le 4 mai au Haymarket Square de Chicago. Une bombe explose. La police tire dans la foule. Il n’en fallut pas tant pour arrêter les anarchistes pourtant absents de la manifestation, sauf un, qui était à la tribune lors de l’explosion. Les quotidiens avaient mis leur tête à prix depuis longtemps. « Ils serviront d’exemple », titrait le Mail de Chicago, deux semaines avant leur arrestation. Les militants furent condamnés à la potence sans preuve. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas qui est l’auteur de cet attentat. Mais le massacre de Haymarket et la pendaison de 4 militants en 1887 marquent le mouvement international. Des manifestations sont organisées en France en Angleterre, en Italie, en Russie et aux Pays-Bas. Le Premier Mai devient un symbole.

Il faut se plonger au cœur de l’âge d’or du capitalisme industriel pour remonter aux origines du Premier Mai. Les États-Unis d’après la guerre de Sécession vivent de profondes transformations. 1855 à 1900 est l’époque de la mécanisation, de la vapeur, des voies ferrées, de l’acier et de l’urbanisation. Désormais, on transforme trois tonnes de fer en acier en quinze minutes alors qu’il en prenait une journée auparavant. 30 000 kilomètres de rails sont érigés. L’extraction du charbon se multiplie par 7. La population new-yorkaise passe de 800 000 à 4 millions d’habitants.

Il est difficile de saisir l’ampleur de l’effet des événements fondateurs de Mai 1886. Par contre, il en découle une décennie de luttes sociales et ouvrières acharnées, la plupart du temps sanglantes. Le gouvernement n’hésite pas à utiliser la loi martiale qui permet les arrestations sommaires, les agences de polices privées, les milices ou la garde nationale et, abondamment, des briseurs de grève. Entre 1881 et 1885, il y a une moyenne de 500 grèves chaque année aux États-Unis. Seulement pour l’année 1886, 1400 grèves mobilisent un demi million de travailleurs de toutes les origines. Dans le Sud, les Noirs des plantations sucrières revendiquent le salaire d’un dollar par jour. On applique même la loi martiale pour venir à bout des révoltes. Deux militants disparaissent, une fusillade fait trente morts et des centaines de blessés chez les grévistes. En 1891, des mineurs du Tennessee s’arment et libèrent les prisonniers contraints au travail forcé qui servent de briseurs de grève dans les mines. Les affrontements entre briseurs de grève et grévistes teintent la plupart des luttes ouvrières de la fin du XIXe siècle puisque les droits syndicaux ne sont pas encore reconnus.

Pendant ce temps, les grands capitalistes consolident leur fortune à l’aide des gouvernements et des salaires de misère. Les compagnies ferroviaires obtiennent, à coup de pots de vin, des terres appartenants aux autochtones et des subventions pour la construction des voies ferrées. Les travailleurs Chinois et Irlandais meurent par centaines pour construire des voies ferrées d’un bout à l’autre des États-Unis. Pour un dollar par jour, ils souffrent des pires conditions climatiques et des attaques des Amérindiens qui protestent contre l’envahissement de leur territoire. Rien n’arrête le progrès. On élimine systématiquement les autochtones en les réprimant dans le sang. Le massacre d’un campement amérindien de Wounded Knee dans le Dakota du Sud fait 300 morts, femmes et enfants confondus. La petite histoire des Cowboys et des Indiens se lie aussi à celle des Industriels et des Travailleurs immigrants.

C’est à cette époque que les entreprises obtiennent le statut de « personne morale » en se servant à leurs fins propres du Quatorzième Amendement qui était destiné à la défense des Noirs. Les entreprises états-uniennes sont depuis le tournant du siècle considérées comme des personnes à part entière et l’État ne peut les priver de leur liberté et surtout de leur propriété. Ce détournement de la loi reflète l’idéologie des Pères Fondateurs pour qui la propriété est un droit inaliénable.

Les industriels états-uniens croient aussi à la pensée du darwinisme social selon laquelle la pauvreté est un échec individuel et qu’il n’y a qu’à travailler pour devenir riche. John D. Rockefeller est un promoteur de cette idéologie « La variété de rose “ American Beauty ” ne peut être produite dans la splendeur et le parfum qui enthousiasment celui qui la contemple qu’en sacrifiant les premiers bourgeons poussant autour d’elle. Il en va de même dans la vie économique. Ce n’est là que l’application d’une loi de la nature et d’une loi de Dieu. »

Depuis l’année 1890, le 1er mai est une journée de solidarité des travailleurs partout dans le monde. Ironiquement, le 1er mai n’est pas un jour férié en Amérique du Nord tandis que plusieurs pays européens l’ont adopté en l’honneur des luttes ouvrières du passé.

Le 1er mai doit demeurer le symbole de la solidarité des travailleurs, tout en s’unissant avec le combat des altermondialistes. Plus que jamais, les travailleurs du monde sont interdépendants, le travail des uns bouleverse le travail des autres. Le discours de la compétition entre les travailleurs du globe doit devenir une seule et même lutte pour des salaires justes et des échanges équitables. Le mouvement altermondialiste qui dénonce les recours en justice des multinationales contre les États hérite en quelque sorte des problèmes d’autrefois. Le cinquième anniversaire du Sommet des Amériques doit nous remémorer les combats de la classe ouvrière du tournant du siècle et la similitude avec ceux d’aujourd’hui.

Références historiques : Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, Montréal, LUX, 2002, 811p.