Hydro-Québec était en mesure de faire mieux

Innergex est le seul joueur québécois qui a gagné un appel d’offres

*La campagne pour la nationalisation de la filière éolienne menée par les syndicats des employé(e)s d’Hydro-Québec ne passe pas inaperçue et suscite des appuis dans de nombreux milieux. Au plan politique, André Boisclair, le chef du Parti Québécois, s’est prononcé en sa faveur. Mais, de façon évidente, la campagne agace les entreprises qui voudraient continuer de développer la filière sans la compétition de notre société d’État.

Ainsi, Gilles Lefrançois, président de l’entreprise Innergex, a dénoncé l’idée qu’Hydro-Québec puisse exploiter elle-même ses parcs d’éoliennes dans Le Devoir du 10 avril dernier. De plus, il a commandé une étude à Jean-Thomas Bernard, économiste à l’Université Laval, qui cherche à discréditer les travaux que j’ai réalisés l’an dernier, travaux qui faisaient la promotion du développement de l’éolien directement par Hydro-Québec.

Nous devons garder à l’esprit qu’Innergex est un partenaire minoritaire de TransCanada Corporation, qui a remporté 75 % du premier appel d’offres de 1000 MW d’énergie éolienne. Le fonds de placement d’Innergex est le seul joueur québécois à avoir gagné une partie de l’appel d’offres. Sans la filière éolienne, Innergex serait confiné à ses petites centrales hydroélectriques, la plupart situées au Québec.

L’ensemble de l’article de M. Lefrançois porte sur le déroulement du premier appel d’offres d’énergie éolienne. Selon son propos, l’appel d’offres fut un succès et la concurrence entre les soumissionnaires a permis d’obtenir d’excellents prix. Hydro-Québec n’aurait pu faire mieux, selon lui.

Rappelons que le prix moyen issu de l’appel d’offres est de 8,35 ¢/kWh. Il s’agit d’un prix plutôt élevé si on le compare à 6,5 ¢/kWh, prix que demande le petit bureau d’ingénieur 3Ci pour l’électricité produite dans ses parcs d’éoliennes à Murdochville. Notons que ce projet s’est fait sans appel d’offres et avant le développement des 1000 MW. Le premier appel d’offres n’est pas un succès.

À l’aide des données alors disponibles, j’ai réalisé l’an dernier une analyse coûts-bénéfices où je démontre qu’Hydro-Québec aurait été en mesure d’exploiter elle-même les parcs éoliens à un meilleur coût. En développant la filière de façon stratégique, elle aurait été en mesure d’attirer un fabricant d’éoliennes au Québec, qui aurait ensuite pu exporter sa production au Canada et dans le Nord-Est des États-Unis. J’avançais un prix inférieur à 5 ¢/kWh, et surtout un manque à gagner de 7,8 milliards $ laissés aux entreprises étrangères au Québec. Le prix peut sembler faible, mais il n’est quand même pas loin du prix chargé par 3Ci.

La « contre-étude » de l’économiste Bernard reste muette sur la possibilité d’attirer ou non un fabricant d’éoliennes au Québec et passe sous silence le manque à gagner, soit les profits qu’aurait pu engranger Hydro-Québec et que réalise présentement l’entreprise privée avec le projet de 1000 MW. Ces deux points constituent à mon avis l’essentiel de mes travaux. Jean-Thomas Bernard cherche plutôt à démontrer que notre société d’État ne pourrait pas produire l’électricité à un meilleur coût.

J’affirmais qu’en négociant les 1000 MW en un seul bloc, on est en mesure d’obtenir de meilleurs prix du fabricant, comme le montre l’expérience européenne. Dans son étude, Bernard refuse de considérer les prix de vente européens, qui ont été publiés par la revue spécialisée Wind Energy, sous le fallacieux prétexte que l’information a d’abord été amenée dans le débat par le Syndicat des chercheurs de l’IREQ (l’Institut de recherche d’Hydro-Québec), ce qui n’a aucun sens.

Jean-Thomas Bernard rappelle que TransCanada a obtenu 75 % des 1000 MW et affirme que les 25 % restants ne changent rien au pouvoir de négociation face au fabricant d’éoliennes. Le problème est, comme je l’explique dans mes travaux, que l’appel d’offres a forcé les entreprises à ne soumissionner que pour des projets d’environ 100 MW à la fois. Au bout du compte, TransCanada s’est vu reconnaître l’ensemble de ses projets soumis totalisant près de 740 MW. Il n’en demeure pas moins que TransCanada, comme les autres soumissionnaires, n’a pas été en mesure de négocier auprès du fabricant General Electric le meilleur prix possible, et encore moins de le forcer à fabriquer ses éoliennes ici.

Un autre argument de l’économiste Bernard porte sur les taux de profit. Nous savons que TransCanada réalise un taux de rendement sur ses fonds propres de plus de 20 %, et j’ai basé mes travaux sur un taux de rendement de 15 % pour Hydro. C’est ce taux que la société a récemment suggéré à la Régie de l’énergie pour une activité comparable. Bernard rétorque que le taux n’est pas obligatoirement de 15% et que s’il était plus élevé, l’avantage d’Hydro-Québec s’en trouverait diminué. D’accord, mais il faut considérer qu’il pourrait tout autant être plus faible.

Enfin, Jean-Thomas Bernard cherche à démontrer que si notre société d’État avait participé à l’appel d’offres en suivant les règles en vigueur, elle n’aurait pas nécessairement bénéficié d’avantages. Le but de mon étude était plutôt de montrer que le problème est justement l’appel d’offres et ses règles. Si Hydro participe au nouvel appel d’offres de 2000 MW actuellement en cours, rien ne garantit qu’on pourra attirer un fabricant et notre société d’État ne sera pas en mesure de négocier le prix des éoliennes de façon optimale. Nous dirons encore qu’on aurait pu faire mieux !

En ce qui concerne les fabricants d’éoliennes, il faut rappeler qu’actuellement, ils ne réussissent pas à combler la demande mondiale, celle-ci étant trop forte. Il s’agit d’un argument supplémentaire pour forcer un fabricant à s’implanter au Québec. De plus, les éoliennes actuelles ne sont pas conçues pour un climat nordique comme le nôtre et gagneraient à être améliorées. L’avantage de saisir cette possibilité d’innovation pour le Québec est double : les éoliennes performeraient mieux sur notre territoire, et nous deviendrions le fabricant d’éoliennes de référence pour les régions nordiques.

*économiste à la Chaire d’études socio-économiques de l’UQÀM