L’ampleur de la protestation des latinos inquiète

Basta ! Basta ! et Basta ! martèlent les hispanos

Depuis un mois, les États-Unis sont secoués par des manifestations comme on n’en a pas vu depuis l’époque du mouvement pour les droits civiques des Noirs dans les années 1960 et 1970. Cette fois, les immigrants latino-américains sortent de l’ombre pour dire très haut et fort : Assez, c’est assez !

La goutte de trop, c’est le projet de loi HR 4437, intitulé « de protection frontalière, d’anti-terrorisme et de contrôle de l’immigration illégale », et initié par le représentant républicain du Wisconsin, James Sensenbrenner, le même qui, en 2001, était derrière le « Patriot Act ».

Le projet, s’il est adopté tel quel par le Sénat états-unien, rend criminels les immigrants sans papiers de même que toute personne qui les aide. Il permet à la police de les détenir sans mandat légal préalable et donne le feu vert à la construction d’un super mur patrouillé par des avions robot tout le long de la frontière mexico-états-unienne, soit sur plusieurs centaines de kilomètres!

Les manifestations n’ont pas dérougi depuis le 10 mars lorsque 200 000 personnes ont déferlé à Chicago. Les manifs se comptent par dizaines partout aux États-Unis, incluant la fameuse marche du 25 mars, à Los Angeles, qui a ressemblé près d’un million et demi de manifestants. L’ampleur du mouvement, sa diversité d’expression et son effet boule de neige ont surpris tout le monde.

Les marcheurs, portant fièrement le drapeau de leurs pays d’origine, sont mobilisés par l’Église catholique à qui les « latinos » ont donné un second souffle aux États-Unis, mais surtout par un formidable réseau d’organisations communautaires (clubs de soccer, groupes culturels, associations de petits commerçants, groupes d’aide à l’intégration des nouveaux arrivants, etc.) qui utilise les stations de radio locales en espagnol.

En plus des manifestations, débrayages d’écoliers, perturbations de conseils municipaux et blocages routiers, le mouvement « latino » boycotte les entreprises soupçonnées de financer les groupes anti-immigration: les brasseries Miller et Budweiser, Pepsi, Bacardi, Disney, le détaillant d’essence Marathon.

Il avertit aussi les politiciens de droite qu’il y aura un prix politique à payer, surtout que des élections parlementaires de mi-mandat doivent avoir lieu cette année.

Effectivement, les politiciens états-uniens montrent une diversité de prises de position sur la question de l’immigration illégale, qui varie selon les caractéristiques migratoires des districts qu’ils représentent.

Toute la classe politique états-unienne est ainsi paralysée, soucieuse de ne pas s’aliéner ni les 35 millions de latino-américains vivant aux États-Unis, ni les « red necks » de droite, bien appuyés par les grands médias qui donnent d’eux l’image de « patriotes » représentant le reste de la population blanche.

Peu importe à ces médias que plusieurs de ces « patriotes » collaborent avec des Nazis comme le fait Save Our State, organisation californienne de nationalistes et suprémacistes blancs qui qualifie publiquement la culture mexicaine de « fosse à purin » ! Peu importe aussi qu’une « journée nationale de protestation » des groupes anti-immigration n’ait rassemblé plus tôt cette année que 700 activistes !

Les illégaux, eux, sont bien plus que 700 et commencent à perdre patience. Au cours des deux dernières décennies, ils avaient confié à des avocats le soin de combattre des projets de lois pour limiter leur accès à un permis de conduire, à l’éducation et à la santé de leurs enfants, à l’enseignement de l’espagnol, etc.

Selon le Pew Hispanic Center, les 12 millions d’illégaux occupent 24 % des emplois dans l’agriculture, 17 % dans le nettoyage, 14 % dans la construction et 12 % dans les cuisines et cafétérias.

Au cours des quinze dernières années, ils se sont organisés et ont revitalisé le mouvement syndical états-unien. À tel point qu’en 2000, l’AFL-CIO finissait par se prononcer en faveur de la légalisation des sans papiers.

Aujourd’hui, les sans-papiers sont un atout essentiel de l’économie états-unienne, mais sont continuellement menacés de déportation, ne peuvent voter, ont un accès limité aux aides sociales, mais paient des impôts et subissent au quotidien une discrimination qui va en augmentant.

L’an dernier, un certain Jim Gilchrist fondait les Minutemen, vigiles racistes qui, armes à la main, vont à la frontière pour arrêter « l’invasion » et la « reconquête » du Sud-Ouest des États-Unis par les Mexicains. Plus tard, il échouera de justesse à se faire élire sous la bannière du Parti indépendant américain, le même qu’avait fondé George Wallace, célèbre gouverneur raciste des années 1960.

Gilchrist et ses milices qui appellent la Garde nationale à « nettoyer » les villes, ont plein d’alliés au Congrès. L’un d’eux est le représentant du Colorado, Tom Tancredo, qui a déjà exprimé publiquement le vœu que les États-Unis lâchent une bombe nucléaire sur La Mecque, ville sainte des musulmans. Tancredo dirige au Congrès un caucus de 91 membres, chargé de « pousser » le projet de loi Sensenbrenner.

Miguel Otero, journaliste mexicain à l’Agence d’information solidaire (http://www.infosolidaria.org), décrit ce qu’il appelle « le spectacle unique au monde de la frontière » mexico-états-unienne.

Il y a d’abord, dit-il, les jeeps de la police des frontières états-unienne, dont les agents sont armés de fusils à balles-étoiles (une personne tirée dans l’épaule peut en mourir deux heures plus tard !). Puis, les voitures des paramilitaires, accompagnées malgré elles par celles des membres d’organisations pro-immigrants, comme Border Angels (les Anges de la frontière), émettant une musique stridente et insultant les Minutemen pour détourner leur vigilance.

Au milieu de tout ce bordel, continue Otero, vont et viennent les narcotrafiquants qui offriraient 10 000 $ par tête de Minuteman ! Enfin, passeurs et immigrants sautent un mur de trois mètres ou sortent de centaines de tunnels qui le traversent, restent un instant incrédules et disparaissent dans l’obscurité du désert.

Mais le « spectacle » n’est pas seulement comique. Depuis cinq ans, plus de 2000 illégaux sont morts à la frontière et le conflit ne peut qu’envenimer les relations des États-Unis avec le Mexique et avec toute l’Amérique latine.

Déjà les populations mexicaines, tant aux États-Unis qu’au Mexique, pressent l’État mexicain de montrer plus de fermeté face au traitement des illégaux aux États-Unis. On suggère, par exemple, de taxer les exportations de pétrole vers le voisin du nord, tandis que s’organisent des boycottages mexicains des commerces états-uniens situés près de la frontière.

L’ALÉNA ayant provoqué l’écroulement de l’économie rurale mexicaine, le président Fox est accusé de ne pas avoir créé les conditions économiques qui décourageraient la population de quitter le pays. Le Conseil national de la population du Mexique révèle que deux millions de Mexicains ont émigré depuis l’élection présidentielle de 2000, la plupart aux États-Unis.

En fait, le gouvernement mexicain miserait sur la stratégie des « remises », c’est-à-dire l’argent que les émigrés envoient à leurs proches restés au pays, argent qui permettrait à l’État de diminuer d’autant ses aides sociales. En 2005, le Mexique a reçu 22,2 milliards de dollars en remises et l’ensemble de l’Amérique latine 53,6 $ milliards, soit 17 % de plus qu’en 2004 !

Depuis un mois, l’administration Bush et le Sénat états-unien essaient de maquiller la dureté du projet Sensenbrenner, mais les illégaux ne s’y laissent pas prendre. Ils sont à organiser pour le premier mai, une grève civile baptisée « A day without an immigrant » (une journée sans immigrant).

Ce jour-là, l’appel est lancé pour qu’aucun illégal n’aille travailler, étudier, ouvrir son commerce ou acheter quelque produit que ce soit (« No work, no school, no sales and no buying ! »).

« Nous n’accepterons rien de moins qu’une totale amnistie et la dignité pour les millions d’illégaux vivant aux États-Unis », proclame l’appel lancé, entre autres, sur le site d’ActionLA (adresse internet), un groupe d’immigrants de Los Angeles.

« Les politiciens anti-immigrants disent que les immigrants représentent une perte pour la société. Si cela est vrai, alors, le 1er mai prochain, l’économie devrait connaître un boum. Si ce n’est pas le cas, nous prouverons une fois pour toutes qu’ils ont tort. »