Le mouvement syndical et le syndrome du prisonnier

Les syndiqués ont vu l’adoption de lois spéciales pour mettre un terme à leur négociation ou leur arrêt de travail en 1982, 1983, 1986, 1993 et 1997.

Avec une extraordinaire mobilisation de deux mois et demi, une large coalition, comprenant le mouvement étudiant et le mouvement syndical, a obligé le gouvernement français à reculer dans le dossier des contrats de première embauche (CPE). Une victoire que nous, syndicalistes québécois, avons suivi avec un intérêt soutenu, particulièrement à la lumière des événements des derniers mois sur le front syndical québécois.

Au mois de décembre dernier, le gouvernement Charest a littéralement knockouté le mouvement syndical avec la loi 142 qui décrète les salaires jusqu’en 2010, impose les conditions de travail de certains groupes, menotte et ligote les organisations syndicales. Quatre mois plus tard, le mouvement syndical gît toujours au plancher, groggy.

Sa timide riposte a été de faire préparer par ses avocats des recours juridiques auprès des tribunaux nationaux et des organismes internationaux appropriés. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Pourtant, personne ne peut feindre la surprise. Le gouvernement Charest a donné l’heure juste dès la première année de son mandat avec l’adoption sous le bâillon en décembre 2003 des modifications à l’article 45 du code du travail pour faciliter le recours à la sous-traitance et l’adoption des lois 7 et 8 qui niaient le droit à la syndicalisation aux 25 000 travailleuses des services sociaux et de santé et des services de garde à l’enfance.

À l’époque, nous avons montré de quel bois nous nous chauffions. Le port de Montréal a été paralysé et nous avons bloqué des routes un peu partout au Québec. Nos assemblées générales ont voté une journée de grève sociale… à utiliser au moment opportun.

La situation s’est quelque peu calmée par la suite, mais le feu couvait toujours, prêt à s’embraser. C’est le message que portaient les 100 000 manifestantes et manifestants, venus des quatre coins du Québec, le Premier Mai 2004 à Montréal, avec la plus imposante manifestation de l’histoire du mouvement ouvrier québécois.

Un an plus tard, c’était au tour du mouvement étudiant de prendre la rue pour s’opposer à la transformation de 103 millions de dollars de bourses en prêts étudiants. À l’apogée du mouvement, de 230 000 à 250 000 étudiants des cégeps et universités avaient débrayé et, de ce nombre, près de la moitié était en grève générale illimitée.

Le mouvement étudiant bénéficiait d’un immense appui populaire et avait le gouvernement Charest dans les câbles. Il aurait suffi d’un coup de pouce du mouvement syndical pour qu’il obtienne entière satisfaction, mais la jonction n’a pas eu lieu.

Pourtant, ce ne sont pas les raisons qui manquaient au mouvement syndical pour prendre la rue. Quelques mois auparavant, en décembre 2004, le gouvernement Charest complétait la réforme entreprise avec les modifications à l’article 45 du code du travail en adoptant, toujours sous le bâillon, l’Agence des partenariats public-privé (PPP) avec comme mandat de rendre opérationnel le recours à la sous-traitance.

Mais le mouvement syndical était centré sur lui-même. Dans le bouquet de lois anti-syndicales de décembre 2003, il y a avait la loi 30 qui impose la réorganisation des unités d’accréditation dans le réseau de la santé et des services sociaux et la décentralisation de plusieurs sujets de négociation.

L’objectif du gouvernement n’avait échappé à personne : diviser le mouvement syndical. Malgré tout, les organisations visées et les 230 000 salariés qu’elles représentent se sont engagées tête baissée dans une longue et extrêmement coûteuse lutte fratricide comme s’il n’y avait pas d’autres choix s’offrant à elles. Au lieu d’y allouer des dizaines de millions de dollars des cotisations de leurs membres, elles auraient fort bien pu s’entendre entre elles pour minimiser les coûts et les effets de la loi 30.

C’est dans ces conditions de désunion et de blessures non cicatrisées que les organisations syndicales se sont présentées en rangs dispersés pour les négociations du secteur public avec un gouvernement Charest qui les attendait de pied ferme.

La présidente du Conseil du trésor nous a effrontément nargués – « C’est une offre finale, il n’y a rien en-dessous de la table », lançait-elle – et le premier ministre Charest en a rajouté en déclarant qu’il s’agissait du « nouveau modèle de négociations ». Pour montrer qu’il sortait indemne de cet « affrontement » qui n’a jamais eu lieu, il ajoutait, sourire en coin, qu’il envisageait peut-être trois mandats !

Cependant, déjà au cours des dernières années, l’échec de la grève de la FIIQ à l’été 1999, puis celle plus récente des employés des magasins de la SAQ, indiquaient très clairement que les gouvernements ne craignaient pas de se frotter aux syndicats et que s’imposait l’établissement d’un rapport de forces d’une ampleur à nulle autre pareille.

Si cela n’avait pas suffi, un rapide coup d’œil sur les résultats des dernières rondes de négociations du secteur public est tout aussi éloquent. Ces syndiqués ont vu l’adoption de lois spéciales pour mettre un terme à leur négociation ou leur arrêt de travail en 1982, 1983, 1986, 1993 et 1997.

L’analyse des données depuis 1988 permet de mesurer l’ampleur du recul des employés de l’État. En 1988, la rémunération globale des salariés de l’État (comprenant les avantages sociaux) était en avance de 10 % sur les autres salariés québécois, mais à parité avec les autres salariés syndiqués. En 2005, les employés de l’administration québécoise accusent du retard pour toutes les catégories d’emplois: 11,8 % par rapport aux autres salariés québécois, 8,2 % par rapport au secteur privé, 18,4 % par rapport aux autres salariés syndiqués, 20,5 % par rapport au secteur privé syndiqué. Il y a une seule exception, le secteur privé non syndiqué avec lequel la rémunération globale des employés de l’État est à parité.

Depuis le début des années 1980, à l’occasion de multiples rencontres, colloques et congrès, les organisations syndicales soupèsent, analysent et décortiquent la mondialisation néolibérale et ses conséquences sur le mouvement syndical. Dans ces rencontres nationales et internationales, on parle d’offensive patronale sans précédent, d’un nouveau rapport de forces tout à l’avantage des milieux d’affaires, du recul du mouvement syndical partout à travers le monde.

Cependant, on ne semble pas voir la nécessité d’appliquer ces leçons théoriques à la pratique des négociations avec le gouvernement du Québec. On se présente en rangs dispersés, sans avoir construit l’appui nécessaire auprès de la population et en utilisant des tactiques et des moyens de pression de manchots.

Aujourd’hui, le mouvement syndical est atteint du syndrome du prisonnier. Dans les institutions pénitentiaires, l’administration est tellement puissante que les prisonniers n’osent s’y attaquer. Il ne leur reste qu’à s’entre-déchirer.

C’est exactement le marais dans lequel le mouvement syndical est en train de s’enfoncer. Des syndicats veulent scissionner de leur centrale, d’autres pensent que la solution est dans le changement d’allégeance. L’unité syndicale en prend pour son rhume. Le principe de base du mouvement syndical – l’union fait la force – est bafoué.

Pendant ce temps, Mme Jérôme-Forget et M. Charest, de même que leurs amis du Conseil du patronat, se frottent les mains de satisfaction.

Pourtant, les choses ne sont pas si compliquées comme viennent encore de nous le démontrer nos collègues français.