Le peuple népalais au centre d’un jeu politique à trois

Un roi qui colle, une opposition qui vole et les maoïstes

Après vingt jours de manifestations, les Népalais ont fêté, le mardi 25 avril, la décision du roi Gyanendra de rétablir le parlement, supprimé quatre ans auparavant, le chef du Parti du Congrès reprenant son poste de premier ministre. La décision royale est venue au terme d’une réunion secrète avec les représentants des 7 partis de l’opposition (ASP).

C’est aux cris de « Roi-voleur ! Pendez-le ! », « À bas la dictature ! » et « Pouvoir populaire en marche ! » que, depuis trois semaines, les Népalais manifestaient et respectaient l’ordre de grève générale lancée par l’ASP, avec l’appui des rebelles maoïstes qui mènent depuis dix ans une guerre de guérilla.

Pendant vingt jours, les manifestations ont succédé aux manifestations. Chacun leur tour, les ordres professionnels ont fait grève devant leurs établissements respectifs. Une à une, les différentes ethnies se sont rassemblées pour faire connaître au roi leurs revendications. Ajouter à cela les jeunes, essentiellement les étudiants, qui réclamaient la fin de la monarchie et l’instauration d’une république démocratique.

La riposte royale a été impitoyable avec l’imposition de plus de 100 heures de couvre-feu. Soldats et policiers étaient postés à tous les coins de rue. Quatorze personnes ont trouvé la mort, 5 000 autres ont été blessées, dont 2 000 resteront handicapés pour le reste de leurs jours. On est toujours sans nouvelles de 80 personnes disparues lors d’une rafle de l’armée.

Une précédente vague de manifestations avait arraché au roi Birendra en 1990 la mise en place d’un parlement qui fonctionna pendant une dizaine d’années. Gyanendra accédera au trône au mois de juin 2001, soit trois jours après l’assassinat du roi Birendra et des membres de sa famille.

Dès le début de son mandat « royal et divin » – le Népal est le dernier royaume hindou et son roi est considéré comme l’incarnation du dieu Vishnou – Gyanendra intensifia la lutte contre la guérilla populaire maoïste déclenchée en février 1996. Sans trop de succès toutefois, puisqu’on considère aujourd’hui que 80 % du territoire népalais est sous gestion maoïste. En juin 2002, le roi limogeait le parlement et, le premier février 2005, s’arrogeait les pleins pouvoirs. Ce coup d’État poussait les sept partis de l’ASP à s’entendre avec les maoïstes.

L’éventail politique de l’ASP se répartit ainsi : trois partis centristes, dont le plus important est le Parti du Congrès, deux partis royalistes et deux partis de la gauche modérée. Le Parti du Congrès a gouverné en appliquant une politique ultra-libérale. Il a été accusé de s’être vendu à l’Inde lorsqu’il autorisa l’implantation d’une usine hydro-électrique dans la région du Terai. Le traité de Makhali que le Parti du Congrès a signé avec l’Inde oblige le Népal à fournir à son voisin du sud de l’électricité à bon marché, ce qui le prive d’une bonne part de son potentiel hydro-électrique.

Ce contexte explique pourquoi, pour plusieurs, le Népal gouverné par un roi est synonyme d’un Népal indépendant, alors qu’on craint qu’un Népal gouverné par les sept partis d’opposition ne devienne, à toutes fins utiles, un territoire dominé par l’Inde.

La trame de fond est un pays où 80 % de la population vit dans une extrême pauvreté, avec un taux de chômage de 47 %. L’espérance de vie est de 58 ans pour les hommes et 53 ans pour les femmes. Le revenu moyen par habitant est de 220 $US par année et le taux de mortalité infantile frôle les 12 %.

La devise du pays « Ekata » – ce qui signifie unité populaire – est difficile d’application dans un pays de 23 millions d’habitants provenant d’une vingtaine d’ethnies différentes, chacune ayant son propre système de castes, et parlant 90 langues différentes.

L’économie du pays dépend pour 25 % de ses revenus des sommes envoyées par les Népalais vivant à l’étranger et pour 50 % de l’aide internationale et de l’industrie touristique. Celle-ci subit les contre-coups des perturbations politiques. Le nombre de touristes a chuté de 220 000 en 1996 à 5 000 en 2002.

La situation constitue un terreau fertile pour la guérilla maoïste. Son programme en 40 points propose, entre autres, de rétablir l’indépendance économique du pays vis-à-vis de l’Inde. Parmi les 17 points des « exigences concernant la démocratie populaire », on trouve la suppression de la monarchie, l’abolition réelle du système des castes, l’accès à la propriété pour les femmes et donc à l’héritage, la reconnaissance des minorités ethniques et de leurs langues, et le droit de former des gouvernements autonomes dans les régions reculées du pays.

Quatorze autres « exigences concernant la société » proposent l’instauration d’un salaire minimum, la protection des handicapés et des orphelins, une politique de secours pour les régions touchées par les inondations et les catastrophes naturelles.

Depuis 10 ans, l’affrontement entre le pouvoir et la guérilla a fait 12 000 victimes. Il y a un an, Prachanda, le dirigeant du mouvement, se disait prêt à l’établissement d’un dialogue avec les partis d’opposition pour la convocation d’une assemblée constituante et l’établissement d’un État républicain. Les maoïstes étaient prêts à abandonner la lutte armée pour entrer dans l’arène politique parlementaire, mais l’acceptation de la proposition royale de rétablir le parlement sans abolition de la royauté et sans assemblée constituante est perçue comme une trahison.

Malgré le dénouement des derniers jours – qualifiée d’heureux par la communauté internationale – le peuple népalais se retrouve toujours au centre d’un jeu politique à trois. Le roi qui cherche à maintenir la monarchie et sa fortune personnelle. Les partis d’opposition dont on craint qu’ils soient de nouveau prêts à spolier le pays de ses ressources naturelles au profit de l’Inde. Et l’instauration par la force armée d’une démocratie populaire par les maoïstes.

Un manifestant népalais l’exprimait bien en manifestant dans les rues de Katmandou avec un bonnet d’âne sur la tête où il était écrit : « Vive la démocratie, mais attention au double jeu de nos politiques ».