La balle est dans le camp du parti unioniste

L’Ulster doit accorder les mêmes droits à tous ses citoyens

Commémorer la mort de Bobby Sands, martyr proclamé de la lutte républicaine nord-irlandaise, prend un nouveau goût au lendemain du désarmement de la mythique armée républicaine irlandaise (IRA). C’est ce que rappelait Paul Maskey, conseiller municipal de Belfast pour le Sinn Féin, le 8 mai dernier, aux camarades montréalais qui ont soutenu l’édifiante grève de la faim en 1981. « Nous devons garder en mémoire ce qu’ils ont sacrifié pour nous. Les grévistes de la faim n’étaient pas en prison pour des actes criminels, mais pour leur combat pour la liberté de l’Irlande. Ils étaient des prisonniers de guerre, et nous ne devons jamais oublier cela. »

Il y a 25 ans, après 66 jours de grève, Bobby Sands décédait le 5 mai 1981, affamé par l’intransigeance thatchérienne. À sa suite, neuf autres républicains décédèrent dans les mêmes conditions d’internement. Cet épisode marquant a attiré sur l’Irlande du Nord les projecteurs de nombreuses opinions publiques. Pour Paul Maskey « l’internationalisation de notre combat » par opposition à sa « criminalisation » par les Britanniques a concouru au fil des 15 années suivantes à dresser la table des négociations.

Les grévistes de la faim se battaient pour la reconnaissance de leur statut de prisonnier politique, eux qui étaient tombés sous le droit commun à compter de mars 1976. Prisonniers politiques, ils l’étaient dans l’âme, et leur cause a démontré la disparité des droits civiques en Irlande du Nord, ainsi que la nécessité de renouer avec la lutte démocratique.

La mort de Bobby Sands, élu député pour Sinn Féin en avril 1981, a révélé le mépris de l’Angleterre pour ses propres institutions, et toute la justesse des revendications républicaines. Dans les années qui ont suivi, Sinn Féin a pris son envol dans la joute politique, si bien qu’aujourd’hui il est le second parti politique d’Ulster.

Pour Paul Maskey, l’héritage que Sinn Féin et les Accords du Vendredi Saint (10 avril 1998) doivent à Bobby Sands et à ses codétenus est considérable, ne serait-ce que pour avoir forcé la reconnaissance du mouvement républicain en tant qu’expression et aspiration démocratique d’une partie de la population nord-irlandaise. Héritage qui porte également la nécessité d’accorder à tous les citoyens d’Ulster les mêmes droits sans aucune répression ni inquiétude.

Difficile combat qui perdurait déjà depuis la fin des années 1960, mais nécessité historique, puisqu’en permettant aux différentes tendances nationalistes de siéger à l’Assemblée de Stormont (Belfast), on accélérait le dialogue et la démocratisation du conflit, prélude au cessez-le-feu général de l’IRA en 1997. C’est dans ce contexte que furent par la suite signés les Accords du Vendredi Saint en 1998, avec le concours du mouvement républicain accueilli aux tables de négociations pour la première fois depuis 1921.

Théoriquement, en plus de créer un cadre démocratique respectueux de chaque tendance ainsi que des aspirations de la Couronne britannique et de la République d’Irlande, ces accords prévoyaient à la fois la démilitarisation de l’Irlande du Nord, une réforme en profondeur des services policiers (à 90 % protestants), ainsi que le désarmement des groupes paramilitaires, au premier titre l’IRA.

Mais depuis 1998, les belles promesses ont généré plus de tergiversations que d’initiatives concrètes, de part et d’autre. La démilitarisation s’est amorcée, puis accélérée depuis septembre 2001, alors que la Grande-Bretagne a sauté à pieds joints dans la lutte au terrorisme, désormais musulman tyrannique et non plus catholique républicain. Jusqu’à tout récemment, on comptait encore plus de Tommies en Irlande du Nord qu’en Irak ou en Afghanistan, ce qui n’est plus le cas en 2006, l’enlisement dans ces deux derniers théâtres nécessitant des redéploiements.

La réforme de la police, quant à elle, bien qu’engagée depuis 2001, n’a pas convaincu l’IRA ni les groupes paramilitaires loyalistes, qui ont préféré ralentir leur désarmement. Si bien que d’impasse en impasse, les institutions semi-autonomes d’Irlande du Nord ont été suspendues quatre fois depuis leur mise sur pied en novembre 2000.

Dernière en lice, la démission de David Trimble en 2002 a plongé l’Ulster dans une tutelle britannique de presque quatre ans, tout juste levée avec le retour en chambre des députés nord-irlandais le 15 mai dernier. Et de nouveau, le contrat est de taille. « Nous allons essayer de désigner un exécutif, et un chef de gouvernement, qui devrait fort probablement être du Democratic Ulster Party, principal parti unioniste, de dire Paul Maskey. Mais ce dont nous ne voulons surtout pas, c’est de ministres britanniques désignés pour s’occuper des problèmes de l’Irlande du Nord à la place des élus, et qui laissent ainsi l’Irlande du Nord être dirigée comme l’Écosse ou le Pays de Galles, contrairement aux acquis historiques de l’Accord du Vendredi Saint. »

« La priorité pour l’instant est de rétablir l’effectivité de l’Assemblée de Stormont, afin de prendre les décisions en respect des attentes électorales du peuple nord-irlandais », ajoute Paul Maskey. Cependant, « le prochain défi n’est pas pour Sinn Féin, mais pour le DUP et le gouvernement britannique. La balle est dans leur camp, maintenant que le camp républicain a démontré sa bonne foi ». Tablant sur le désarmement de l’IRA, confirmé en septembre 2005, Sinn Féin place désormais tous ses espoirs de résolution du conflit dans la voie politique, ainsi que son chef Gerry Adams en a formulé le vœu en mars 2005.

Voie politique prometteuse, pour un parti qui a le vent dans les voiles, à la fois fort d’une jeunesse montante chez une communauté au taux de natalité parmi les plus forts d’Europe, et à la fois confiant que ce même taux de natalité accordera bientôt la balance du pouvoir à l’électorat catholique, majoritairement républicain. En 2001, la population nord-irlandaise comptait en effet plus de 40 % de catholiques contre 45 % de protestants.

« Notre parti enregistre de plus en plus de membres, d’appuis, d’électeurs et d’élus à tous les paliers; nous croissons constamment et les gens sont maintenant prêts à adhérer à nos idées et à notre démarche, en regard de ce que nous avons accompli. Enfin les gens voient ce que nous faisons sur le terrain, alors que nous nous appliquons à montrer que la voie démocratique est réaliste », d’ajouter Paul Maskey. Autrement dit, inspiré par la « revanche des berceaux », on s’affaire désormais à cultiver les conditions gagnantes d’un éventuel référendum sur la réunification, conformément à la déclaration de Downing Street de décembre 1993, par laquelle Londres s’est engagée à renoncer à sa souveraineté sur l’Irlande du Nord si tel était le vœu démocratique de sa population.

Mais d’ici là, il faut convaincre une opinion publique éreintée par 40 ans d’incertitude politique. La « voie démocratique » nécessite donc une certaine vulgarisation. Et là-bas également, il semble que l’enjeu économique tienne tête à la fibre nationale. Effectivement, qu’adviendra-t-il d’une Irlande réunifiée ?

Malgré que les deux Irlande soient membres de la même Europe, l’écart de richesse qui les divise en remplacement du limes de check points d’autrefois est effarant. En effet, en l’espace de 30 ans, la République d’Irlande s’est hissée au second rang des pays de l’Union européenne au chapitre de la richesse par habitant. Son indice de développement humain (10e rang mondial ; le Canada occupant le 4e rang) précède celui du Royaume-Uni, alors que le Tigre celtique attire de plus en plus d’industries chimiques ou de haute technologie et affiche la plus forte croissance d’Europe. En 2003, on estimait même que plus de 68 % de ses échanges s’effectuaient avec l’UE, signe d’une indépendance économique inédite face à l’Angleterre.

De l’autre côté de la frontière, l’Irlande du Nord n’est plus le moteur industriel de l’île qu’elle était, même si de peine et de misère elle a réussi dans les dernières années à réduire son taux de chômage sous le moyenne du Royaume-Uni. Contrairement à autrefois, il semble que ce soit désormais l’Ulster qui se développe à l’ombre de la République. Mais d’un côté comme de l’autre, les disparités socio-économiques sont sévères. On estime qu’en 2003, 21% de la population de la République flirtait avec la pauvreté.

C’est dire qu’actuellement, la réunification ne réglerait pas tous les problèmes d’Ulster, et que le défi de Sinn Féin repose sur la mise en valeur de son programme social. « Il est nécessaire de mettre fin aux divisions sociales et économiques qui séparent le Nord et le Sud. Le Tigre celtique ne devrait pas s’arrêter à la frontière de l’Ulster ! Les gens circulent, échangent entre les deux régions et nous voulons plus d’égalité en ce sens. Actuellement, le développement économique rattrape l’Irlande du Nord. On voit à Belfast plus d’emplois, de meilleurs salaires. Le tourisme devient un enjeu économique aussi important au sud qu’au nord. Mais l’écart reste encore de taille. C’est pour cela que nous prônons la réunification », de préciser Paul Maskey.

L’Irlande du Nord est-elle au bout de ses peines ? « Les gens croient généralement que la question nord-irlandaise est réglée depuis le cessez-le-feu de 1997. Non, la lutte continue ! » Et le plus gros reste à faire, selon Paul Maskey. « Désormais, il faut mettre fin au racisme, à l’intolérance et se concentrer sur d’autres solutions pour développer une culture d’ouverture, de paix et rétablir l’échange et le dialogue entre les communautés. »