La CSQ dénonce l’apartheid scolaire

Conférence sur un nouveau pacte social pour l’éducation

*Le 23 mai, au Monument national, Jocelyn Berthelot abordait la question de l’heure pour la CSQ

Avant d’aborder les mesures proposées, je voudrais d’abord préciser certains éléments liés au contexte de la mondialisation.

Le premier a trait au prétendu caractère inéluctable des politiques néolibérales qui dominent la phase actuelle de la mondialisation. On connaît la chanson. Nous n’aurions d’autre choix que de laisser le marché prendre toute la place, de soumettre tous les biens et services au libre-échange, d’assister impuissants au « ratatinement » du rôle des États. Il en irait du mieux être de l’humanité.

Le deuxième élément concerne l’emprise d’un nouveau modèle éducatif inspiré de ces politiques. On prétend que la concurrence serait la condition nécessaire d’une qualité éducative retrouvée. Le libre choix de l’école en découlerait et exigerait en retour une autonomie favorisant la diversification des établissements ainsi que des données quantitatives, de type palmarès, permettant aux parents de comparer la qualité et de faire un choix éclairé sur ce nouveau marché.

Sur un autre plan, les entreprises tentent d’investir l’éducation. Les barrières érigées pour protéger l’école du monde marchand s’effritent peu à peu. L’autonomie des universités, qui leur a même valu d’être qualifiées de « tours d’ivoire », est menacée par des entreprises qui cherchent à les soumettre. On tente même d’inclure l’éducation dans l’Accord général sur le commerce des services, l’AGCS.

Rares sont les pays qui échappent à ce nouveau modèle éducatif. Pourtant, les recherches menées un peu partout, en France, en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande, révèlent qu’il ne remplit pas ses promesses. La qualité améliorée n’est pas au rendez-vous. Il accentue les inégalités entre les groupes sociaux et entre les établissements.

L’éducation québécoise est aussi profondément marquée par ces tendances néolibérales, même si elle est loin de leur être soumise. Éducation Internationale, une coopérative de services de la Fédération des commissions scolaires, fera commerce d’éducation au Maroc, où elle ouvrira une école privée en association avec un partenaire privé marocain. On ne compte plus le nombre d’édifices, de facultés et de chaires de recherche universitaires qui portent désormais le nom de grandes entreprises; l’énumération serait trop longue.

Par ailleurs, l’école privée est en pleine croissance. Au secondaire, près d’un jeune sur cinq la fréquente, une proportion supérieure à celle qui prévalait avant la Révolution tranquille. Sur l’île de Montréal, le seuil de 30 % a été franchi, un record. Pour tenir tête à sa rivale, l’école publique a choisi de diriger les bons élèves vers des projets particuliers. Ces projets sélectifs se sont multipliés ces dernières années; on en compte dans plus de la moitié des écoles secondaires et même dans le tiers des écoles primaires.

Alors que le renouveau pédagogique, comme l’appelle le ministre libéral, prétend viser la réussite du plus grand nombre et l’amélioration de la qualité, les politiques favorisant le choix de l’école et le développement de projets sélectifs agissent exactement en sens contraire. Pendant que l’on s’évertue à convaincre des bienfaits de l’intégration en classe ordinaire des élèves en difficulté, on met en œuvre des pratiques qui ont pour effet d’en exclure les bons élèves. Cela n’est pas le moindre des paradoxes. Le défi de l’intégration repose de plus en plus sur un nombre restreint d’écoles et de classes. Ce sont les élèves les plus faibles, particulièrement ceux de milieux pauvres, qui subissent les contextes éducatifs les moins efficaces.

En milieu urbain, les écoles de milieux défavorisés croulent sous les exigences; les conséquences négatives du libre choix en font de plus en plus des écoles ghettos. La francisation et l’intégration des élèves immigrants sont aussi rendues plus difficiles par l’évitement qu’encourage ce libre choix. La situation risque d’empirer alors que pour faire face à une situation démographique défavorable, les gouvernements canadien et québécois, ont décidé d’accroître de façon importante le niveau d’immigration.

Par ailleurs, l’école québécoise échoue toujours auprès d’un noyau dur de jeunes. Les inégalités sont telles qu’elles ont de quoi faire rougir le plus modeste des démocrates. Le taux de décrochage est deux fois plus élevé dans les écoles secondaires de milieux pauvres que dans celles de milieux favorisés. La situation est encore plus critique sur l’île de Montréal, particulièrement pour les jeunes des communautés noires.

On assiste à la mise en place d’un véritable apartheid scolaire dont les conséquences sociales pourraient être assez effrayantes. Le Québec n’est pas à l’abri des soubresauts sociaux qui ont secoué plusieurs sociétés occidentales. C’est toute la société qui est concernée par l’avenir de l’éducation. Il y va de son développement culturel, social et économique.

J’ai proposé un ensemble de mesures que j’ai qualifié de nouveau pacte social pour l’éducation qui se fonde sur la lutte aux inégalités, la justice scolaire et la volonté de faire en sorte que le plus grand nombre de jeunes et d’adultes acquièrent la formation jugée nécessaire à l’exercice d’une citoyenneté démocratique. Il faut revenir à la première priorité qu’avait fixée la Commission des États généraux sur l’éducation et remettre l’école sur ses rails en matière d’égalité des chances.

Le pacte social proposé a trois composantes. D’abord mettre fin à l’apartheid scolaire actuel. Ensuite, tout mettre en œuvre pour assurer la réussite. Enfin, poursuivre sur la voie d’un accroissement de la scolarisation des jeunes et des adultes.

Tout au long de la scolarité obligatoire, les politiques éducatives devraient favoriser la mixité scolaire et sociale, sauf dans le cas d’élèves dont la situation exige des solutions adaptées. Cela implique, d’une part, qu’il faudrait mettre fin progressivement au financement public de l’école privée et intégrer les élèves et le personnel au réseau public. Des modalités on pourra débattre.

D’autre part, il faudra restreindre le choix de l’école publique, ouvrir les projets particuliers à l’ensemble des élèves et privilégier l’hétérogénéité des classes durant la scolarité obligatoire. Il y va d’une plus grande démocratisation de l’éducation et d’une intégration fondée sur la recherche d’une plus grande mixité sociale et ethnique.

J’entends déjà certains critiques annoncer un nivellement par le bas. Pourtant, les conclusions des recherches internationales portant sur les systèmes scolaires et sur l’organisation de l’enseignement le confirment : la mixité sociale et scolaire contribue à réduire les écarts entre les élèves sans pour autant nuire à la performance des meilleurs. Ce sont notamment les conclusions des analyses du Programme des acquis des élèves, PISA, mené sous la conduite de l’OCDE.

Outre cette réorganisation de l’enseignement, il faut renforcer les mesures visant à soutenir la réussite. Des pas importants ont été franchis à ce chapitre, mais il faut faire davantage. On sait à quel point des services à la petite enfance de qualité influencent positivement la réussite scolaire ultérieure. Or, les enfants de milieux pauvres fréquentent beaucoup moins les services de garde. Il faut donc améliorer cette fréquentation et offrir à ces enfants et aux jeunes allophones l’éducation préscolaire 4 ans à temps plein.

Il faut ensuite venir en aide plus adéquatement aux écoles de milieux défavorisés et assurer la pérennité des mesures qui leur sont destinées. Il faudrait poursuivre sur la voie d’une réduction du nombre d’élèves par groupe jusqu’à un maximum de 15 pour l’éducation préscolaire et les premières années du primaire dans les milieux difficiles, une mesure efficace si l’on en croit les études internationales. Quant aux services pour les élèves en difficulté, ils doivent être améliorés.

De façon générale, il faut améliorer le niveau de scolarisation, tant des jeunes que des adultes. La fréquentation de la formation professionnelle et technique ainsi que de l’enseignement supérieur est toujours en deçà de la moyenne des pays de l’OCDE. Il ne s’agit pas d’amener tout le monde jusqu’à l’université, mais d’assurer une nécessaire qualification professionnelle pour le plus grand nombre.

Il ne fait pas de doute que le choix d’un enseignement collégial gratuit et d’un enseignement universitaire peu coûteux ont favorisé l’égalité des chances. Mais les sombres coupes budgétaires imposées depuis le milieu des années 1990, en conséquence de la réduction des transferts fédéraux, menacent la capacité des cégeps d’offrir des mesures d’aide à la réussite et la nécessaire autonomie de l’enseignement supérieur.

Enfin, il faudrait revenir aux priorités fixées par les États généraux en ce qui a trait à la formation continue : l’alphabétisation et la formation de base. Plus d’un million d’adultes ne satisfont pas à la norme sociale de base d’un diplôme du secondaire et 600 000 d’entre eux n’ont pas atteint la troisième secondaire.

C’est parce que l’école c’est pour la vie que j’affirme la nécessité et l’urgence de convenir d’un nouveau pacte social pour l’éducation qui vise une plus grande égalité, l’intégration sociale et la justice scolaire. On pourra toujours discuter des meilleurs moyens d’y arriver; c’est en ce sens que j’ai avancé les propositions qui précèdent. Celles-ci n’exigeraient pas d’investissements astronomiques tout en facilitant le travail des personnes et l’atteinte des objectifs fixés. Il n’y a pas de médicament miracle, ni de technologies curatives qui pourront remplacer les personnes qui contribuent quotidiennement à l’éducation des québécoises et québécois, jeunes comme adultes.

*Chercheur, CSQ