Le révisionnisme a besoin d’être revisé

Avons-nous égaré notre trame politico-conflictuelle ?

Le nouveau document du ministère de l’Éducation concernant l’enseignement de l’histoire et de la citoyenneté au secondaire provoque tout un débat. Est-ce seulement, comme l’écrit Jocelyn Létourneau, historien de l’Université Laval et boursier de la Fondation Pierre-Elliott Trudeau, dans Le Devoir du 1er mai dernier, « un nouvel épisode de notre psychodrame collectif » ? Ou bien faut-il y voir également, emmaillé au débat fédéraliste-indépendantiste, un problème historiographique fondamental ? Nous en avons discuté avec l’historien Ronald Rudin qui, dès 1998, a critiqué dans « Faire de l’histoire au Québec » (Septentrion) le courant révisionniste en histoire au Québec.

Jean-François Cardin, professeur de didactique de l’histoire à l’Université Laval, a souligné dans Le Devoir du 29 avril, la filiation entre le nouveau programme d’histoire et le courant révisionniste en histoire. Selon lui, l’approche du nouveau programme n’est pas si « nouvelle ». Le programme d’enseignement de l’histoire établi depuis 1982, explique-t-il, « était déjà très dépolitisé et ne mettait pas en avant une trame politico-conflictuelle. Il était structuré autour de l’approche dite de l’École des Annales, c’est-à-dire une trame qui fait d’abord prévaloir les facteurs socioéconomiques dans l’explication des phénomènes historiques. Il s’inspirait notamment de la synthèse Histoire du Québec contemporain des professeurs Durocher, Linteau et Robert, dont le premier volume fut publié en 1989. »

Le nouveau programme s’inscrit dans la même perspective. Dans l’optique de produire une « histoire plurielle et plus rassembleuse », le nouveau programme aborde l’histoire sur la longue durée et fait table rase des repères de la collectivité québécoise. C’est cette trame de fond, ce sens du récit qui pose problème.

Un exemple ? De 1760 à 1848, les élèves de secondaire III verront le concept de la démocratie dans l’épisode intitulé « L’accession à la démocratie dans la colonie britannique ». L’importance de la Conquête est secondarisée, l’accent est mis sur les efforts de la nouvelle Mère-patrie pour instaurer un régime démocratique. La preuve ? La chambre d’assemblée « avait été autorisée dès 1763 » !

Désormais, le Canada n’est plus en reste des autres révolutions (française et américaine), car des mouvements empreints de libéralisme (dont on fait l’apologie dans le document) émergent. Et ce n’est pas du mouvement des Patriotes auquel on fait référence ! Non, on donne plutôt en exemple une pétition qui réclame dès 1784 la mise en place d’une chambre d’assemblée. Un choix de faits historiques douteux, il faut bien le dire.

Finalement, ce merveilleux périple aboutit en 1848 à l’établissement d’une « démocratie parlementaire ». Dans ce contexte, les Événements de 1837-1838 sont réduits à de « petites escarmouches » inutiles.

Déjà, à la fin des années 1990, Ronald Rudin, historien à l’Université Concordia, avait questionné dans Faire de l’histoire au Québec le consensus autour de ce courant historiographique. Curieux que personne aujourd’hui ne rappelle ses thèses.

En entrevue, Ronald Rudin nous explique qu’il y avait « un consensus parmi les historiens québécois au début des années 1990. On avait accepté un certain sens de l’objectivité, l’histoire était conçue comme une science exacte avec une interprétation acceptée que j’ai nommée révisionniste et que d’autres ont appelée moderniste. »

Ce courant « moderniste » présente un Québec « normal » et « les historiens révisionnistes ont insisté sur l’insertion du Québec dans la dynamique du développement de l’Occident », rappelle Rudin. La génération des historiens révisionnistes a de la même façon présenté « un Québec moderne, profondément urbanisé, peuplé d’une majorité francophone peu touchée par la religion catholique et imbu d’un esprit capitaliste, plus souvent divisé par des oppositions de classes sociales que par des conflits ethniques », écrivait Rudin dans Faire de l’histoire au Québec.

« Je croyais qu’il y avait d’autres façons de comprendre le passé », raconte le professeur de Concordia. C’est en étudiant la façon de « faire de l’histoire » en Irlande que Rudin remarque l’absence de débats au Québec à propos de cette interprétation historique.

L’histoire révisionniste irlandaise avait évacué les traumatismes de son récit. « On montrait une Irlande moins violente, moins traumatisée, plus normale, plus moderne. On avait une façon de présenter l’Irlande qui n’était ni une colonie, ni un pays du tiers monde, mais un pays “ normal ”. Les rébellions irlandaises, la Conquête et la famine de 1840 n’étaient plus des épisodes marquants de l’histoire irlandaise. Mais il y avait une surabondance de travaux d’historiens sur les processus politiques pour souligner les efforts parlementaires déployés pour faire de l’Irlande un pays libre », nous explique Ronald Rudin.

Au Québec, selon Rudin, les historiens révisionnistes ont porté moins d’attention à certains thèmes comme le rôle considéré jusque là omniprésent de l’Église catholique. « Je pense qu’il y avait un problème à marginaliser le rôle du catholicisme », précise Rudin. Dans les travaux des historiens révisionnistes, « le passé est présenté comme étant séculier, l’Église est une institution comme une autre qui n’influence la société que de l’extérieur. »

« Là-bas, en Irlande, il y avait des débats à la télévision sur cette façon d’aborder l’histoire. Les livres traitants de ce sujet étaient dans les vitrines des librairies. On a questionné cette approche. J’ai pensé, en publiant Faire de l’histoire au Québec poser des questions utiles pour le Québec », ajoute Rudin.

Bien que le livre de Rudin ait provoqué un certain questionnement chez les historiens québécois, il ne semble pas avoir trouvé d’écho chez les gens du Ministère qui ont confectionné le nouveau programme.

Le nouveau programme intitulé, Histoire et éducation à la citoyenneté est disponible en ligne [http://www.agora.qc.ca/ceq]