Les syndicats ne font pas assez de politique

Michel Chartrand sonne la charge

C’est le Michel Chartrand des grands jours qui a sonné la charge contre les gouvernements Charest et Harper, lundi soir. Malgré ses 90 ans, l’énergie de l’éternel militant était contagieuse pour les quelque 200 personnes qui s’étaient déplacées au Centre social des cols bleus regroupés de Montréal dans le cadre de la conférence organisée par SPQ Libre sous le thème L’état du mouvement syndical face aux gouvernements Charest et Harper.

« Chers camarades, je ne veux pas être long, parce que j’avais décidé que je ne parlerais plus en public, a-t-il lancé au début de la soirée. Mais je veux vous dire que je suis très heureux qu’une réunion comme celle-là ait lieu. Parce que de la politique, on n’en a pas fait assez dans la province de Québec et on n’en a pas fait assez dans les syndicats. C’est pour ça qu’on se fait baiser par tous les partis politiques ! »

Dans son message d’ouverture, la co-présidente d’honneur de la soirée, Madeleine Parent, a résumé les préoccupations, reprises par plusieurs intervenants au cours de la soirée, en identifiant deux menaces : le manque d’unité syndicale et politique.

Madeleine Parent est revenue sur les négociations du secteur public. « Les syndicats qui ont essayé de régler séparément auraient dû rester avec les autres et ainsi le gouvernement aurait appris une leçon. »

Une perspective partagée par Monique Pauzé, présidente du Syndicat de l’enseignement de Champlain, affilié à la CSQ. « Le slogan électoral du gouvernement Charest était : “ Nous sommes prêts ! ” Nous l’avons beaucoup raillé. Mais, aujourd’hui, le mouvement syndical doit faire le constat que, oui, les libéraux “ étaient prêts ” à nous diviser », a-t-elle déclaré.

Pour illustrer les effets néfastes de la division, elle a cité une étude de l’OCDE datant des années 1990 qui révélait que les pertes les plus sérieuses des organisations syndicales étaient enregistrées dans les pays qui ont traditionnellement un faible pourcentage de syndicalisation et dans les pays où les centrales syndicales nationales se font concurrence.

« Nos assemblées générales syndicales ont adopté à travers l’ensemble du Québec le principe d’une journée de grève sociale de 24 heures devant être exercée au moment jugé opportun, a-t-elle poursuivi. Ce moment n’est jamais venu et cette idée s’est transformée en pétard mouillé. Puis, une manifestation monstre de 100 000 personnes s’est tenue à Montréal le 1er mai 2004. Encore une fois, aucune revendication précise n’a suivi cette belle mobilisation, aucune autre action commune n’a été programmée. » Toujours selon Monique Pauzé, « La loi 30 est sans conteste celle qui nous a fait le plus de torts. Nous avons participé à notre propre malheur en nous y soumettant. Temps, énergie, argent ont été consacrés à une vaste campagne de maraudage qui a duré plus d’un an. La loi 30 a démontré que le corporatisme de chacune des centrales était très vivant. »

Pour elle, un autre exemple du manque de solidarité est l’actuelle campagne de désaffiliation de certains syndicats de la CSQ. « Alors que ceux qui prônent la réduction du rôle de l’État sont bien organisés et structurés, les forces syndicales se divisent, a-t-elle déploré. La concurrence, la compétition, le repli sur soi, toutes ces valeurs caractéristiques du néolibéralisme, que nous dénonçons depuis 25 ans, s’installent dans nos rangs. »

Jean Lacharité, président du Conseil central de l’Estrie de la CSN qui s’exprimait en son nom personnel, a approuvé la syndicaliste enseignante et affirmé que « depuis que Charest est au pouvoir, nous avons manqué une couple de rendez-vous, le plus important étant la grève sociale de 24 heures ». Soulignant que les alliances sont faciles à souhaiter, mais plus difficiles à réaliser, il a quand même déclaré que les syndicats, peu importe leur affiliation, « sont dûs pour une bonne jasette ».

Finalement, c’est un membre de la salle, militant dans un syndicat indépendant, le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), qui a conclu sur l’urgence de mettre fin aux divisions entre centrales syndicales. « Être dans une centrale ça ne doit pas être une religion, a-t-il dit en prenant le micro, c’est le syndicalisme qui doit être notre “ religion ” ».

Les panélistes ont aussi insisté beaucoup sur l’importance pour les syndicats de battre les gouvernements Harper et Charest aux prochaines élections. « Quand tu te bats contre le patron, tu te bats seulement contre une partie de la dictature économique ! », a tonné Michel Chartrand.

Madeleine Parent a réitéré ses inquiétudes sur la division des votes entre le Parti Québécois et le nouveau parti Québec solidaire. « Avec deux partis souverainistes, il y a un risque que le Parti libéral puisse se glisser entre les deux et gagner les élections. Et le peuple ne veut pas endurer encore quatre ans d’un gouvernement aussi répressif ! »

Sur la même note, Marc Laviolette, président du SPQ Libre et animateur de la soirée, a fait le tour des mesures anti-syndicales adoptées par le gouvernement Charest et a insisté sur la nécessité de se débarrasser de ce dernier, « pas dans trois élections, pas dans deux élections, mais dès la prochaine ».

Jean Lacharité, du Conseil central de l’Estrie, a cependant fait remarquer qu’il n’arrivait pas à sentir que le PQ et son chef actuel incarnaient un véritable projet social. Il a aussi ajouté que la grogne contre ce parti était encore vive chez ses membres. « Quand, au lendemain de l’adoption par décret de la loi 142, André Boisclair s’est fait demander ce qu’il ferait avec ça une fois au pouvoir, il a répondu qu’il ne pouvait pas “ fédérer tous les insatisfaits au Québec ”. Je ne sais pas quelle a été la réaction dans les autres régions, mais à la base, à Sherbrooke, les gens du secteur public étaient presque autant en tabar… contre Boisclair que contre Charest ! »

C’est Luc Desnoyers, directeur des TCA-Québec, qui a le plus élaboré sur la place que peut prendre l’action politique au sein d’un syndicat, après avoir rappellé que, chez les TCA, une vieille formule veut qu’en politique, « il y a un lien important entre la boîte à lunch et la boîte de scrutin ».

Un sondage mené dans son organisation à la grandeur du Canada, révélait que les membres de la base seraient prêts à s’impliquer activement en politique si le syndicat leur donnait les outils pour le faire. Des comités d’action politique locaux et régionaux ont donc été créés autour d’enjeux qui touchent les travailleurs. Des cours et des séances de formation en politique d’une semaine ou d’un mois ont été mis sur pieds par les TCA. Le résultat a été une hausse considérable du militantisme et une implication croissante des membres dans les partis politiques.

Cette approche vise à défendre les intérêts des travailleurs dans toutes les sphères de leur vie plutôt que de se résumer à du lobbying dans leur secteur d’activité. Lorsque des politiciens se sont étonnés de voir les TCA, un syndicat issu du secteur privé et plus particulièrement de l’industrie automobile, déposer un mémoire en commission parlementaire sur l’avenir du système de santé, Luc Desnoyers et ses collègues ont répondu : « Notre monde, quand ils sont malades, ils ne se font pas soigner dans un garage, mais à l’hôpital et au CLSC. »

Jean-Marc Piotte, professeur de science politique à la retraite, a demandé aux syndicats de s’ouvrir d’avantage aux très nombreux travailleurs à statut précaire et aux autres mouvements sociaux, s’ils veulent retrouver leur dynamisme d’antan. L’idée a été chaudement accueillie par la salle.

Selon lui, les syndicats devraient leur réserver un nombre de postes dans l’appareil syndical proportionnel à leur nombre dans la main-d’œuvre de leur milieu de travail. Le professeur Piotte a critiqué la tiédeur des syndicats lorsqu’il s’agit de créer des coalitions avec les mouvements féministes, altermondialistes, pacifistes et étudiants. « Les syndicats disent que c’est difficile parce qu’ils doivent pouvoir contrôler leur agenda. Mais, ce n’est pas vrai qu’ils contrôlent leur agenda! C’est le patronat qui contrôle l’agenda. Les syndicats sont tout le temps en réaction. » Les organisations étudiantes ou écologistes, par exemple, « peuvent parfois être emmerdantes » dans une coalition, mais elles amènent de nouvelles idées, du dynamisme, et accomplissent des choses impressionnantes, a-t-il ajouté.

Sur le thème des perspectives d’unité, Jean Lacharité a évoqué la possibilité d’une plate-forme minimale de revendications communes à toutes les organisations syndicales, peu importe l’affiliation, et à laquelle les centrales s’engageraient toutes à ne pas déroger.

Monique Pauzé a expliqué qu’en Montérégie, au mois de janvier dernier, des syndicats CSQ, CSN, FTQ, SFPQ ont mis en commun leurs questionnements sur les divisions inter-centrales. « Les organisations syndicales ont des plans d’action distincts pour contrer les effets néfastes des politiques néolibérales du gouvernement Charest. En Montérégie, nous avons décidé de n’en faire qu’un seul, de pratiquer dès maintenant ce que nous prônons : l’unité de nos forces. Espérons que d’autres suivront ce mouvement », a-t-elle souhaité, en attendant ce rêve qu’elle dit faire parfois, celui d’une centrale unique des travailleurs et travailleuses du Québec.

Mais c’est encore Michel Chartrand qui, dans son message de clôture, a résumé de façon colorée l’appel de tous les panélistes à un mouvement syndical combatif. « Il va falloir se battre pour que l’économie soit au service du monde. Et pour ça il ne suffit pas de s’asseoir pour parlotter avec les patrons, parce que les patrons ici, c’est pas seulement des têtes de cochons. S’ils étaient juste des têtes de cochons, ils seraient mangeables…eh bien ils ne sont pas mangeables ! »