Lucien Bouchard avait pris la bonne décision

On ne peut pas partir à moitié pour la famille

Autrefois, quand un politicien voulait effectuer un retour en politique, il donnait une entrevue à un journaliste. Aujourd’hui, il publie un manifeste avec des gens de différents horizons politiques mais partageant le même credo économique, suscite un intérêt pour sa personne par artiste interposé et se commande un sondage.

La démarche de Lucien Bouchard est cousue d’un si gros fil blanc qu’il est visible à un kilomètre de distance. Aux péquistes et aux solidaires qui souhaitent le retour sur la scène politique de M. Bouchard – soit respectivement 55 % pour les premiers et 51 % pour les seconds selon le sondage du Devoir – le SPQ Libre tient à rappeler certains des principaux faits d’armes de l’ancien premier ministre.

Appelé à prendre la succession de M. Parizeau, au lendemain du référendum de 1995, Lucien Bouchard a lamentablement échoué à profiter des « conditions gagnantes » pour réaliser la souveraineté. Alors que tous s’attendaient – autant au Québec qu’au Canada anglais – qu’il prenne appui sur la quasi-victoire des souverainistes pour déclencher des élections et préparer un nouveau référendum, il déposa l’arme au pied.

Dans la biographie qu’il a consacrée à Jean Chrétien, le journaliste Lawrence Martin écrit que Lucien Bouchard a capitulé devant les menaces de partition du territoire québécois proférées par le Canada anglais en cas du victoire du Oui. Est-ce vrai ? M. Bouchard devra un jour expliquer pourquoi il a refusé le rôle que l’Histoire lui assignait en ce moment charnière de notre lutte d’émancipation nationale.

M. Bouchard a préféré centrer l’attention du Québec sur l’objectif du Déficit zéro, cédant piteusement aux pressions de Wall Street comme il le reconnaît dans un article du journal Les Affaires du 5 novembre 2005. Les résultats sont connus. La marche forcée vers le Déficit zéro a complètement déstructuré le réseau de la santé avec des milliers de départs prématurés à la retraite.

La grande coalition souverainiste, rassemblée par Jacques Parizeau à l’occasion du référendum, et réunissant avec le Parti Québécois et le Bloc Québécois, les grandes centrales syndicales, les organisations communautaires, les artistes, les groupes de femmes, n’a pas résisté à l’électrochoc du Déficit zéro. Et pour s’assurer que la coalition soit bel et bien détruite, le gouvernement Bouchard a adopté onze lois d’exception anti-syndicales pendant une des périodes de relations de travail parmi les plus calmes de notre histoire.

Alors que M. Parizeau avait réussi à rallier les groupes de femmes à la cause souverainiste en faisant adopter la Loi sur l’équité salariale au lendemain de la Marche du Pain et des Roses de 1995, Lucien Bouchard s’est aliéné les mêmes groupes en répondant aux revendications de la Marche mondiale des femmes de 2005 avec un ridicule 10 sous d’augmentation sur le salaire minimum. Une attitude qui a conduit les groupes de femmes à prendre l’initiative de fonder un nouveau parti souverainiste. Comme rassembleur, on fait mieux !

Le bilan de M. Bouchard sur la question linguistique n’est guère plus reluisant. Dès le lendemain de son élection à la tête du Parti Québécois, son tout premier discours est pour rassurer la communauté anglophone réunie au théâtre Centaur. Huit mois plus tard, au congrès du Parti Québécois, il inquiète les francophones en déclarant qu’il ne pourrait plus « se regarder dans le miroir » si les congressistes adoptent une résolution visant à invalider la loi 86 de Claude Ryan pour revenir à l’intégrité de la Loi 101.

Faut-il rappeler la fin de non-recevoir aux orphelins de Duplessis ? L’affaire Yves Michaud ? Lucien Bouchard a forcé l’Assemblée nationale à condamner un des plus ardents défenseurs du français pour des propos que personne n’avait entendus ou lus afin de l’empêcher d’être candidat à l’élection partielle de la circonscription de Mercier où il sollicitait explicitement le mandat d’aller défendre la cause du français à l’Assemblée nationale.

Quelques mois plus tard, Lucien Bouchard remet sa démission en blâmant les Québécois « pour avoir été étonnamment impassibles devant les offensives fédérales » et revient longuement sur l’affaire Michaud pour justifier la résolution de l’Assemblée nationale. Un mois plus tard, il se joint au cabinet d’avocats Davies, Ward, Phillips & Vineberg.

En pleine course à la chefferie du Parti Québécois, M. Bouchard refait surface avec le Manifeste des Lucides dans lequel les auteurs agitent le spectre du vieillissement de la population et de la dette, comme M. Bouchard l’avait fait avec le déficit, et prônent son remboursement à même des hausses faramineuses des tarifs d’électricité.

Les Lucides se font également les avocats d’une augmentation des frais de scolarité, d’une réforme de la taxation et d’une plus grande ouverture à l’entreprise privée. Le Manifeste est un pur épouvantail qui est devenu le livre de chevet du premier ministre Charest et les Saintes écritures pour les éditorialistes de Power Corporation.

Pour meubler ses loisirs, M. Bouchard siège au conseil d’administration, entre autres, des entreprises Saputo, Transcontinental et de la Société du Havre où il se fait le promoteur du projet de l’implantation d’un casino à proximité d’un quartier populaire de Montréal.

C’est bien connu que Lucien Bouchard a été le rédacteur du discours de Brian Mulroney qui promettait de réintégrer le Québec dans la Confédération « dans l’honneur et l’enthousiasme », auquel répondit le gouvernement de René Lévesque par la « politique du beau risque »

Aujourd’hui, Mario Dumont, l’associé pressenti de Lucien Bouchard pour former un nouveau parti selon le sondage du Devoir, nous invite à répondre « au fédéralisme d’ouverture » du gouvernement Harper par un « nouveau beau risque pour l’autonomie ». L’adage selon lequel la répétition d’un événement historique qui a été une tragédie est une comédie s’applique ici parfaitement.

Si le couple Dumont-Bouchard veut tabler sur la popularité de M. Harper auprès de l’électorat québécois, nous pouvons d’ores et déjà les prévenir que celle-ci risque d’être bien évanescente lorsque les soi-disant « cinq objectifs prioritaires » du gouvernement Harper se dissiperont pour faire place à l’essentiel du programme politique de M. Harper : la guerre en Afghanistan et bientôt, peut-être, en Iran aux côtés de George W. Bush.

Les Québécoises et les Québécois savent que la guerre est toujours cette bête immonde qui va avaler une part croissante du budget et prendre son tribut en jeunes hommes et jeunes femmes sur les champs de bataille.

Un sondage mené par le quotidien Globe and Mail (6 mai) révèle que 70 % de la population québécoise est opposée à la guerre en Afghanistan. C’est – à quelques points près – le même pourcentage que lors des deux plébiscites sur la conscription lors des deux grandes guerres mondiales. L’histoire du Québec nous apprend que cette donnée est beaucoup moins volatile que le taux de satisfaction actuel à l’endroit du gouvernement Harper.

Marc Laviolette, président et Pierre Dubuc, secrétaire. Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre)