La GRC a voté pour Harper et gagné ses élections

Au Canada anglais, l’affaire Goodale a joué le même rôle pour le Parti libéral que le scandale des commandites au Québec

Le premier ministre Harper s’invite à la Citadelle de Québec pour notre Fête nationale. Au cours de l’été, les recruteurs de l’armée canadienne seront présents dans tous les festivals, partout sur le territoire québécois. À l’automne, ils seront omniprésents dans nos institutions d’enseignement. Bientôt, les soldats québécois du Royal 22e Régiment quitteront leur base de Valcartier pour l’Afghanistan et certains reviendront dans des cercueils entourés de l’unifolié. Jusqu’ici lointaine et abstraite, la guerre prendra bientôt une forme plus concrète et s’introduira subrepticement dans nos vies.

La guerre est en train de devenir l’axe autour duquel s’articule la vie politique canadienne. La guerre est l’enjeu principal de la course à la chefferie du Parti libéral canadien. D’un côté, il y a les faucons, Scott Brison et surtout le favori Michael Ignatieff, et de l’autre, tous les autres candidats et candidates. Le général « ex-casque bleu » Roméo Dallaire vient de se jeter officiellement dans la mêlée en appuyant la candidature de Michael Ignatieff. Un long métrage, avec Roy Dupuis en vedette, viendra fort opportunément lui offrir une nouvelle tribune pour justifier l’engagement du Canada en Afghanistan.

La guerre constitue le seul véritable programme du gouvernement de Stephen Harper. Ses cinq soi-disant priorités ne sont là que pour meubler l’espace médiatique et se verront rapidement occultés par les considérations militaires. Déjà, le premier ministre Harper a averti Jean Charest et le Québec de ne pas s’attendre aux milliards espérés pour le règlement du déséquilibre fiscal. Un nouveau joueur aux appétits insatiables vient de s’introduire sans y avoir été invité dans la ronde de la péréquation : le budget militaire.

Peu de gens savent que Stephen Harper vient d’une famille à la culture militariste. Son père a publié deux livres sur les emblèmes militaires du Canada et a été consultant pour la Défense nationale. Hier, Stephen Harper était un chaud partisan de la participation du Canada à la guerre en Irak et il a laissé entendre que, demain, il sera aux côtés de George W. Bush si les États-Unis agressent l’Iran.

Le premier ministre Harper n’a pas caché son intention de redéfinir l’identité canadienne autour des pouvoirs spécifiques du gouvernement fédéral que sont la Politique étrangère, la Défense et l’Armée. Son ambition avouée est que le Canada reprenne sa position historique au sein de l’anglo-saxonnie. Jadis, c’était sous la direction de la Grande-Bretagne; aujourd’hui, c’est sous celle des États-Unis.

Le grand défi de Stephen Harper est de composer avec une situation de gouvernement minoritaire et une opinion publique hostile aux guerres impériales, particulièrement au Québec. Le vote de ce printemps sur le prolongement de la mission en Afghanistan lui a démontré qu’il pouvait diviser le caucus libéral et considérer même la possibilité d’un gouvernement de coalition avec des libéraux dirigés par Michael Ignatieff. Stephen Harper s’inspire du coup fourré du premier ministre conservateur Robert Borden qui avait fractionné en 1917, lors du vote sur la conscription, le Parti libéral de Sir Wilfrid Laurier en deux ailes, les loyaux et les déloyaux, pour éventuellement former un gouvernement de coalition avec les libéraux pro-conscription.

Le premier ministre Harper cherche également à faire basculer l’opinion publique en appui à la mission en Afghanistan. Pour ce faire, il peut compter sur les bons offices de la GRC et du SCRS, comme le laisse entrevoir la nébuleuse affaire de l’arrestation des membres d’une ou deux présumées cellules terroristes à Toronto. Avons-nous affaire à un vrai complot terroriste ou à une mise en scène policière ?

Chose certaine, les présumés terroristes avaient été infiltrés par la police et étaient à tout le moins d’un amateurisme à faire pleurer. La manipulation policière et politique ne peut être exclue, d’autant plus que le voile se lève sur les accointances entre les services policiers et le Parti conservateur. En effet, la GRC a joué un rôle non négligeable dans la victoire électorale des Conservateurs avec l’affaire des fiducies de revenu.

Rappelons les faits. Le 23 novembre dernier, soit cinq jours avant le vote de confiance qui allait provoquer la chute du gouvernement Martin, le ministre des Finances Ralph Goodale annonçait après la fermeture des marchés qu’Ottawa n’imposerait pas – contrairement à ce qu’on avait laissé entendre auparavant – de nouvelles taxes ou restrictions sur les fiducies de revenu.

Les recherchistes du NPD notèrent une hausse soudaine et importante de la valeur des plus importantes fiducies de revenu quelques heures avant la décision du ministre Goodale et soupçonnèrent un délit d’initiés. Le NPD déposa une plainte auprès de l’unité de la GRC chargé de surveiller les activités boursières et demanda une enquête. Habituellement, la réponse de la GRC ne parvient que des mois plus tard et est négative, même si la GRC ouvre une enquête. Pour des raisons évidentes, la GRC n’annonce jamais publiquement la tenue d’une enquête.

Cette fois-ci, ce fut différent. La GRC télécopia sa réponse au bureau de la députée néo-démocrate le 23 décembre en disant qu’elle ouvrait une enquête criminelle. Les bureaux de la députée étaient fermés pour le congé de Noël. Mais la GRC tenait tant à ce que sa réponse soit connue qu’elle téléphona le 28 décembre aux bureaux de Winnipeg de la députée pour lui signaler qu’une importante télécopie l’attendait à son bureau d’Ottawa. La suite est connue. Le NPD rendit l’affaire publique et les Conservateurs demandèrent la démission de Ralph Goodale.

L’analyse des sondages démontre que c’est précisément à partir de ce moment que les Conservateurs devancèrent les Libéraux dans les intentions de vote et l’analyse ultérieure des résultats électoraux révèle que cet événement est le principal facteur explicatif du changement d’opinion de l’électorat au Canada anglais. L’affaire Goodale a joué au Canada anglais pour le Parti libéral le rôle du scandale des commandites au Québec. La GRC a voté pour Stephen Harper et a gagné ses élections.

Le premier budget du gouvernement Harper renvoie l’ascenseur avec 160 millions de dollars supplémentaires à la GRC pour le recrutement de nouveaux agents pour la lutte contre le terrorisme. Et, bien entendu, par le plus grand des hasards, le démantèlement des présumées cellules terroristes de Toronto se produit au moment où la Chambre des communes débat de la pertinence de reconduire les lois antiterroristes et que la Cour suprême se penche sur la constitutionnalité des certificats de sécurité.

On ne peut évidemment exclure la possibilité que des actes terroristes soient commis par des partisans de groupes islamistes. Al-Qaïda a sans doute des disciples au Canada qui, intoxiqués par le discours de certaines écoles coraniques, croient à la légitimité de leur lutte et au bien-fondé des actions terroristes.

Ce n’est pas la première fois au cours de l’histoire que le terrorisme connaît des heures de gloire. Mais, souvent spectaculaires, elles ont toujours été éphémères. Action d’un petit groupe d’individus, le terrorisme débouche inévitablement sur un cul-de-sac politique. Dans le cas présent, il sert de justification aux mesures répressives de l’État, à l’augmentation des budgets militaires et à la mission militaire en Afghanistan .

Que les complots terroristes soient l’œuvre de la police ou de fanatiques religieux, le résultat est le même : paralyser les forces progressistes. Mais, à voir le peu d’empressement des forces souverainistes et progressistes au Québec à se faire les porte-parole de l’immense opposition populaire au déploiement des forces canadiennes en Afghanistan – plus de 70 % de la population selon les derniers sondages – l’organisation même d’un faux complot terroriste apparaît superflu.

Les médias se sont déchaînés contre l’introduction du manuel Parlons de souveraineté à l’école, mais personne ne proteste contre la présence des agents recruteurs de l’armée dans nos institutions d’enseignement. Le pacifisme figure en tête de liste de la Déclaration de principes du Parti Québécois, mais ce thème ne fait pas partie du discours de ses dirigeants, ni d’ailleurs de ceux du Bloc Québécois. Stephen Harper a beau déclarer que le Canada est en guerre et que nous serons en Afghanistan pour les dix, voire les vingt prochaines années, nous feignons d’ignorer la question.

Pourtant, l’opposition à la guerre en Irak a démontré l’énorme potentiel mobilisateur du pacifisme au sein de la population québécoise. L’opposition à la guerre transcende les divisions linguistiques et ethniques et la perspective d’un Québec indépendant pacifiste rallierait une majorité de francophones, de membres des communautés ethniques et, même, de bon nombre d’anglophones, autrement opposés à l’indépendance du Québec.

Mais notre élite politique et intellectuelle préfère ronronner sur l’éternel débat sur les relations fédérales-provinciales, le déséquilibre fiscal et la stratégie référendaire.

Mais la guerre nous rattrapera.