L’apprentissage de l’anglais est ludique et libérant

Le ministre Fournier en bave de fierté

Ceux qui n’ont pas regardé le télé-journal de Radio-Canada ce soir-là ont manqué quelque chose. Dans le but de faire la propagande de l’apprentissage de l’anglais dès la première année scolaire, Jean-Marc Fournier, le ministre de l’Éducation du Québec, rendait visite à une classe d’une école primaire de Montréal qui expérimente depuis l’automne dernier le nouveau programme qu’on étendra bientôt au Québec entier.

Si les images valent mille mots, celles du caméraman de Radio-Canada étaient flamboyantes : à entendre les élèves baragouiner quelques mots anglais, puis chanter une chanson, anglaise aussi, le ministre en bavait de fierté, au point que le petit discours qu’il tint ensuite ne pouvait plus se dire qu’en franglais : trois fautes par phrase, rien de moins ! Et la professeure, qui ne voulait pas être en reste, d’en rajouter. Un peu plus et elle aurait demandé au ministre de parachever sa réforme en obligeant les garderies et les maternelles à suivre le nouveau programme du Ministère de l’Éducation!

Au dire de cette professeure, l’usage de la langue anglaise va rendre plus harmonieux les rapports de tous les Québécois entre eux !

Face à autant d’inepties de la professeure et du ministre, comment pensez-vous que la journaliste de Radio-Canada a réagi? Avec des trémolos dans la voix, voyons donc, tandis que le caméraman nous montrait des enfants noirs et jaunes au visage rayonnant et d’insistants plans sur la décoration de la classe et sur tout le matériel didactique hautement sophistiqué qu’on va avoir dans les classes d’immersion anglaise et qu’on ne trouve évidemment pas dans celles du français. L’apprentissage du français, on le sait, c’est punitif. Seul l’apprentissage de l’anglais est ludique, libéré et libérant!

Ce reportage, on devrait le montrer à tous ceux qui, paraît-il, ont pour charge de défendre la langue française, à tous ceux-là aussi qui croient que le Québec doit être unilingue de pensée et d’action, car c’est la langue qui détermine l’être identitaire et son approfondissement. Pierre Elliott Trudeau le savait bien qui, dès les années 1970, tenta de faire du Québec un district bilingue. La manœuvre a échoué, mais le bilinguisme est une hydre à plusieurs têtes qui ne meurt jamais complètement. Depuis 1970, la bilinguisation du Québec va bon train et peu nombreux sont ceux qui semblent s’en rendre compte.

Dans les faits, l’État québécois est déjà bilingue, toutes ses institutions vous offrant de vous servir dans la langue de votre choix, y compris dans les régions où 99 % des usagers sont pourtant unilingues français. Les institutions québécoises vous répondent généralement plus vite si vous demandez d’être servi en anglais plutôt qu’en français. Faites-en l’expérience, vous verrez bien. Essayez la chose avec le ministère du Revenu, Bell Canada, Hydro-Québec, voire avec l’université du Québec. Grâce à l’anglais, vous sauverez un temps précieux que vous passeriez autrement, l’écouteur sur l’oreille, à entendre de la mauvaise musique anglaise !

J’ai parlé plusieurs fois de ce scandale qu’est le Téléjournal de Radio-Canada : certains jours, ce qu’on y diffuse est pour moitié en anglais car on n’y traduit plus les interventions qu’on y fait d’une mare à l’autre. On y laisse pendant deux minutes parler dans sa langue le politicien de la Nouvelle-Écosse, le professeur de Toronto, le cultivateur des Prairies et l’entrepreneur chinois de la Colombie-Britannique. En vingt secondes, le journaliste nous résume ce qu’il a dit. De plus en plus, on entend même les politiciens du Québec rendre compte sur les ondes de Radio-Canada de leurs états d’âme en utilisant l’anglais… et sans qu’on juge bon en l’auguste Société de Guy Fournier d’y changer quoi que ce soit.

Je pourrais citer plein d’autres exemples qui vont dans le même sens, autant à la Société Radio-Canada que partout ailleurs sur le territoire québécois. Les stations de radio demandent au CRTC l’autorisation de diffuser une quantité de plus en plus importante de musique américaine, les chaînes de télévision dites spécialisées importent des États-Unis l’essentiel de leur programmation, Internet est majoritairement anglais et le moteur de traduction de Google pour le français est une véritable calamité linguistique. Du charabia, un effrayant désastre !

Il ne faut pas être un bien grand observateur pour constater que la Loi 101 est à mettre au passé. Nous ne sommes plus dans un État dont le français est véritablement la langue d’usage. De plus en plus, à une vitesse effarante, nous allons vers une société bilingue, de fait si ce n’est de droit. Ce n’est pas pour rien si les manuscrits de nos jeunes écrivains doivent presque tous être révisés en profondeur même s’ils sont écrits de façon simplette, avec rien d’autres comme phrases qu’un sujet, un verbe et un complément direct. Tous ces jeunes écrivains-là se prétendent par ailleurs bilingues et rêvent de publier directement en anglais comme Yann Martel !

Nous savons malheureusement que deux langues ne peuvent cohabiter, surtout dans une société minoritaire comme la nôtre. Tôt ou tard, l’une des deux disparaît. Il ne saurait y avoir deux langues nationales. Je trouve donc inquiétant que nous soyons si peu nombreux à faire état de notre inquiétude comme si nous refusions de lire ces signes pourtant fort clairs qui font déjà notre quotidien et qui rendent si triomphant un ministre qui confond éducation et aliénation !