Pourquoi élargir le Canal de Panama ?

Le projet « danse des millions » sera soumis à un référendum

Le 24 avril dernier, le président Martin Torrijos annonçait, presque cent ans après sa construction, l’agrandissement du canal de Panama, un méga projet qui sera soumis à un référendum national d’ici la fin de l’année.

Vite baptisé « la danse des millions » par la population, le projet consiste surtout à construire une troisième série d’écluses, c’est-à-dire une nouvelle ligne de transit parallèle au canal existant parce que, dit-on, l’expansion du commerce maritime asiatique avec l’Europe et la côte est des États-Unis génère la construction de méga navires trop grands pour traverser le canal actuel.

Le principal promoteur du projet est l’Autorité du Canal de Panama (ACP), agence autonome chargée d’administrer le canal et son bassin hydrographique depuis la rétrocession du premier par les États-Unis, en 1999.

Cette agence est en réalité une « républiquette » privilégiée, nouvelle enclave en marge du pays. En six ans, elle a bénéficié de plus d’un milliard de dollars en revenus grâce au canal. Mais la population panaméenne n’en a pas vu la couleur. Pire, la dette externe du pays a crû du même montant, un milliard de dollars, au cours des mêmes six ans !

L’ACP a d’abord affirmé que le projet d’agrandir le canal (évalué entre cinq et six milliards $) s’autofinancerait. Elle soutient maintenant que, dans le pire des cas, on n’aura qu’à augmenter les péages afin de financer le projet.

Non seulement, répondent les opposants au projet, ces péages sont des revenus pour le pays qu’on propose de sacrifier « au nom du progrès », mais une étude confidentielle révèle qu’un financement supplémentaire de 2,3 milliards $ serait nécessaire, augmentant encore la dette du pays.

Empêtrée dans ses mensonges, l’ACP affirme maintenant détenir d’étranges comptes bancaires secrets (environ un demi milliard de dollars) destinés à « financer l’agrandissement du canal » et, cela, sans même connaître le résultat du référendum !

L’eau est aussi un enjeu plus qu’important. En 1999, quand le Panama a hérité de son propre canal, une session « vite faite » de l’Assemblée législative panaméenne agrandissait de 38 % le bassin hydrographique du canal (il occupe maintenant 7 % du territoire panaméen).

Regroupés dans la CCCE (sigle espagnol de la Coordination paysanne contre les barrages), les paysans ont été les premiers à réagir. Ils s’étaient aperçus, nous dit Martin Renzo Rosales, de l’organisation Justice et Paix, que les nouvelles limites n’incluaient que des sources d’eau qui n’approvisionnaient pas le canal et que les actes de l’Assemblée législative mentionnaient la construction de barrages sur ces mêmes sources d’eau pour alimenter de futures nouvelles écluses.

Aujourd’hui, le nouveau bassin hydrographique est déclaré « réserve hydrologique du canal ». Or, nous dit Rosales, presque la moitié de la population panaméenne habite la zone parallèle à la route de transit comprise entre les villes de Colon et Panama, et le canal est une formidable source de gaspillage d’eau douce.

Chaque navire y transitant requiert 52 millions de gallons d’eau douce qui sont tout simplement rejetés à la mer. À elle seule, cette quantité correspond à la moitié de la consommation quotidienne d’eau potable par les 1,4 millions d’habitants de la zone du canal.

Avec une moyenne de 36 passages de bateaux par jour, le canal consomme donc 18 fois l’eau des habitants de la région, dont le nombre ne cesse de croître. Déjà, 200 000 personnes manquent d’eau potable dans la capitale du pays et beaucoup plus à Colon et ailleurs.

De plus, l’eau est déjà très polluée par des sédiments, et les études de faisabilité du projet prévoient que, pendant les huit années que durera la construction, la qualité de l’eau va encore se détériorer.

Les habitants dénoncent aussi un processus accéléré d’attribution de titres de propriété foncière aux habitants du nouveau bassin, processus qui assurerait un cadre légal pour d’éventuelles délocalisations et indemnisations.

Au moins 104 études « appuient » le projet. Elles ont été confiées à des firmes privées étrangères et aux universités états-uniennes (Arizona State University, University of California et University of Colorado). L’Université du Panama et l’Université technologique panaméenne ont été totalement ignorées !

En plus, les trois quarts de ces études (elles auraient coûté au moins 400 000 dollars) ne sont disponibles qu’en anglais et demeurent inaccessibles à la majorité des Panaméens qu’on prétend pourtant consulter et qui, après tout, sont propriétaires du canal !

Les opposants, dont le nombre croît rapidement, dénoncent aussi les coûts exorbitants de la campagne référendaire du « oui » (embauche d’une firme de communication colombienne, impressions de t-shirts, pluie de téléphones portables, etc.) de même que l’attitude des médias qui présentent des débats télévisés et radiodiffusés où « s’affrontent » exclusivement des partisans du « oui ».

Pour les opposants, tels le FRENADESO (Front national pour la défense des droits économiques et sociaux), la FPA (Force politique alternative) et le journal Buscando Camino, « voter oui au référendum, c’est donner un chèque en blanc à l’ACP qui pourra ensuite mettre le canal et ses biens en garantie pour financer son projet ».

N’est-ce pas d’ailleurs ce que dit l’article 325 de la constitution modifiée : « Toute proposition de construction d’un troisième jeu d’écluses doit être approuvée par référendum, que celle-ci soit réalisée par l’ACP elle-même ou allouée par contrat à une ou des firmes privées ou appartenant à un ou à des États ».

Qui va élargir le canal, demande-t-on ? S’agira-t-il d’un contrat ou d’une concession administrative ? Selon quelles conditions financières ? Où iront les revenus du canal ?

Les opposants ne croient pas une seconde ceux qui prédisent la création de jusqu’à 300 000 emplois! La proposition de l’ACP, affirme le manifeste de la FPA, permet de ne calculer que 6 750 emplois garantis, alors que le ministère de l’Emploi panaméen dénombre 136 000 chômeurs dans le pays.

Mais, surtout, demandent certains analystes, pourquoi agrandir un canal que le réchauffement climatique et les nouvelles technologies maritimes pourraient bientôt rendre obsolète ?

En effet, le « Passage du Nord-Ouest » est souvent évoqué comme substitut au canal. Cette route passe par le Nord du Canada dont les glaces fondent actuellement de façon rapide et à un rythme bien supérieur aux prévisions.

En 2007-2008, le Canada sera l’hôte de l’Année polaire internationale dont l’un des objectifs est « l’étude de l’impact sur la navigation commerciale de l’ouverture du Passage du Nord-Ouest ».

Cette nouvelle voie réduirait de 4000 milles nautiques la distance entre l’Asie et l’Europe et rapprocherait même l’Asie de la côte est des États-Unis et, cela, sans péages ni égard à la taille des navires.

De plus, la firme finlandaise Aker Finnyards vient de mettre en service un navire de commerce « à double action » dont la proue est normale et la poupe équipée de brise-glaces. Le bateau tourne tout simplement sur lui-même quand il rencontre des glaces et intéresse déjà toutes les grandes pétrolières du monde.

Qu’arriverait-t-il, demandent encore les opposants à la « danse des millions », si la route du nord-ouest devenait praticable après la construction des nouvelles écluses et avant que l’investissement ne soit amorti ?