Une Garde nationale ferait fort bien l’affaire

Le Québec souverain aura-t-il besoin d’une armée classique ?

**La guerre dans laquelle les Forces armées canadiennes sont en train se s’enliser en Afghanistan, au nom de cette « guerre contre le terrorisme » nous invite à nous interroger sur le besoin pour un éventuel Québec souverain de se doter d’une armée. Un Québec devenu membre à part entière du concert des nations pourrait-il se passer d’une armée ? Nous le croyons.

Remettre en cause la pertinence d’une force armée pour un futur Québec indépendant exige une réflexion sur les trois fonctions principales de toute armée, qui sont la défense du territoire, la participation à des opérations militaires à l’étranger et l’aide au pouvoir public et aux populations.

Défendre son propre territoire est sans conteste une fonction dont ne saurait se priver un Québec indépendant. Bien que le Québec n’ait pas d’ennemis « naturels » – le Canada allégé de la « Belle province » et les États-Unis d’Amérique ne représenteraient pas une véritable menace pour le Québec –, il incombe tout de même à tout État souverain d’assurer la défense de ses frontières territoriales contre une éventuelle offensive ennemie ou intrusion étrangère. C’est bien en cela que tient sa souveraineté territoriale.

Or, pour cela, un Québec indépendant n’a point besoin d’une armée, puisqu’une « Garde nationale » pourrait très bien suffire à accomplir ce rôle, soit un corps professionnel dont le seul mandat serait de défendre l’intégrité du territoire de l’État québécois. À cette fin, la future Garde nationale québécoise pourrait se constituer en trois armes : la marine pourrait prendre ses quartiers à Gaspé, l’aviation à Bagotville et l’armée à Valcartier. De même, son quartier général pourrait être aménagé à la Citadelle de Québec.

Quant à ses effectifs, il est permis d’estimer que si 55 000 personnes suffisent présentement pour défendre l’immense territoire canadien de près de 10 millions de km2 – ajoutons que les Forces canadiennes, en plus de devoir assumer cette fonction, ont également pour mission les deux autres fonctions classiques de toute armée – on peut supposer qu’une force de 10 000 « gardes » puisse suffire à la défense des 1,6 million de km2 que compte le territoire québécois.

Pourquoi un Québec indépendant devrait-il participer à des opérations militaires à l’étranger ? Pour répondre à cette question, on pourrait rappeler combien l’enviable statut dont jouit actuellement l’État fédéral canadien est largement redevable aux efforts militaires qu’il a consentis lors des deux derniers conflits mondiaux et à ceux qu’il déploie toujours aujourd’hui en vue du maintien ou de l’imposition de la paix de par le monde. N’est-ce pas en effet parce qu’il fait et a toujours fait sa part sur le plan militaire sur la scène internationale que le Canada mérite une telle place au sein du concert des nations ?

C’est bien dans cette logique que se sont inscrites les dernières opérations militaires canadiennes à l’étranger, que ce soit par exemple dans le cadre de la mission de transition en Haïti en 1997 (Opération Constable : MITNUH) ou de la mission de paix du Kosovo de 1999 à 2002 (Opération Echo et Quadrant). Il semble en effet difficile d’imaginer, que devenu membre à part entière du concert des nations, le Québec puisse se dérober à ses obligations internationales. À la manière du Canada, le fait d’être membre de la communauté des nations sous-entend des devoirs et des obligations pour tout pays, à la hauteur de son importance sur l’échiquier mondial.

Or, pour faire face à ses obligations internationales, pourquoi le Québec ne déciderait-il pas de contribuer à combler l’un des besoins les plus criants et face auquel la communauté internationale n’a su jusqu’ici réagir que d’une manière ad hoc, toujours avec les moyens du bord et sans véritable prise en charge systématique ?

Au lieu de se doter d’une armée capable de mener des opérations militaires à l’étranger – sur le modèle canadien –, pourquoi le Québec n’innoverait-il pas en mettant sur pied un corps dont la fonction essentielle serait celle de venir en aide aux pouvoirs publics et aux populations lors de catastrophes humanitaires ou naturelles, et ce, partout sur la planète ?

L’accession à l’indépendance pour le Québec pourrait offrir l’occasion de reprendre et de pousser plus loin l’idéal de paix et d’entraide qui a présidé à la création, dans les années 1950, des forces de maintien de la paix (les casques bleus) par le Canadien Lester B. Pearson.

La défaillance, la lenteur et la désorganisation des efforts déployés lors des dernières grandes catastrophes humanitaires et naturelles illustrent parfaitement l’incapacité actuelle de la communauté internationale à réagir adéquatement à ces situations d’urgence : pensons au tsunami en Asie du Sud-Est en décembre 2004, à l’ouragan Katrina aux États-Unis ou au tremblement de terre de l’automne dernier au Cachemire.

Pour contribuer à combler ce pressant besoin, le Québec pourrait constituer un « corps civil d’intervention ». Ce corps professionnel, composé de 5 000 membres serait apte à être déployé en 72 heures partout sur la planète (voire au Québec, au besoin) afin de venir en aide aux pouvoirs publics et aux populations lors de catastrophes humanitaires ou naturelles.

Contrairement aux différentes armées du monde qui sont inadaptées pour l’accomplissement de ces tâches humanitaires – ce n’est que faute d’avoir des organisations mieux adaptées que l’on recourt encore aux armées – le Corps civil québécois d’intervention serait véritablement formé à cette fin. Il pourrait être composé de spécialistes tels que des secouristes, des ingénieurs, du personnel médical, des électriciens, des plongeurs, de traducteurs, des policiers, des psychologues, des pompiers, etc. Il pourrait comprendre des unités médicales d’urgence, de recherche et sauvetage, d’évacuation de populations, de reconstruction d’urgence, de soutien logistique, de soutien psychologique.

Les moyens nécessaires à ces tâches pourraient comprendre des avions de transport, des hélicoptères de recherche et de sauvetage, des véhicules amphibies, des véhicules tout terrain légers, etc. Le quartier général du Corps civil québécois d’intervention pourrait être installé au fort Saint-Jean (ancien Collège militaire royal de Saint-Jean) et son centre d’entraînement à la base actuelle de Saint-Jean et à la garnison de Farnham.

En somme, un Québec indépendant pourrait très bien se passer d’une armée. Une Garde nationale québécoise suffirait à la défense de son territoire, de même, que pour faire face à ses obligations à l’égard de la communauté internationale, il pourrait mettre sur pied un Corps civil québécois d’intervention pour l’aide au pouvoir public et aux populations en cas de catastrophes. Voilà un exemple de ce que pourrait modestement accomplir la « petite » nation québécoise devenue pays pour bâtir -un monde meilleur, plus solidaire et pacifique.

* Professeur adjoint, École d’études politiques, Université d’Ottawa

**Doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal et professeur à temps partiel, École d’études politiques, Université d’Ottawa