Défendre un droit au Québec est devenu un sport extrême

Le libelle diffamatoire comprend la calomnie et la médisance

SLAPP : désigne une poursuite stratégique devant les tribunaux par des promoteurs pollueurs, contre une mobilisation publique. Un BIPP quoi ! Un Bâillon Imposé à la Parole Publique. Le SLAPP tente d’épuiser moralement et financièrement les groupes citoyens qui sont souvent à la remorque de fonds nécessaires pour assurer la défense de l’environnement.

Cette chronique, inspirée par une poursuite de 5 millions $ contre des écologistes de Chaudière-Appalaches, appelle au cynisme philosophique. Bien qu’elle se défende de vouloir blesser qui que ce soit, intentionnellement ou non.

Je m’imagine écrivant sous l’effet d’un puissant psychotrope administré par un inconnu, lequel m’enlève toute responsabilité quant aux opinions que je pourrais émettre ou non sur tout promoteur. Soyez assurés que ma conscience judéo-chrétienne ne peut se résoudre à ne pas leur pardonner, car « ils savent ce qu’ils font pendant qu’ils amassent des fonds ».

Aujourd’hui, au Québec, défendre le droit à un environnement sain devient un sport extrême. En trame de fond, des gens d’affaires qui découragent le débat démocratique pour l’unique raison de s’enrichir sans entraves. Des politiciens véreux, soucieux de parfaire leur carrière, se mettent en conflit d’intérêts, tandis que d’autres à tendance fasciste ne peuvent tolérer le moindre débat. Fin de la partie éditoriale de la chronique.

Maintenant les faits. Je m’interdirai certains détails afin d’éviter justement les poursuites pour libelle diffamatoire. Déjà que Niocan, la compagnie qui tente d’imposer une mine « possiblement polluante » à Oka, s’est essayé sur moi…oups ! J’n’aurais pas dû... Ben, c’est-à-dire que le directeur Faucher m’avait menacé de poursuites lors d’un entretien au Café Cherrier à Montréal… Oups ! Déjà trop. Mais enfin !... Et l’autre là, de la Coopérative Ovital, qui poursuivait Eau Secours! pour 250 000 $ parce que j’avais dit que ce prometteur (et non promoteur) aurait intérêt à suivre les directives de la Commission des valeurs mobilières… Oups ! Encore ! Décidément ! Attention, le libelle diffamatoire comprend autant la calomnie que la médisance.

Lac-Saint-Jean, Oka, Trois-Pistoles, Sherbrooke autant de lieux que d’écologistes menacés ou traduits en justice! En Estrie, une entreprise de compostage poursuit un citoyen qui s’était plaint publiquement des odeurs infectes; du coup, plus personne dans le voisinage n’ose répéter à quel point l’endroit pue. Voilà une des caractéristiques de la SLAPP: à défaut de réussir sur le plan juridique, elle sape le moral des revendicateurs.

Au printemps dernier, à Beaumont, le promoteur du controversé projet de port méthanier avait inclus une clause dans son analyse de risques mettant en garde contre « toute référence partielle au présent rapport susceptible de créer une fausse interprétation ». Les critiques paient les frais de leur silence.

Que dire du cas le plus percutant: celui de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA). Un des groupes les plus actifs qui, pour avoir enlevé à un pollueur le plaisir de souiller davantage la rivière Etchemin avec ses carcasses d’autos sur un terrain déjà suffisamment contaminé, se retrouve avec le CREE poursuivi pour un montant de 5 millions $.

« On a rien fait de répréhensible et on se retrouve avec une poursuite de cinq millions », dit André Bélisle, président de l’AQLPA et du Comité de restauration de la rivière Etchemin. Aux États-Unis on appelle ça une « poursuite stratégique pour empêcher la participation publique » un SLAPP. Il faut « tuer ça dans l’œuf », affirme M. Bélisle, pour éviter que les groupes écologistes ne perdent leur capacité de surveillance et d’action. « La loi sur la qualité de l’environnement est basée sur la participation citoyenne ou d’un groupe qui alerte la société quand il y a des fraudes. Il faut qu’on garde notre droit d’opposition. »

Malgré que les tribunaux, sur le fond de la cause, eurent donné raison au groupe écologique, « c’est une histoire folle et absurde qui nous a coûté beaucoup d’argent, de temps et de tracas », s’exclame André Bélisle qui trouve que défendre ses convictions coûte cher. « J’ai même dû contracter un emprunt à la caisse, que j’ai cautionné moi-même, personnellement, pour assurer le salaire de nos employés ».

« Au Québec, le système judiciaire ne permet pas un filtrage rapide des poursuites abusives et les citoyens et les groupes sont obligés d’engager des sommes considérables pour se défendre, ou alors doivent se retirer du débat public. Nous ne pouvons que dénoncer une telle situation », souligne Guy Lessard, président du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec.

Pour sa part, le Centre québécois du droit de l’environnement rappelle que certains États américains se sont dotés de lois anti-SLAPP qui protègent davantage les droits des citoyens et des groupes activistes, réduit le fardeau financier pour la défense et prévoit des mécanismes d’évaluation et de rejet rapide des poursuites injustifiées. C’est le cas de la Californie et de l’État de Washington, entre autres.

L’État serait-il complice des visées des promoteurs ? La preuve présentée au tribunal a démontré que le promoteur a fourni des plans et des informations erronés au ministère de l’Environnement pour obtenir le certificat d’autorisation lui permettant de construire une usine de déchiquetage de voitures à Lévis. « Il est anormal que dans ce cas, le ministère de l’Environnement soit à la remorque des décisions des tribunaux. »

Si le ministère avait fait respecter les avis d’infraction et surtout si notre législation prévoyait des balises claires pour interdire les poursuites abusives, nous pourrions consacrer nos énergies et nos ressources à nos projets de protection de l’environnement. Mais « même si on gagne le procès, le mal est fait, indique André Bélisle: nous sortons très affaiblis de ce processus. » Ce dossier a coûté 430 000 $.

Le ministère québécois s’est porté « invisible » dans cette affaire. Ce n’est pas lui, mais les groupes qui ont fait arrêter le projet par le tribunal. Nous avons déjà vécu l’incurie du Ministère lors de la lutte à Batiscan contre Bolalex/Cascade qui niait au ministre de l’Environnement le droit d’annuler un certificat d’autorisation, même si le fonctionnaire s’était fourvoyé. Imaginez ! Boralex insistât jusqu’en Cour suprême. À Roxton Pond, le ministère de l’Environnement poussa l’audace jusqu’à se délester de ses responsabilités. La ville et la Coalition Eau Secours! en furent quittes d’utiliser eux-mêmes les tribunaux pour inciter le pollueur à régler hors cour.

Il est temps que tous les groupes et associations de défense des droits se regroupent pour convaincre le gouvernement d’emboîter le pas à l’État de la Californie et qu’il civilise les pratiques des promoteurs pollueurs.

N.B. Note au lecteur : Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n’apparaît pas dans le texte. Les sources proviennent d’une revue de presse régionale et nationale et du site de référence d’ Eau Secours ! - La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau, à www.eausecours.org