Guy Fournier préfère la mosaïque au melting pot

Si vous voulez que ça passe, mettez-y du A mari usque ad mare !

*Il était une fois un auteur désargenté qui désespérait d’écrire pour gagner sa pitance. Un bon jour, il reçoit un providentiel coup de fil de son producteur préféré. Il s’agirait, lui dit ce dernier, d’écrire une série pour la télévision d’État. N’aurait-il pas une idée, audacieuse, novatrice, ni trop ci, mais avec assez de ça, qui n’attendrait qu’à jaillir de ses synapses neuronales ? L’auteur désargenté dit que, ma foi, oui, peut-être... Dix nuits blanches plus tard l’auteur amaigri-et il n’était déjà pas gros – remet à son producteur préféré le fruit de son labeur. « Génial ! C’est audacieux, novateur, ni trop-ci, mais avec assez de ça... »

Le producteur rencontre dare-dare le directeur de la télévision d’État pour lui présenter le projet tout chaud de notre auteur désargenté. À peine dix mois plus tard, le producteur tout joyeux annonce à l’auteur que son projet est presque retenu ! « Presque ? », dit ce dernier. « Vois-tu, ton idée est audacieuse, novatrice, ni trop ci, mais avec assez de ça, sauf qu’il semblerait que ton projet ne rend pas tout à fait assez compte de la formidable réalité multiculturelle du pays. En d’autres mots, si tu veux que ça passe, mets-y du “ A mari usque ad mare ! ” »

De retour dans son tout petit appartement, l’auteur désargenté se remet à la tâche. Tel un coloriste hors pair, il met des teintes de rouge partout. L’histoire est maintenant résolument biculturelle, l’héroïne vient de Charlottetown, le héros de Lethbrige, ils se sont rencontrés lors du Festival de la botte de foin de Pohénégamook et le couple s’apprête à déménager dans le Nord de la Saskatchewan pour élever des wapitis biologiques.

Cette fois, ça y est ! La maison mère trouve le projet fabuleux ! Il vient même d’atterrir directement sur le haut de la pile du directeur de la programmation ! Sauf que... n’y aurait-il pas moyen de faire en sorte que l’histoire, à la demande expresse du président du conseil d’administration, devienne le fer de lance de l’unité nationale en faisant l’éloge de nos différences réconciliées ? Et cela, afin de bien démontrer au monde entier qu’ici, nous ne formons pas un vulgaire melting pot comme notre belliqueux voisin, mais plutôt une jolie mosaïque culturelle, ce qui est l’essence même de notre particularité identitaire.

Ragaillardi par cette bonne nouvelle, l’auteur désargenté met les bouchées doubles. À la ferme de wapitis biologiques se greffe maintenant un élevage de chiens esquimaux dont s’occupe leur nouveau partenaire innu. Le couple a également adopté deux enfants directement issus du creuset multiculturel. L’histoire intègre de plus des représentants de toutes les minorités visibles et invisibles provenant de toutes les strates de la société et dont l’importance dans le récit est directement proportionnelle à leur poids démographique.

Quatre ans plus tard, le producteur de l’auteur l’appelle et lui dit : « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à t’apprendre. La mauvaise, c’est que ton projet n’est pas retenu » « Mais pourquoi ? », s’exclame l’auteur désargenté qui désormais fait du taxi et un peu d’embonpoint. « C’est à la section. marketing de la télévision étatique que ça bloque. D’après eux, ton projet n’est pas vendable auprès des annonceurs parce que les gens de la Belle Province sont, paraît-il, trop crétins pour aimer des histoires qui ne les concernent pas. » « Et la bonne nouvelle ? », demande l’auteur. « CBC l’achète ! T’auras qu’à l’écrire dans l’autre langue officielle. Toutes mes félicitations ! »

Quelques mois plus tard, la série voyait le jour, à un million et demi de dollars l’épisode. Appuyé par un battage publicitaire sans précédent, « Wapitis in Saskatchewan » aura un franc succès chez nos compatriotes, attirant plus de 1 % de 1’auditoire. Et à ceux qui auraient manqué la série, le coffret DVD est actuellement en vente au Dollarama le plus près de chez vous.

*Président de la SARTEC