Obrador refuse de jouer les cocus contents

Les fraudes du bon vieux temps ? No pasa rán !

Tout indique que, comme dans le bon vieux temps du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), la population mexicaine s’est fait voler l’élection du 2 juillet dernier. Cette fois-ci, le crime profite au PAN (Parti action nationale), et démontre que plus la droite parle de changement et de démocratie, plus c’est pareil.

Mais la gauche, elle, change pour vrai. Cette fois-ci, contrairement à ce qui s’était passé lors de la grande fraude de 1988 qui avait porté au pouvoir Carlos Salinas de Gortari, le PRD (Parti révolutionnaire démocratique) et son chef, Andrés Manuel Lopez Obrador, ont lancé une mobilisation d’une ampleur jamais vue.

Le 2 juillet, devant des résultats très serrés (Felipe Calderón, du PAN, mène par 1,04 % sur Lopez Obrador, du PRD), l’Institut fédéral électoral (IFE) n’a pu départager les candidats à la présidence.

C’est que le programme de résultats préliminaires (PREP) utilisé ne se base que sur un échantillon de 7636 boîtes de scrutin sur les 130 488 pour l’ensemble du pays. La population devait donc attendre le dépouillement de toutes les boîtes de scrutin, prévu les 5 et 6 juillet.

Mais, étrangement, le président de l’IFE, Luis Carlos Ugalde, interdit alors l’ouverture des boîtes de scrutin pour compter tous les votes et préfère dépouiller celui-ci à partir des résultats apparaissant sur les feuilles officielles de pointage remplies par les responsables d’élection. Cela contrevient à l’article 41 de la constitution mexicaine sur la certification du vote.

Lors de ce second dépouillement, Lopez Obrador mène par près de quatre points pendant la majeure partie de la soirée avant de se faire coiffer au fil d’arrivée. Cela en étonne plusieurs car, le 2 juillet, le même Lopez Obrador avait talonné son adversaire du PAN mais sans jamais le dépasser.

Devant les critiques et les questions, l’IFE finit par admettre que la différence dans les courbes des candidats entre les deux dépouillements est due au fait que près de 2 millions et demi de votes n’ont pas été comptés par le PREP parce qu’ils présentaient des « inconsistances ».

Entre-temps, malgré une avance réduite à 0,58 %, le président de l’IFE s’empresse de déclarer Calderon vainqueur de l’élection alors que seul le Tribunal électoral fédéral (TRIFE) peut le faire. Les médias emboîtent le pas, de même que le président Bush et Harper qui félicitent leur nouvel ami et partenaire de l’ALÉNA.

Mais plus les heures passent et plus les irrégularités apparaissent. Des plaintes arrivent de partout : talons de bulletins de vote découverts dans deux dépotoirs de l’État de Mexico; bureaux de votes affichant plus de voies que de bulletins émis par l’IFE dans l’État de Baja California; taux de participation de plus de 101 % dans les États du Jalisco et du Guanajuato, etc.

Horacio Duarte, représentant la coalition Pour le bien de tous (qui inclut le PRD) dans l’IFE, annonce que plus de 25 000 bureaux de vote montrent des anomalies favorisant le PAN autant dans les résultats du PREP que dans le décompte officiel.

Des mathématiciens de l’Université nationale autonome de Mexico viennent affirmer qu’il est impossible que les courbes de candidats si proches ne se soient jamais croisées et accusent le programme informatique du PREP d’avoir été altéré.

Mais le plus extraordinaire, c’est que, dans les États du Sud (très favorables au PRD), les résultats montrent une participation à l’élection présidentielle inférieure à celle de l’élection des députés et sénateurs alors que, dans les États du nord (favorables au PAN), c’est le contraire.

Or, jamais, dans toute l’histoire mexicaine et, cela, pour chacun des États, une élection présidentielle n’a généré moins de participation qu’une élection de députés et sénateurs!

Le fiasco électoral vient couronner une campagne de six mois au cours de laquelle la crédibilité et l’impartialité de l’IFE n’ont pas cessé de fondre.

On a d’abord appris que l’organisme, dont les neuf membres du conseil général proviennent tous du PAN et du PRI, avait accordé les contrats du système informatique du PREP et du calcul des résultats électoraux à la firme informatique Hidelbrado, propriété du beau-frère de Felipe Calderón, Diego Zavala. Celui-ci a, plus tard, été accusé de refiler des données confidentielles de l’IFE à l’équipe du PAN.

Pendant la campagne, l’IFE n’a rien fait pour freiner les publicités calomnieuses traitant Lopez Obrador de « danger pour le Mexique » pas plus qu’il n’a empêché les manœuvres du président Vicente Fox alors que la constitution mexicaine stipule clairement que le président en exercice doit rester neutre.

Fox a, entre autre, mis des ressources de l’État (matériaux de construction, fonds destinés à des programmes sociaux, etc.) à la disposition du PAN afin que celui-ci puisse les utiliser là où il en avait besoin pour gagner des votes.

Le PRD a aussi dû composer avec le parti pris évident des grands médias commerciaux concentrés à plus de 80 % dans les mains de deux entreprises : Televisa et Televisíon Azteca.

Il fallait voir le désespoir des présentateurs quand, au matin du 6 juillet, Lopez Obrador a déclaré ne pas reconnaître le résultat des élections et convier la population à une « assemblée d’information » pour le 8 juillet !

Ce jour-là, devant 400 000 personnes, le candidat du PRD annonce que la coalition Pour le bien de tous fait appel des résultats du vote auprès du TRIFE à qui elle va présenter plus de 300 recours légaux concernant 50 000 des 130 000 boîtes de scrutin. De plus, elle exige un recomptage « vote par vote et boîte de scrutin par boîte de scrutin ».

Le candidat de centre-gauche propose alors la tenue d’une « marche nationale pour la démocratie » convergeant vers la capitale à partir de chacun des 300 districts électoraux du pays.

Il propose aussi la formation de « comités de diffusion de l’information » pour contourner un prévisible boycottage médiatique, de même que le port d’un ruban symbolique aux couleurs nationales.

Deux autres « assemblées d’information » auront lieu, mobilisant d’abord 1 million 200 000 personnes (16 juillet), puis plus de deux millions de personnes (30 juillet). Il s’agit des plus grands rassemblements de l’histoire du pays.

Le 30 juillet, Lopez Obrador appelle l’immense foule à la « résistance civile » pendant que débarquent dans la capitale des sympathisants en provenance de tout le Mexique. Ceux-ci installent une cinquantaine de campements (avec cuisines communautaires, équipes de nettoyage, activités pour les enfants, ateliers et classes) qui paralysent totalement la circulation au centre-ville.

Le Mexique est au bord d’une explosion sociale comme on en a vu ces dernières années en Bolivie, en Équateur et en Argentine.

Commentant « le coup d’état électoral qui se commet sous nos yeux, au Mexique. », Ignacio Ramonet, du Monde diplomatique, s’en prend au silence de la « communauté internationale » et des « habituelles organisations de défense des libertés, que l’on a connues si actives en Serbie, en Georgie, en Ukraine et encore récemment en Biélorussie ».

« On imagine, poursuit l’éditorialiste, le tollé planétaire si, en revanche, cette même élection s’était déroulée, par exemple, au Venezuela et si le vainqueur (par une différence donc d’à peine 0,56 % des votes) avait été … le président Hugo Chavez ».