Chicago s’unit pour civiliser Wal-Mart

84 % d’appui en général et 90 % chez les Noirs

Il y a deux ans, en annonçant qu’ils projetaient d’ouvrir un magasin dans le quartier South Side de Chicago, les dirigeants de Wal-Mart étaient loin de se douter qu’ils déclencheraient dans la métropole une lutte titanesque des syndicats, qui forcera le départ du maire et changera pour des années le paysage politique de la troisième ville la plus peuplée aux États-Unis.

Dans un pays où le salaire minimum stagne à 5,15 $ l’heure (10 700 $ par année) depuis neuf ans, et où les services publics sont loin d’être aussi développés qu’au Québec, les employés de Wal-Mart sont confinés dans une misère honteuse, mainte fois dénoncée par le mouvement syndical. Malgré tout, les campagnes anti-Wal-Mart avaient jusqu’ici été vouées à l’échec au pays de l’Oncle Sam. C’est qu’une bonne part des travailleurs pauvres, premières victimes des politiques d’emploi de l’entreprise, font leurs achats chez Wal-Mart en raison des prix abordables du détaillant.

Dans la dernière édition du magazine The Nation, Madeline Talbot, membre d’une organisation de familles à faible revenu, explique que ce paradoxe embêtait les militants du quartier South Side, dont la population est majoritairement noire et très pauvre. « Nos membres sont des gens à faible revenus et Wal-Mart est leur magasin préféré en raison des prix, confie-t-elle. Mais ils étaient aussi interpellés par les pratiques de l’entreprise. »

Les groupes communautaires, les syndicats et des organisations religieuses de Chicago ont formé une coalition, non pas pour interdire la venue de Wal-Mart, mais pour forcer les grandes surfaces à offrir des conditions de travail permettant de vivre dans la dignité. Des conditions « vivables », selon leurs termes, pour faire le parallèle avec les conditions « invivables » des employés actuels.

Pendant deux ans, ils ont mené une campagne de lobbying intense, en allant chercher un à un les 35 votes nécessaires au conseil municipal pour faire adopter leur projet de règlement. Les syndicats ont arraché des promesses de conseillers en menaçant de présenter des candidats syndicalistes contre les conseillers qui ne voteraient pas pour le projet.

Le projet de règlement municipal visait à exiger des magasins-entrepôts qu’ils paient un salaire de 10 $ l’heure à leurs employés, plus 3 $ l’heure en avantages sociaux, d’ici juillet 2010, sur tout le territoire de la ville de Chicago. Le règlement devait toucher les magasins dont le chiffre d’affaires dépasse 1 milliard par année et qui occupent plus de 90 000 pieds carrés, ce qui inclut les Wal-Mart, K-Mart, Toys’R’Us et Home Depot. La coalition ne voulait pas interdire la venue de ces magasins à Chicago, mais plutôt les forcer à mieux traiter leurs travailleurs s’ils voulaient s’établir en ville.

La réponse du public a été enthousiaste. Cet été, quelques jours avant le vote, un sondage commandé par la coalition montrait que le projet de règlement recevait 84 % d’appuis chez les citadins en général et atteignait même les 90 % d’appuis chez les Noirs.

Le 26 juillet, les conseillers municipaux ont voté dans une proportion de 35 contre14 en faveur du projet pour un salaire « vivable ». Mais, en septembre, le maire Richard Daley, dont la famille possède une longue tradition d’appui au monde des affaires, a usé de son droit de veto pour bloquer l’initiative. À 35 contre 14, les conseillers municipaux auraient normalement pu outrepasser ce veto et faire adopter quand même le règlement. Mais le maire, aidé du lobby des magasins à grande surface, a convaincu trois conseillers de changer de camp, ce qui lui a finalement permis de maintenir son droit de blocage.

Le New York Times rapporte que lorsque ces trois conseillers ont retourné leur veste, le 13 septembre dernier, des syndicalistes étaient présents à la réunion du conseil municipal. Ils ont interpellé les renégats et les ont avertis que le mouvement syndical allait présenter des candidats contre eux aux prochaines élections municipales, qui auront lieu l’an prochain.

Les syndicats de Chicago se préparent maintenant activement à faire battre les conseillers qui ont fait échouer la campagne pour un salaire « vivable ». Selon le Chicago Sun-Times, le très puissant syndicat des employés de services a déjà mis sur pied des cours de formation pour former 260 syndicalistes qui prendront part à la campagne électorale, que ce soit devant ou derrière les projecteurs. Le syndicat prévoit présenter entre 15 et 20 candidats syndicalistes aux postes de conseillers municipaux et leur fournir 50 000 $ chacun pour faire campagne.

Quant au maire Daley, son opposition à un salaire « vivable » pour la population noire du South Side lui ont valu un adversaire de choix : Jesse Jackson Jr., l’activiste et fils du célèbre pasteur noir, songe maintenant à se présenter à la mairie, dans l’unique but de battre Daley.